Levothyrox : des milliers de malades en souffrance et peu de solutions en vue

 

(Photo : Laurent Ferriere / Hans Lucas AFP)

Des centaines de milliers de malades de la thyroïde subissent des effets secondaires sévères depuis qu’ils prennent la nouvelle formulation du Levothyrox. L’ANSM et la ministre de la santé tentent de rassurer, tandis que les hospitalisations augmentent, tout comme les achats des anciennes formules du médicament dans les pays frontaliers. Le point sur la « crise du Levothyrox » en cours.

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Ce sont les patients et les associations de malades qui ont alerté sur le problème causé par le Levothyrox, le médicament dont ils sont dépendants et dont la formulation a été changée au mois de mars 2017.

> Levothyrox : pourquoi la nouvelle formulation pose-t-elle problème ?

Une partie des malades de la thyroïde — qui s’exprime sur Internet ou témoigne dans les médias — indique des effets secondaires plus ou moins gradués. D’autres, au contraire, ont subi très rapidement des migraines, des diarrhées ou des vertiges et des fatigues massives. Cette nouvelle formulation a été délivrée entre avril et juin aux patients, le temps que les pharmacies écoulent les stocks de l’ancienne formulation. Au final, le nombre des patients atteints de problèmes sévères a explosé durant la dernière quinzaine d’août. Les patients les plus affectés ont alors demandé à leur médecin un dosage hormonal pour savoir si leurs taux d’hormones était encore corrects ou non. Les résultats d’une grande majorité ne sont pas bons du tout. Mais le problème reste entier, malgré des changements de dosage par les médecins. L’Agence nationale de sécurité du médicament — après avoir ouvert son N° vert — a réagi à plusieurs reprises, affirmant que « les effets indésirables allaient passer, qu’il fallait être patient, qu’avec les nouveaux dosages, tout rentrerait dans l’ordre ». La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, sur la même ligne, a tenté de rassurer les malades et les associations ce mercredi 6 août.

> Qu’est-ce que la thyroïde sur le site de Allo docteurs : 

La thyroïde est une glande endocrine qui fabrique et sécrète des hormones, elle est située à la base du cou. Les hormones thyroïdiennes agissent sur de nombreux organes, comme les muscles, le cœur, le système nerveux, le système digestif, etc… Elles ont pour rôle d’augmenter la consommation d’oxygène par les cellules et donc de fabriquer de l’énergie.

Cette petite glande empoisonne quand même la vie de 6 millions de français et les maladies de la thyroïde sont nombreuses à conduire soit à un manque (hypothyroïdie) ou au contraire à un excès d’hormones thyroïdiennes (hyperthyroïdie). Dans certains cas, la thyroïde peut augmenter de volume et former un goitre. Elle peut également être le siège du développement de nodules qui correspondent le plus souvent à un kyste ou adénome bénin et plus rarement à un cancer de la thyroïde. Un nodule ou un goitre peut se former en dehors de toute anomalie du taux des hormones thyroïdiennes.

Dosages de TSH épouvantables

Certains malades n’ont pas fait tout de suite le rapprochement entre les troubles qu’ils subissaient et la prise de leur médicament. Nombreux sont ceux qui ne se sont pas inquiétés des difficultés qu’ils rencontraient durant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. En effet, en fonction des pathologies thyroïdiennes, un surdosage ou un sous dosage — plus ou moins important — ne va pas créer des troubles immédiatement, sachant que de nombreux témoignages rapportent des effets qui ne sont pas directement liés aux troubles de la thyroïde, comme un assèchement de la bouche, des vertiges ou des migraines. Par contre, en juillet et en août, des milliers de malades ont témoigné de leurs très grandes difficultés, au point de ne plus pouvoir travailler, de devoir rester couché une partie de la journée, subissant une fatigue couplée à une souffrance importante, souvent articulaire.

Maux de tête, des problèmes digestifs terribles, des vertiges, des crampes musculaires, une extrême faiblesse et un épuisement général.Témoignage de l’actrice Anny Duperey après être passée au Levothyrox nouvelle formule

Vérifiant qu’une grande partie des symptômes correspondaient à un mauvais dosage thyroïdien, les médecins ont prescrit aux malades des analyses, qui — souvent — ont révélé un problème à ce niveau là. Le taux de TSH (thyréostimuline) en temps normal doit être compris entre 0,3 et 5 µU/mL. Plus le taux descend, plus les hormones thyroïdiennes sont en trop grande quantité dans le corps, générant une hyperthyroïdie. Inversement, si le taux de TSH est trop haut, cela signifie que le patient est en manque d’hormones thyroïdiennes, donc en hypothyroïdie. Les surdosages constatés étaient souvent massifs, puisque les résulats publiés par des malades traités pour une hypothyroïdie indiquent des taux de TSH nettement inférieurs à 0,3 µU/mL. Sachant que certains patients ont par exemple besoin d’un taux de TSH à 1 µU/mL et se sont retrouvés avec une TSH à 0,01 µU/mL, donc non dosable, leur état est réellement préoccupant, ce que les médecins admettent mais sans comprendre comment ce dosage a pu ainsi chuter. Certains patients — moins nombreux — ont au contraire subi une hypothyroïdie massive après la prise du médicament, avec des taux de TSH pouvant atteindre plus de 25 µU/mL, voire 40µU/mL dans certains cas !

Effets indésirables multiples et incompréhension

Les changements de dose quotidienne devaient donc normalement régler le problème, comme le corps médical et l’ANSM l’ont annoncé et le répètent encore. Cela n’est pas le cas. Des patients se sont retrouvés encore plus mal plusieurs semaines après le changement de dosage et ne retrouvent toujours pas d’équilibre, d’autres ont carrément cessé de prendre leur traitement préférant subir les effets de leur maladie sans apport hormonal plutôt que subir ceux du médicament. Une malade est décédée d’un accident vasculaire cérébral après un arrêt de Levothyrox d’une semaine. Des patients qui ont réussi à se faire prescrire des gouttes de Levothyroxine à la place du Levothyrox après leur dosage n’ont eux, par contre, plus d’effets secondaires après une semaine seulement de traitement.

L’actrice Anny Duperey, malade de la thyroïde depuis 12 ans a écrit une lettre ouverte à la ministre de la Santé pour demander le retour à l’ancienne formulation avec laquelle elle n’a « jamais eu aucun problème ». Agée de 70 ans, la comédienne expliquait ce 7 août 2017 sur Europe 1 avoir subi très vite des « maux de tête, des problèmes digestifs terribles, des vertiges, des crampes musculaires, une extrême faiblesse et un épuisement général » après être passée à la nouvelle formulation du Levothyrox.

Nous allons entamer une réflexion sur les moyens d’une ouverture du marché français à d’autres formules alternatives de la lévothyroxine sous forme de génériquesAgnès Buzyn, ministre de la Santé lors de la conférence de presse du 6 septembre 2017

La solution proposée du côté des autorités de santé ne convient visiblement pas à ces malades qui veulent retrouver leur ancien médicament, puisque la ministre de la Santé Agnès Buzyn a déclaré en conférence de presse que « le seul danger pour la santé des patients est d’arrêter leur traitement. » La ministre invite donc les patients « à trouver le bon dosage avec l’aide de leur médecin. » Agnès Buzyn reconnaît que « les malades  rencontrent des effets secondaires réels (…) qu’il ne faut pas les minimiser (…) mais ils sont passagers pour la plupart d’entre eux« . Le retour à l’ancienne formule n’est pas envisageable pour la ministre de la Santé qui reconnaît que le fait qu’une seule formule du Lévothyrox soit disponible pour les patients « pose malgré tout un problème« . Agnès Buzin promet une « réflexion sur les moyens d’une ouverture du marché français à d’autres formules alternatives de la lévothyroxine sous forme de génériques« . Mais même dans ce cas de figure, le problème pourrait persister, le générique de Biogaran vendu en France n’ayant jamais pu convenir aux malades avec leurs médecins qui ont rapidement décidé de ne pas le prescrire, jusqu’à qu’il soit retiré de la vente… faute de clients. Le reste de l’Europe n’a pas encore adopté la nouvelle formulation du Levothyrox mais devrait le faire début 2018, selon l’ANSM.

Une biologiste et endocrinologue au CNRS, Barbara Demeneix, témoigne  sur le site de France TV info d’une affaire semblable aux Pays-Bas, avec le retrait d’un médicament qui causait des problèmes aux malades de la même manière qu’en France : « Il s’agit d’un problème similaire mais qui a eu des conséquences différentes. Un producteur (industriel du médicament, ndlr) a retiré son médicament du marché ce qui a forcé des milliers de patients à passer à une autre formulation. Un groupe de chercheurs et cliniciens a été chargé par le gouvernement d’enquêter. Ils ont trouvé que le changement de formulation avait effectivement changé la biodisponibilité de l’hormone avec des conséquences cliniques. Ils devraient bientôt faire une publication sur ce sujet. L’association des patients néerlandais sera présente à la réunion de  l’ETA (European Thyroid Association) à Belgrade en septembre. »

Vent de contestation et mystère scientifique

L’association française des malades de la thyroïde (AFMT) accompagnée d’un groupe de victimes du Levthyrox ainsi que de Sylvie Robache, qui a lancé la pétition « Contre le nouveau Levothyrox dangereux pour les patients ! » ont manifesté ce vendredi 8 septembre devant l’Assemblée nationale. Des professionnels de santé, des personnalités politiques les accompagnaient pour faire connaître le problème aux parlementaires. Le retrait de la nouvelle formule — ou a minima le retour de l’ancienne en plus de la nouvelle — sont le cœur de leurs revendications.

Les problématiques de l’information des autorités sanitaires aux patients, du monopole commercial des laboratoires et de la transparence sur la qualité des médicaments génériques à fenêtre thérapeutique étroite commencent à se poser

Les pistes pour expliquer les effets innatendus et délétères du « nouveau Levothyrox » sont encore imprécises : la conjugaison de l’acide citrique et du mannitol avec les hormones pourrait accélerer l’absorption du principe actif et créerait le surdosage, par exemple. Mais d’autres pistes sont étudiées, pouvant toucher l’aspect nanomoléculaire du principe actif du Levothyrox (l’hormone) qui réagirait plus fortement et différement sous l’effet de l’excipient mannitol qu’avec le lactose. La qualité des molécules pourrait être aussi mise en cause, si des résultats de tests s’avéraient défavorables : l’avocate ayant porté plainte contre le laboratoire Merck Serrano a annoncé qu’elle voulait faire analyser le « nouveau Levothyrox » pour connaître sa composition exacte. La majorité des usines produisant les 50 000 tonnes de mannitol annuels achetées dans le monde (chiffres de 2013) sont en Chine : les problèmes de qualité et de contrôle de la production dans ce pays ont déjà fait scandale… Où Merck se fournit-il en mannitol, avec quelle qualité ?

Dans l’attente de réponses scientifiques claires, et d’une alternative à la nouvelle formulation à la vente en France, de nombreux malades vont désormais se fournir en Espagne, en Suisse ou en Italie, là où l’ancienne formule du Levothyrox est encore en circulation. Le laboratoire Serb — une petite PME française  fabriquant une alternative en gouttes, la L-Thyroxyne, a été sollicité par l’ANSM pour augmenter sa production : l’agence gouvernementale avait restreint la prescription et la vente en pharmacie de la L-Thyroxine aux seuls enfants de moins de 8 ans et aux personnes ayant des problèmes de déglutition le 31 août dernier. Le problème de rupture de stock justifiant cette interdiction si des patients mécontents basculaient en trop grand nombre sur cette alternative au Levothyrox semble donc pouvoir être réglé. Les malades confirment qu’ils ne subissent plus d’effets secondaires avec les gouttes de L-Thyroxine, mais les contraintes du médicament en gouttes sont plus fortes qu’avec le comprimé : la conservation du produit doit se faire à 8° ou moins et la prise du médicament doit être effectuée la matin à jeun avec interdiction de boire ou manger avant 30 minutes.

La crise du Levothyrox est devenue réelle pour des centaines de milliers de malades (la pétition ‘Contre le nouveau Levothyrox dangereux pour les patients !’ a atteint 235 651 signataires à cette heure et elle continue en moyenne à progresser de 5000 signature par jour) sans qu’une solution acceptable pour les malades ne soit proposée, avec la question centrale des causes des effets secondaires et des surdosages provoqués par cette nouvelle formule. En réalité, au delà des difficultés que fait peser ce changement de formule du Levothyrox sur les malades, ce sont aujourd’hui les problématiques de l’information des autorités sanitaires aux patients, du monopole commercial des laboratoires et de la transparence sur la qualité des médicaments génériques à fenêtre thérapeutique étroite qui commencent à se poser. Le débat commence tout juste, mais si aucune solution convenable n’est proposée aux patients, il risque de devenir incontournable. En espérant qu’il mènera à de nouvelles dispositions… plus favorables aux malades.

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