Levothyrox : la pilule ne passe pas

Par Sophie Manelli12 septembre 2017 à 9:17

Prescrit à 3 millions de personnes en France, le Levothyrox a changé d’excipient (et de couleur de boîte) en mars dernier.

PHOTO G.RY.

Les appels sont si nombreux (jusqu’à dix par jour) et l’inquiétude est si vive que l’Assistance Publique marseillaise (AP-HM) organise demain une réunion publique à destination des patients (lire ci-dessous). Les meilleurs spécialistes locaux (Pr Frédéric Sebag, Pr Frédéric Castinetti et Pr David Taieb) répondront à toutes les questions relatives à la dernière « affaire » sanitaire en France : le Levothyrox.

Comme trop souvent dans l’Hexagone, c’est la presse qui a révélé ce nouveau problème. Aussi, le mois dernier, en écoutant par hasard la radio dans sa voiture, Sylvie Lévy a enfin compris ce qui lui arrivait. Des crampes, des cheveux qui tombent par poignées, des douleurs à l’estomac, et surtout cette « fatigue accablante » qui s’est emparée depuis quelques mois de cette Marseillaise de 65 ans. « À la radio, d’autres personnes ont décrit les mêmes symptômes. Comme moi, elles étaient traitées par Levothyrox… »

Crampes, vertiges, maux de tête, perte de cheveux, fatigue accablante…

Ce médicament pour la thyroïde, dont le principe actif est une hormone de substitution, la lévothyroxine, est le seul sur le marché en France pour traiter les hypothyroïdies (insuffisance de sécrétion, voire absence, de la thyroïde) ou freiner la sécrétion d’une hormone stimulant la thyroïde. 3 millions de Français en consomment (premier marché mondial).

Mais, en mars dernier, le laboratoire Merck, qui commercialise ce produit, a décidé d’en changer la formule, répondant ainsi à une demande de l’Agence nationale du médicament (ANSM), qui a délivré une autorisation de mise sur le marché. Le taux de lévothyroxine, le principe actif, n’a pas été modifié, mais le lactose – mal toléré par une partie de la population – a été remplacé par du mannitol (E421) et de l’acide citrique, substances qui ne présentent pas de danger en soi – le mannitol est utilisé comme édulcorant dans les chewing-gums et l’acide citrique sert de conservateur.

Sauf que, depuis la commercialisation de cette nouvelle recette (qui remplace la première), des milliers de patients se plaignent des mêmes symptômes décrits par Sylvie. Au point que le numéro vert mis en service le 23 août par l’ANSM a été pris d’assaut : 70 000 appels en 2 jours ! Hier, la ministre de la santé Agnès Buzyn, interpellée par des associations de malades, a fait état de 9 000 signalements de pharmacovigilance.

Alors qu’est-ce qui cloche dans le nouveau Levothyrox ? À ce jour, les spécialistes ont bien du mal à comprendre. Problème de dosage, toujours délicat et souvent long à définir pour des déséquilibres thyroïdiens ? Différence d’absorption ? Effet de stress jouant sur le psychisme et l’organisme de certains patients ? Dans le cas de Sylvie, le changement de formule a eu un effet foudroyant. « Je prenais du Levothyrox depuis mon opération du cancer de la thyroïde. Cela a été long pour trouver le bon dosage mais depuis 3 ans, j’étais bien réglée. En quelques semaines, tout s’est effondré. Aujourd’hui, tout est à refaire », se désole-t-elle, malgré tout « soulagée » de tenir un début d’explication à ce mal-être angoissant. Comme les autres patients, cette Marseillaise déplore l’absence d’alternative au Levothyrox en France, et envisage même d’aller acheter en Espagne l’ancienne formule, toujours sur le marché.

« Ce qui me met le plus en colère, c’est que ni mon endocrinologue, ni mon pharmacien ne m’ont avertie du changement de formule. J’ignore même s’ils étaient au courant. Mon sentiment, c’est que des malades ont été utilisés à leur insu pour servir de cobayes à des laboratoires. »

 


Les 3 questions au Pr Frédéric Castinetti : « Ne surtout pas arrêter son traitement »

Le Pr Frédéric Castinetti (service d’endocrinologie de La Conception) est l’un des spécialistes de l’AP-HM qui répondra demain aux questions des patients.

Les médecins ont-ils été informés du changement de formule du Levothyrox ?
Frédéric Castinetti : « Fin février, l’ANSM et le laboratoire Merck ont envoyé un courrier pour signaler un changement d’excipient. Mais le message précisait que le composé actif restant inchangé, il n’y avait pas de souci particulier pour les patients. Seuls les malades à risque devaient, par précaution, réaliser un bilan TSH dans les 4 à 6 semaines après le début de la prise de la nouvelle formule. »

Cette nouvelle formule est-elle responsable des symptômes décrits par des milliers de patients ?
Frédéric Castinetti : « C’est très difficile de faire la part des choses. Les signes décrits sont variables : fatigue, vertiges, maux de tête, problèmes digestifs, intolérance à la chaleur, qui font penser à un dosage insuffisant, mais certains malades évoquent plutôt un surdosage : nervosité, palpitations. Le problème c’est que les signes des maladies de la thyroïde sont assez généraux. Cela dit, un changement d’excipient peut en effet provoquer un changement d’absorption du composé actif, et faire varier les bilans thyroïdiens. Cela a été vérifié chez certains patients dont le taux de TSH a varié. Mais chez d’autres personnes se plaignant d’effets secondaires, on ne constate pas de modification du bilan. Il faut donc attendre les conclusions de l’enquête de pharmacovigilance (NDLR : annoncées pour octobre) pour se prononcer. »

Quelle solution pour les patients qui ne supportent pas la nouvelle formule ?
Frédéric Castinetti : « Levothyrox étant le seul médicament de ce type en France, il n’y a pas vraiment de solution de repli. Sa prescription en gouttes, essentiellement réservée pour l’usage pédiatrique, va bientôt se heurter à une rupture de stocks. Mais les personnes concernées ne doivent surtout pas arrêter leur traitement, au risque de subir une hypothyroïdie massive qui sera longue à récupérer. Il faut aller consulter son médecin, refaire un bilan thyroïdien, vérifier si les symptômes ressentis ne sont pas liés à une autre pathologie. »


Autorités de santé : une crise de confiance, encore…

La ministre de la Santé Agnès Buzyn a exclu hier toute « fraude » ou « erreur » mais reconnaît « un problème d’information » des malades. « Les patients ont été surpris par une formulation qui avait changé et qui, pour certains, donnait des effets secondaires », a justifié la ministre, indiquant que « beaucoup de ces effets secondaires sont liés à des difficultés à redoser correctement le Levothyrox, mais ils s’estompent quand on arrive à bien doser le traitement ».

Reste que les critiques pleuvent pour accuser les autorités sanitaires d’indifférence coupable. Certes, fin février, le laboratoire Merck et l’ANSM ont envoyé à 100 000 médecins une lettre d’information sur le changement de formule. Et fin août, un numéro vert a été mis en place pour tenter d’endiguer la crise. Mais les associations de patients jugent cette information insuffisante. Une critique récurrente dans un pays secoué par plusieurs scandales sanitaires comme celui du Mediator.
Grand spécialiste des questions de santé, l’ancien député Gérard Bapt, médecin et ex-membre du conseil d’administration de l’ANSM, a écrit à Agnès Buzyn pour mettre en garde contre une « crise sanitaire et de confiance » dans l’affaire du Levothyrox. Contacté hier par La Provence, il dénonce « le manque d’information aux citoyens et la réactivité insuffisante des autorités, des problèmes récurrents en France sur les questions sanitaires ». La répétition des crises (Médiator, Dépakine, pilules contraceptives, etc.) « décrédibilise le discours officiel et révèle des dysfonctionnements au niveau de la sécurité sanitaire », alerte Gérard Bapt.

L’affaire du Levothyrox soulève, en outre, des questions sur les laboratoires et de possibles conflits d’intérêts. « C’est assez curieux que Merck ait choisi exclusivement la France pour commercialiser ce nouveau produit. Est-ce parce que sa situation de monopole lui garantit un marché captif ? ». D’après Gérard Bapt, il est tout à fait inhabituel qu’un nouveau médicament soit lancé sans qu’il existe une possibilité d’alternative pour les malades qui ne supporteront pas. D’autant que, dans le cas du Levothyrox, deux tentatives de production de générique ont échoué ces dernières années, entraînant le retrait du marché des produits.

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