Levothyrox® : les patients veulent avoir le choix

De gauche à droite, Michèle Rivasi, députée européenne écologiste, et Agnès Buzyn, ministre de la Santé.

La nouvelle formule du Levothyrox®, un traitement contre les dérèglements thyroïdiens, fait l’objet de 9.000 signalements d’effets indésirables depuis sa commercialisation en mars 2017, a déclaré le 11 septembre 2017 la ministre de la Santé. Les associations de patients réclament une alternative thérapeutique pour ceux qui ne supportent pas ce médicament.

La sécurité sanitaire du médicament est une fois de plus pointée du doigt. Dernière affaire en date : la nouvelle formule du Levothyrox®, un médicament contenant une hormone de substitution thyroïdienne appelée levothyroxine. En France, trois millions de patients souffrant de dérèglements thyroïdiens prennent ce traitement. Mais de nombreuses personnes se plaignent de divers effets indésirables : maux de tête, vertiges, crampes, troubles digestifs, réveils nocturnes, problèmes rénaux ou cardiaques, etc.

« D’après les enquêtes de pharmacovigilance et les informations qui nous remontent du terrain, nous sommes à 9.000 signalements sur les trois millions de personnes », a déclaré Agnès Buzyn, ministre de la Santé, le 11 septembre 2017 sur RTL. « Le centre de pharmacovigilance français a déjà recensé 1.500 cas graves », a déploré Michèle Rivasi, députée européenne écologiste, lors d’une conférence de presse organisée le 8 septembre 2017, à Paris, avec les associations de malades.

« Tous les médicaments qui contiennent de la levothyroxine ont une autorisation de mise sur le marché (AMM) nationale. Aucun médicament n’a une AMM européenne », a rappelé Michèle Rivasi. Si l’agence européenne a également reçu des signalements d’effets indésirables, elle ne peut pas agir car ce dossier relève exclusivement de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), a commenté la députée européenne. Par ailleurs, une pétition contre ce médicament a recueilli plus de 200.000 signatures.

Une situation de monopole

Distribué depuis mars 2017, le nouveau Levothyrox® remplace une ancienne formule dont la teneur en levothyroxine était moins constante d’un lot à l’autre, a estimé l’ANSM en 2012. C’est donc à la demande de l’agence sanitaire que le fabricant Merck a mis au point ce médicament qui est le seul disponible sur le territoire français, créant ainsi une situation de monopole.

Par rapport au précédent médicament, le laboratoire a modifié un excipient, c’est-à-dire une substance qui vise notamment à donner du goût ou une couleur au médicament, et qui améliore sa conservation. Le lactose, un excipient pouvant provoquer des allergies, a été remplacé par le mannitol. Ce dernier serait « dépourvu d’effet notoire à la dose où il est présent dans les comprimés », estime l’ANSM.

Autre changement : Merck a ajouté de l’acide citrique anhydre, « un excipient très répandu dans la composition des médicaments et dans le domaine alimentaire », précise l’ANSM. « Il est utilisé en tant que conservateur pour limiter la dégradation de la levothyroxine au cours du temps », poursuit l’agence.

Une marge thérapeutique étroite

« Rien n’est plus difficile à doser et à manipuler que les traitements à base d’hormones. Les placer dans des excipients aboutit à des interactions qui font que, selon les excipients utilisés, les hormones sont libérées par le comprimé plus ou moins vite dans l’organisme », explique Philippe Even, ancien doyen de la faculté de médecine de Paris et président de l’institut Necker.

« Avec ces nouveaux excipients, peut-être que la libération initiale est accélérée, ce qui explique les accidents d’hyperthyroïdie rapportés. En fin de journée, ce phénomène est terminé et on retrouve alors des accidents d’hypothyroïdie », ajoute Philippe Even. Pour mémoire, le Levothyrox® fait partie de la liste de médicaments « à marge thérapeutique étroite ». Autrement dit, « une très faible variation de la dose administrée suffit à le rendre soit inefficace, soit toxique », indique le glossaire de pharmacovigilance.

Face à la multiplication du nombre de signalements, les associations de patients entendent agir. « Nous demandons le déblocage rapide de stocks de médicaments en provenance de l’étranger pour les malades qui souffrent d’effets indésirables », lance Chantal L’Hoir, présidente-fondatrice de l’Association française des malades de la thyroïde (AFMT). « Les gens qui supportent ce produit continuent de le prendre. Les personnes qui ne le supportent pas doivent absolument disposer d’une alternative », renchérit Michèle Rivasi.

Dans le cas contraire, les patients risquent de s’approvisionner via des marchés parallèles ou bien d’arrêter leur traitement, ce qui peut être extrêmement grave. Nell Gaudry, porte-parole de l’AFMT, qui a subi une ablation de la thyroïde suite à un cancer, témoigne de ce risque : « Si j’arrête de prendre le Levothyrox®, j’ai à peine trois mois à vivre… »

« En Europe, l’ancienne formule prévaut »

« Partout en Europe, c’est l’ancienne formule qui prévaut », s’indigne Serge Rader, ancien pharmacien. « En Italie, en Allemagne, en Belgique ou encore en Espagne, les pharmaciens vendent la formule au lactose dans leur officine », rapporte-t-il.

En plus d’une alternative thérapeutique disponible au plus vite, les patients réclament une analyse du médicament lui-même. Ils veulent obtenir une analyse de la pharmacocinétique, à savoir l’action du produit sur l’organisme après son ingestion.

« Avant son lancement, le Levothyrox® a fait l’objet d’études de bioéquivalence, uniquement sur des personnes saines et sur un temps limité. Celles-ci n’avaient pas pour but d’analyser les effets secondaires », regrette Michèle Rivasi, évoquant des failles dans l’évaluation et dans le dispositif de pharmacovigilance. Pour appuyer son propos, elle note qu’au niveau européen, « il y a peu d’études en amont car les pratiques tendent désormais à privilégier des études post-AMM ».

Pour sa part, Agnès Buzyn a annoncé le lancement d’une expertise dont les conclusions sont attendues au mois d’octobre 2017. Pour la ministre, « il n’y a pas de fraude, pas de complot, pas d’erreur ». Réfutant l’idée d’une crise sanitaire, elle évoque plutôt une crise d’information : « Il y a eu un problème d’information des malades […] qui se sont retrouvés surpris par une formulation qui avait changé et qui, pour certains, provoquait des effets secondaires. » « Beaucoup de ces effets secondaires sont liés à des difficultés à redoser correctement le Levothyrox® mais ils s’estompent quand on arrive à bien doser le traitement », assure-t-elle.

L’association AFMT a décidé de déposer une plainte contre X au pénal pour « mise en danger de la vie d’autrui, atteinte à l’intégrité physique et non-assistance à personne en danger », prévient l’ancienne magistrate Marie-Odile Bertella-Geffroy, conseillère juridique de l’association.

PAULA FERREIRA© Agence fédérale d’information mutualiste (Afim)

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