Il se vend aujourd’hui en France quatre fois plus de Lévothyrox qu’il y a 20 ans et notre pays, une fois de plus, bat les records de consommation par tête d’habitant.

Cet article est publié dans l’espace « Cercle Sud Ouest des idées ». 

Ce n’est pas la plus grave mais cette crise est sans doute la plus incompréhensible de celles qui, depuis quinze ans, secouent régulièrement notre pays. Le Lévothyrox, comme son nom l’indique, contient de la lévothyroxine, une hormone normalement sécrétée par la glande thyroïde qui joue un rôle majeur dans la régulation de notre métabolisme. Ce médicament, consommé par 3 millions de français (dont 80% de femmes), est indiqué en cas d’insuffisance de sécrétion, par exemple après ablation de la thyroïde.

Ce médicament est consommé par 3 millions de français

Pendant longtemps, le Lévothyrox été la seule lévothyroxine sur le marché français, hormis une forme gouttes destinée aux jeunes enfants et aux personnes ayant des problèmes de déglutition.
Il se vend aujourd’hui en France quatre fois plus de Lévothyrox qu’il y a 20 ans et notre pays, une fois de plus, bat les records de consommation par tête d’habitant. Cette forte augmentation des ventes pose quand même question.
En 2012, l’Agence du Médicament (ANSM) a demandé au laboratoire Merck-Sérono de modifier le mode de fabrication de son médicament jugé instable dans le temps ; bien que cela ne semble pas avoir posé jusque là de gros problèmes pratiques aux prescripteurs ou aux utilisateurs. Cinq ans plus tard, c’est chose faite : fin mars 2017, le Lévothyrox « nouvelle formule » arrive sur le marché français; plus stable avec du mannitol en place du lactose comme excipient principal. En ce domaine, la substitution n’est pas aisée car le plus petit changement de dosage peut être à l’origine de symptômes, ressentis de façon plus ou moins marquée, par l’utilisateur.

D’où l’importance de bien l’informer ainsi que les prescripteurs et les pharmaciens, de manière à procéder, si besoin était, aux dosages et réajustements nécessaires. En ce domaine, notre pays travaille toujours à l’ancienne : faute de mieux, l’information est prise en charge par le laboratoire Merck qui envoie un courrier à 100 000 médecins français, insistant curieusement plus sur les changements de présentation de la boite que sur de possibles variations de tolérance, voire d’efficacité. Dans nombre de cas (la majorité ?), ce courrier semblable à tant d’autres, souvent promotionnels, ne semble pas avoir été ouvert, ni en tout cas lu.

La substitution n’est pas aisée car le plus petit changement de dosage peut être à l’origine de symptômes, ressentis de façon plus ou moins marquée, par l’utilisateur.

Très rapidement, des déclarations d’effets indésirables imputés à la nouvelle formule commencent à affluer. Les autorités sont prises de court par les possibilités de mobilisation que constituent les réseaux sociaux et internet. On sous-estime également l’usage qui peut être fait du portail de déclaration des effets indésirables par les patients mis en place un peu rapidement par le précédent gouvernement. On ne voit pas, ou on ne veut pas voir, la vague qui enfle. Une pétition réclamant le retour de l’ancienne formule recueille bientôt 270 000 signatures. Le système de pharmacovigilance doit gérer en un temps record plus de 9000 déclarations de symptômes indésirables; au plus fort de la vague, chaque centre régional doit ainsi traiter entre 40 à 80 dossiers par jour.

Sud Ouest
CRÉDIT PHOTO : AFP PHOTO / DAMIEN MEYER FRANCE-HEALTH-MEDICINE

Tout le reste est, de fait, à l’arrêt. Les prescripteurs et services d’endocrinologie sont assaillis. Faute d’études, nul ne sait combien de ces effets sont réellement imputables à la nouvelle formule, quel en serait le cas échéant le mécanisme, ni quelle est la proportion des utilisateurs qui en présentent. Sur les réseaux, chacun y va de son explication, certaines sont plausibles, beaucoup non, si ce n’est délirantes ou complotistes. En fait, et c’est bien le plus grave, nul ne sait ce qui se passe réellement.

Le plus souvent, ceux qui parlent ne savent pas et ceux qui devraient parler ne parlent pas. Consciente du risque de déstabilisation, de l’angoisse des patients, mais aussi de l’irritation des professionnels, la Ministre de la santé intervient, fait rare, à deux reprises devant les médias le 9 septembre puis le 15 pour annoncer ce qui semblait écarté une semaine auparavant : le retour transitoire sur le marché, et en stocks limités, de l’ancienne formule du Lévothyrox, le temps qu’une seconde lévothyroxine en comprimés fabriquée par le laboratoire Sanofi arrive sur le marché, en principe avant la fin octobre.

En fait ce sont 130 000 boites d’Euthyrox (similaire à l’ancienne formule commercialisée en France), prélevées sur les stocks allemands, qui arrivent au compte-gouttes depuis le 3 octobre dans les pharmacies françaises. A raison d’une boîte par ordonnance, cela représente de quoi satisfaire … 4,3% des personnes traitées par Lévothyrox. Autant dire que la situation risque d’être tendue. D’autant plus que, ironie du sort, c’est la nouvelle formule, mise sur le marché pour remplacer l’ancienne jugée défectueuse, qui, au bout de six mois de crise, qui est maintenant perçue comme problématique et l’ancienne formule comme salutaire !

Pendant ce temps là, en Allemagne, comme dans nombre d’autres pays, on prescrit toujours l’ancien Lévothyrox, sans a priori s’en trouver plus mal. Quant aux malades qui auront changé de l’ancienne à la nouvelle formule pour retourner à l’ancienne, ils devront une fois de plus l’abandonner en octobre à l’épuisement des stocks pour revenir à … la nouvelle ou, s’il arrive à temps sur le marché, au produit Sanofi. Le tout en sept mois ! Pas simple, surtout quand on sait que pour un traitement aussi difficile à équilibrer, la recommandation est de conserver, si possible, toujours le même médicament.

Sud Ouest

Pr. Bernard Bégaud, Département de Pharmacologie Médicale.
Equipe « Pharmaco-épidémiologie et impact des médicaments sur les populations ».
Bordeaux Population Health Research Center INSERM