Crise du Lévothyrox : « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ».

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L’Association française des malades de la thyroïde (AFMT) regrette que le rapport de la mission d’information flash relative au Lévothyrox flash menée par M. Jean-Pierre Door ne résiste pas à l’analyse.

Parmi les principales questions soulevées :

1-Le titre « la crise du Lévothyrox enfin résolue » annonce d’emblée l’objectif du rapport. Mais il est décalé par rapport à ce que vivent encore de très nombreux malades et à ce que savent les Français. De très nombreux patients se voient toujours refuser l’accès aux alternatives du Lévothyrox, tant elles sont contingentées. Et les changements de traitement à venir pour les exposer à devoir chercher de nouveaux équilibres. Ce titre n’est donc pas crédible.

2-« il n’y a pas de crise sanitaire mais une crise médiatique autour de la nouvelle formule du Lévothyrox. »

Moins de six mois après un changement qui devait être anodin, les 15 000 malades qui ont réussi à aller au bout des formalités de signalement apprécieront Ils sont au moins 10 fois plus d’après les sondages de l’association française des malades de la thyroïde (AFMT). Si l’on suit ce rapport, comme il ne s’agit pas d’un problème sanitaire, c’est sûrement la faute des médias… qui apprécieront à leur tour.

3-confusions dans le motif principal de l’échec des génériques du Lévothyrox.

Selon le rapport, la « bio équivalence a été « parfaite à 0,3 % près. Ces études sont celles qui sont faites pour les génériques ».. Il est écrit plus loin : « Les tentatives de commercialisation de génériques dans les années 2009 et 2010 n’ont pas été concluantes. » Car le princeps « n’est pas substituable par les pharmaciens ».

Commentaire de l’AFMT : c’est masquer le motif de l’échec..

La réalité est que les différences d’efficacité thérapeutique étaient telles que la substitution du princeps par des génériques produisait des déséquilibres thyroïdiens majeurs… Et que les médecins traitants ont conclu à la nécessité absolue de revenir au médicament princeps.

4-« Bio équivalence parfaite à 0,3 % près. Ces études sont celles qui sont faites pour les génériques : elles se déroulent sur des personnes en bonne santé et ont vocation à démontrer que le médicament présente la même faculté d’absorption et d’élimination du principe actif, et non à prouver l’efficacité de celui-ci. »

Propos imprudents qui, s’ils étaient pris au pied de la lettre, risqueraient de nuire au développement des génériques. Car les études de bio équivalence des génériques du Lévothyrox en 2009-2010 n’ont pas été suffisantes pour garantir l’efficacité thérapeutique (ou une biodisponibilité) identique à celle du princeps.

Corollaire : Comment, sachant la cause de l’échec des génériques du Lévothyrox a-t-on pu se contenter du même type d’études pour la nouvelle formule ?

 

5-information des associations de patients et qualités du médicament

« Les deux principales associations de patients ont été informées de la nouvelle formulation par l’ANSM et par Merck ».

Les associations n’ont pas été informées de manière juste et équilibrée. L’association française des malades de la thyroïde (AFMT) a bien compris, a posteriori, que l’objectif de l’ANSM était en fait de la rassurer. Motifs retenus pour le changement : meilleure qualité, meilleure stabilité dans le temps, pas de différence perceptible pour les patients. Par prudence, quelques groupes fragiles de patients seraient à surveiller.

L’ANSM a motivé le changement par l’amélioration de la qualité et de la stabilité dans le temps.

Au contraire, dans les faits, les patients et l’Association française des malades de la thyroïde (AFMT) ont découvert lors de l’achat du médicament, que le délai de péremption qui était de trois ans avec l’ancienne formule de Lévothyrox, avait diminué d’un facteur deux, réduit à seulement 18 mois avec la nouvelle formule.

L’ANSM a donc affirmé une amélioration sans en avoir la certitude.

3- les professionnels de santé responsables parce qu’il n’aurait pas transmis l’information aux malades ?

« L’ANSM a informé les professionnels de santé, médecins et pharmaciens, par message électronique, en mettant l’accent sur les patients à risque, femmes enceintes, personnes souffrant de maladies cardio-vasculaires ou présentant un cancer ».

En fait, l’ANSM annonce successivement la paix pour le corps médical qui n’aurait pas à se faire de souci « aucun changement lié à la modification de formule n’est attendu pour les patient. » Puis, la nécessité de s’armer d’une surveillance de la TSH pour les patients à risque. La paix armée, autrement dit un oxymore.

Cette formule rhétorique est connue comme l’une des meilleures techniques pour paralyser toute réflexion. Pourtant elle a été érigée en technique de communication (cf. plus loin).

4-« médecins et pharmaciens doivent apprendre à communiquer »…

Ainsi, selon le rapporteur, médecins et pharmaciens ne savent pas communiquer… Ils seront heureux de l’apprendre.

En réalité, technique de communication par oxymore de l’ANSM a largement contribué à bloquer la réflexion et donc la communication.

5-« La vox populi remplace le colloque singulier ». (Page 12).

Le colloque singulier est la rencontre d’une confiance et d’une conscience dans le dialogue entre le malade et son médecin. La condition principale est donc le temps et la qualité de l’écoute de part et d’autre.

Le rapport fait comme si la disponibilité médicale était parfaite sur l’ensemble du territoire.

Quelle est la qualité du dialogue instauré dans les territoires sous tension, quand les malades sont excédés d’attendre, face à des délais de rendez-vous qui s’allongent, quand les médecins n’ont plus la possibilité de faire face à la demande de soins, et quand les déserts médicaux se multiplient et s’élargissent…

Ce n’est donc pas un problème d’apprentissage, c’est clairement un problème de désagrégation du maillage territorial médical et pharmaceutique de proximité. Sans disponibilité médicale suffisante, pas de communication efficace, ni conscience, ni confiance.

Le problème est donc aussi celui de la déshumanisation du dispositif de santé. Les autorités sont tentées de donner un rôle aux associations de malades afin qu’elles se substituent partiellement au colloque singulier. Ainsi, la direction générale de la santé et l’ANSM au cours de la première réunion de crise avec les associations de malades, leur a demandé de valider collectivement le schéma de principe des ordonnances médicales de crise. L’association française des malades de la thyroïde (AFMT) a dû rappeler qu’il n’appartenait pas à une association de malades de valider, même a priori, une ordonnance médicale.

6- panique des malades.

« Face à cette multiplication de témoignages individuels, une forme de panique s’est emparée de certains malades. »

Dans le texte, tout se passe comme si les malades s’étaient retrouvés sans interlocuteur éclairé, seuls, face aux témoignages. Au passage, c’est reconnaître implicitement le rôle de la pénurie médicale.

Certains de ceux qui ont pu accéder aux consultations ont entendu que leur symptomatologie était inexplicable à la lumière des informations que les autorités avaient données aux professionnels de santé. « Aucun changement lié à la modification de formule n’est attendu pour les patients . » « Biocompatibilité parfaite. »

Donc pas de solution thérapeutique. Et très probablement des errances diagnostiques.

Ou, ce qui est certainement pire, effet nocebo. Ce terme, relayé par les sociétés savantes, constitue la négation de leur souffrance et parfois une forme de psychiatrisation qui amène à d’autres errances.

Il n’est donc pas étonnant que beaucoup de ces malades soient allés chercher des réponses sur les réseaux sociaux après l’impossibilité ou l’échec des consultations.

7-les pénuries médicales conjoncturelles ignorées

Entre la disparition progressive des stocks de Lévothyrox ancienne formule en pharmacie et chez les malades, et la phase théorique équilibre thérapeutique avec le nouveau médicament, il s’est déroulé environ trois à quatre mois à compter du mois d’avril.

Les demandes de consultation se sont précipitées en pénurie médicale conjoncturelle (congés d’été des professionnels de santé) et structurelles (territoire sous tension, déserts médicaux).

En fait, nous observons la première faillite du dispositif de santé français face à une crise sanitaire, du fait de la pénurie médicale.

L’association française des malades de la thyroïde (AFMT) a été débordée d’appels téléphoniques. Mais elle ne parvenait pas à faire remonter l’information faute d’interlocuteur disponible à l’ANSM (congés ?).

7-la presse grand-public responsable ?

La place prise par la crise du Lévothyrox a été celle laissée par le silence des autorités longtemps restées sur leur position initiale, sans faire remonter d’information, ou tardivement, sur les signalements en pharmacovigilance et leur analyse. La responsabilité de la crise n’est pas à mettre sur la presse grand public. Elle n’a fait que relayer la réalité vécue parmi les 3 millions de patients sous Lévothyrox.

8-Les troubles résulteraient de problèmes d’adaptation du dosage ?

 « Les troubles apparus sont des troubles de l’équilibre thyroïdien lié au changement de traitement » (page 8)

Alors, pourquoi l’ANSM a-t-elle affirmé que les patients ne percevraient pas de changement ?

9-présentation de l’enquête de pharmacovigilance publiée le 11 octobre par l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). À nouveau l’oxymore comme système de communication.

« aucun effet indésirable d’un type nouveau qui serait spécifique de la seule nouvelle formule, n’a été retrouvé ». « Tout changement de spécialité ou de formule peut modifier l’équilibre hormonal et nécessiter un réajustement du dosage »

Nous retrouvons à nouveau ici la technique de communication de type oxymore dénoncée plus haut

10-résultats de l’enquête de pharmacovigilance

Seulement 42 % et 14 % des malades ayant fourni les résultats de leur bilan biologique, souffraient d’une hypo ou d’une hyperthyroïdie d’après les concentrations de TSH (indicateur de déséquilibre hormonal).

 Pour 44 % la TSH est restée dans les normes. Le rapport ne peut donc expliquer les signes d’hyper et/ou d’hypothyroïdie dont ces malades ont souffert. Ni la discordance entre le délai relativement court de disparition des signes après changement de traitement, alors qu’il faut plusieurs semaines pour équilibrer une concentration sanguine de thyroxine.

Peut-on se satisfaire de la seule TSH basale comme indicateur d’équilibre thyroïdien ? Le rapport de pharmacovigilance démontre que non. Certains des commentaires des experts médecins également.

L’association française des malades de la thyroïde (AFMT) et notamment son conseiller scientifique préconisent des travaux de recherche autour de ces thèmes (réunion en septembre avec les associations de malades puis comité de suivi en octobre organisés par la DGS)

11-principales questions éludées et conclusions

Certaines questions auraient mérité d’être posées.

Quels sont les motifs qui ont poussé l’ANSM à imposer, dans la précipitation, au moyen d’un oxymore, en quelques semaines, un changement définitif de formule du Lévothyrox, sans autre alternative pour 3 millions de malades ?

Quels sont les motifs qui ont poussé l’ANSM au déni des événements indésirables quand les signalements commençaient à s’accumuler ?

Pourquoi, sachant que les études de bio équivalence étaient insuffisantes pour mesurer l’efficacité clinique de la nouvelle formule du médicament, l’ANSM n’a-t-elle pas demandé qu’une étude clinique soit réalisée en préalable de la mise sur le marché ?

Pourquoi le rapport de l’enquête flash donne-t-il l’impression de mettre essentiellement la responsabilité de la crise sur les malades, les médias, et le corps médical, alors que ce n’est pas eux qui ont demandé le changement ?

Pourquoi le rapport ne tient-il pas compte du rôle d’une pénurie médicale voulue depuis des années par les pouvoirs publics, dans le déroulement de la crise ?

Pourquoi ne voit-il pas, dans la crise, un signal d’alerte puissant sur l’état de notre système de santé.

Une situation quasi expérimentale vient d’être créée par la décision brutale de changer en quelques semaines le traitement de 3 millions de patients. Ce nombre permet statistiquement de mettre en évidence des faits cliniques qui auraient pu être considérés comme aléatoires dans un faible échantillon. Pourquoi alors, ne pas avoir entendu l’association française des malades de la thyroïde (AFMT) et évoqué la nécessité de travaux de recherche sur une pathologie qui touche pourtant 5 % de la population française ?

Les malades auraient ainsi la preuve que le rapporteur pour la Représentation nationale s’intéresse davantage à leur santé qu’à la protection d’un dispositif à bout de souffle.

Le langage imagé de l’introduction du rapport « l’incendie est fixé mais pas encore éteint » pèche par un optimisme excessif. La paraphrase d’une citation célèbre désigne mieux la situation et le constat de l’association française des malades de la thyroïde (AFMT) : « notre maison brûle et le rapport s’efforce de regarder ailleurs ».

Les responsables scientifiques et le CA de l’AFMT

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