« nouvelle formule n’est pas équivalente à l’ancienne pour 67,2 % des malades »

L’affaire du Levothyrox : l’Ancienne et la Nouvelle Formule ne sont pas équivalentes pour 67,2 % des malades (les 2/3)

Petit à petit, le mystère s’éclaircit autour de l’affaire du Levothyrox. Le 2 juillet 2019 le comité de suivi organisé par les autorités sanitaires a auditionné les chercheurs toulousains Pierre-Louis Toutain [i]et Didier Concordet[ii]. Ces scientifiques ont passé au crible les données brutes fournies par le laboratoire Merck lors du passage à la nouvelle formule. Leur conclusion est sans appel : pour 67,2 % des patients soit les deux tiers, l’ancienne et la nouvelle formule ne sont pas équivalentes.

Nouvelle Formule du Levothyrox : Le graphique qui dit tout

Avec la Nouvelle Formule du Levothyrox, 67,2% des patients sont mal dosés en principe actif, la levothyroxine.(Données brutes du laboratoire Merck)

Même s’il reste encore beaucoup de questions sur ce qu’il est convenu d’appeler « le scandale du Levothyrox » un pan important de ce mystère est en train de tomber.  Le 2 juillet 2019, les autorités sanitaires ont écouté, sans apporter de contradiction ou de bémol, l’exposé des chercheurs Pierre-Louis Toutain et Didier Concordet sur la non-équivalence des deux formules pour 67,2 % des malades soit plus des deux tiers des patients.

L’article publié dans la revue Pharmacocinetics était intitulé « L’ancienne et la nouvelle formule du Levothyrox sont-elles substituables pour des millions de patients ? »[i]Les deux scientifiques sont spécialistes des questions d’équivalence en matière de médicaments génériques. L’objectif était ici de vérifier la « bioéquivalence » entre les 2 formules c’est-à-dire contrôler que l’hormone thyroïdienne arrive bien dans le sang des patients en quantité voulue et à la même vitesse dans l’ancienne et la nouvelle formule, donnant ainsi la même exposition au principe actif.

67,2 % des sujets sont soit sous-dosés soit sur-dosés

Les statisticiens ont repris les données brutes fournies par le Laboratoire Merck pour l’obtention de la nouvelle AMM, (autorisation de mise sur le marché). Pour cet essai, le laboratoire a donné à 204 volontaires sains une dose de 600 microgrammes de chaque formule  de Levothyrox ( des doses supra-thérapeutiques) puis il  en a mesuré la concentration dans le sang pendant 72 heures.

Dans la « vraie vie », ce sont des millions de malades qui prennent ces hormones sur des années et des années. Mais là n’est pas la question. Même avec ce « test réglementaire » qui normalement aurait dû rester secret les résultats sont édifiants et peuvent aider à comprendre en grande partie pourquoi les effets secondaires ont été si nombreux.

Un tiers des patients sont correctement dosés

Qu’ont-ils constaté ? Seulement 32,8 % des sujets se retrouvaient bien dans la zone d’équivalence entre l’ancienne et la nouvelle formule. C’est le dosage de sécurité préconisé par les autorités, c’est à dire une variation contenue entre moins 10% et plus 10 % autour de l’objectif de référence qui lui est de 100 % d’équivalence entre la formule de référence et la nouvelle.

Il en ressort donc que 67,2 % des sujets sont soit sous-dosés soit sur-dosés. 35,3 % sont sous-dosés et 31,8 % se retrouvent en surdosage.

Un nombre conséquent de 11 % de sujets se retrouvent même avec un surdosage de 45 % ce qui est énorme pour un médicament dit à marge thérapeutique étroite. Pour ces médicaments sensibles, une faible variation peut entrainer de graves effets car l’écart entre les concentrations efficaces et toxiques est faible.

Catherine Hill : « Les deux formules du Lévothyrox ne sont pas bioéquivalentes »

L’étude Toutain-Concordet a reçu l’appui de l’épidémiologiste Catherine Hill[i] et de l’endocrinologue Martin Schlumberger de l’hôpital Gustave Roussy.

Dans la revue du Praticien, ils ont publié un article intitulé :  « Les deux formules du Levothyrox ne sont pas bioéquivalentes ».[ii]

Ils ont analysé et validé la démarche de leurs confères. « Nous avons confirmé ces conclusions et nous le diffusons de façon plus accessible pour toute la communauté médicale et pour les patients, » explique Catherine Hill.

« La responsabilité directe du changement de formulation dans la survenue de signes et symptômes in- désirables chez certains patients est donc extrêmement probable. »ajoute la statisticienne.

L’Agence du médicament est donc contredite

Cette étude contredit les affirmations de l’Agence du médicament qui n’a cessé de répéter sur son site : « La nouvelle formule a été démontrée bioéquivalente à l’ancienne sur la base de deux études de pharmacocinétique… Cette bioéquivalence est la garantie d’une efficacité et d’une sécurité identiques à celles de l’ancienne formule. »[iii]

Cette affirmation, méritera donc d’être sérieusement nuancée.

Le fin mot de l’histoire c’est que l’Agence du médicament ne demande que des études avec des moyennes générales et non pas des études avec des équivalences par individu. Cela change tout pour un médicament à marge étroite. Un peu comme si pour décerner le permis de conduire les autorités ne demandaient aux candidats que l’obtention du code.

« Ces variations peuvent expliquer les effets secondaires, » estime pour sa part l’épidémiologiste Catherine Hill

« Au lieu de dire aux patients qui se sont plaints que leurs symptômes indésirables avaient pour origine un défaut d’information, on aurait dû les prévenir de la possible différence de biodisponibilité des deux formules du médicament et leur recommander de consulter rapidement s’ils ne se sentaient pas bien. » affirme la statisticienne.

Merck persiste à expliquer que l’équivalence des deux formulations de Levothyrox a été étudiée selon les demandes des autorités.

Le régulateur, en l’occurrence l’Agence du médicament et donc le gouvernement français dont elle dépend n’est pas assez sévère dans ses exigences. Pour garantir une sécurité et une efficacité identique entre les deux formules, il faudrait exiger une bioéquivalence par individu surtout lorsque 3 millions de patients sont concernés.

Le Levothyrox Nouvelle Formule, un « générique déguisé » ?

Quelles conséquences concrètes vont être tirées de ces nouvelles données ? Suppression de l’autorisation de mise sur le marché pour la Nouvelle Formule du Levothyrox ? Demande de nouveaux essais ? Pour l’instant le ministère de la santé demande juste aux associations de malades de l’aider à faire passer la Nouvelle Formule au près de leurs adhérents.C’est leur « collaboration »qui est attendue.

Les autorité sanitaires reconnaitront-elles finalement que cette Nouvelle Formule n’était rien d’autre qu’un « générique déguisé » ? Difficile à envisager car elles avaient justement procédé au retrait des génériques du Levothyrox car ils provoquaient trop de déséquilibres chez les malades. Parmi ces génériques certains avaient d’ailleurs la même formule au mannitol que la Nouvelle Formule du Levothyrox. On se retrouve donc avec la situation absurde d’un médicament de référence qui disparaît au profit d’un générique qui ne dit pas son nom et qui apparaît sur le marché après que tous les autres génériques ont été retirés du marché.

Les associations de malades creusent la « piste des impuretés »

Cette non équivalence explique-t-elle pour autant tous les effets secondaires de la Nouvelle Formule du Lévothyrox ? Les associations de malades n’en sont pas convaincues. L’AFMT , l’Association française des malades de la thyroïde continue de faire analyser les comprimés pour comprendre si une toxicité due à des impuretés ne se serait pas surajoutée à cette absence de bio-équivalence entre les deux formules.

Quel gâchis en tout cas pour des autorités sanitaires qui prétendaient agir pour le bien des malades qui en l’occurrence ne se plaignaient pas. Encore une fois le mieux aurait –il fait la preuve qu’il est l’ennemi du bien ? Le mieux pour qui, le bien pour qui ? Le mieux des uns se ferait-il au détriment du bien des autres ?

[i] Catherine Hill, épidémiologiste : Hôpital Gustave Roussy

[ii] http://www.larevuedupraticien.fr/sites/default/files/Hill.pdf

http://www.larevuedupraticien.fr/article-web/les-deux-formules-de-levothyrox-ne-sont-pas-bioequivalentes

[iii]https://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/b69ee49493d22e038347f36ad0ac7b95.pdf

[i] https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs40262-019-00747-3

[i] Royal Veterinary CollegeUniversity of LondonLondonU

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