17 % des Parisiens ont fui la capitale à cause du Covid-19. Voici ce que cela dit d’eux

BILLET. Dans les deux jours précédant le confinement, ils se sont réfugiés en province. Un exode peut-être moins grave qu’on n’a pu le craindre sur le plan sanitaire, mais qui interroge la psyché de l’homo parisianus.

Par Gurvan Le GuellecPublié le 27 mars 2020 à 07h00 Mis à jour le 28 mars 2020

Combien sont-ils ? 350 000, 400 000, 450 000 ? Combien de semaines de confinement supplémentaires auront-ils imposées à leurs concitoyens ? Et, question brutale mais qu’il faut bien poser : combien de morts auront-ils provoqués ? Des milliers ou seulement quelques cas isolés ?

Pourquoi ces interrogations ? Parce que, vendredi dernier, est tombée cette information extraordinaire et pourtant peu commentée : pas moins de 17 % des Parisiens auraient fui la capitale entre le dimanche 15 et le lundi 16 mars pour rejoindre maisons de familles, résidences secondaires ou, pire, chambre familiale chez leurs vieux parents.

A Belle-Ile, les continentaux font grincer des dents : « Ce qui agace, c’est l’arrogance de l’argent ! »

Ce chiffre, avancé par Martin Hirsch, le directeur général de l’Assistance publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP) s’appuie sur une estimation de la consommation électrique (en baisse de 28 % la semaine dernière) et de la production de déchets ménagers (-30 %), mais également, si l’on en croit « le Canard enchaîné », sur le traçage par le ministère de l’Intérieur des données de géolocalisation des téléphones portables. Il est par ailleurs confirmé par plusieurs élus comme Danièle Gazzi, la maire du très chic 16e arrondissement, qui évoque une diminution de 15 à 20 % de sa population.

Cet exode massif, vu de la province ou des banlieues populaires où les habitants sont restés parfaitement statiques (pas plus de 4% de départs selon un sondage Ifop), paraît de prime abord extravagant. D’autant que les départs – et les kilomètres d’embouteillages de ce week-end avant confinement – n’ont guère été documentés. Télé et presse écrite avaient l’œil ailleurs, et ce sont les internautes sur les réseaux sociaux, principalement, qui se sont fait l’écho de ces départs précipités. Tel jeune étudiant du quartier Latin s’est retrouvé seul dans son immeuble en quelques heures, comme une veille de week-end du 15 août. Telle jeune maman interloquée a assisté au chargement ininterrompu des voitures de location remplies à ras bord dans son quartier bobo de l’Est parisien.

Poudre d’escampette

Cette pudeur médiatique ressemble à un « deux poids, deux mesures », alors que les infractions au confinement dans les quartiers populaires sont régulièrement dénoncées. Mais elle peut s’expliquer : chaque journaliste parisien a dans son entourage un, deux, trois « exilés » qui, tous, avaient des raisons tout à fait valables – nonobstant le principe de précaution – de quitter leur appartement : asthme chronique, hypocondrie carabinée, vieux parents à ravitailler ou tout simplement appartement de centre-ville trop étriqué – on pense notamment aux étudiants…

Qui est-on d’ailleurs pour porter un jugement depuis notre pavillon avec jardin de la petite ceinture ? Un privilégié parmi d’autres privilégiés. Pourtant, à écouter les récits venus de Wuhan, un vertige nous prend. La ville de 11 millions d’habitants a été bouclée strictement fin janvier. Et c’est ce cordon sanitaire qui a d’abord permis à la Chine d’éviter la catastrophe et de circonscrire rapidement l’épidémie.

En France, rien de tout cela. La prise de parole du président Macron, jeudi 12 mars, était l’occasion de donner le tempo et d’inciter nos concitoyens à faire le choix idoine d’un point de vue collectif : rester chez soi. Las, la prose présidentielle a eu l’effet inverse : suffisamment alarmiste pour inciter tous les biens lotis à anticiper un confinement strict et prendre la poudre d’escampette, pas assez claire et injonctive pour les en dissuader.

Et c’est donc ainsi que des centaines de milliers de quidams potentiellement porteurs du virus se sont disséminés à travers la France, alors que Paris était déjà un foyer identifié de l’épidémie. Un scandale sanitaire ? Certains scientifiques comme Pascal Crépey tentent de positiver. L’épidémiologiste de l’Ecole des Hautes Etudes en Santé publique (EHESP) estime qu’il était déjà trop tard pour boucler la capitale – le virus, au 16 mars, s’étant déjà largement propagé en province – et qu’avec un peu de chance, cette dispersion aura réduit la vitesse de propagation du virus en zone dense, laissant le temps au système sanitaire parisien de s’organiser.

« Comportements irresponsables et non solidaires »

D’autres comme Philippe Juvin ou Rémi Salomon, deux pontes de l’AP-HP, ne partagent pas cet optimisme et s’inquiètent des concentrations d’individus potentiellement contaminés dans des spots touristiques isolés et, plus globalement, dans des territoires périphériques où les capacités de prise en charge sont réduites : les respirateurs manquent déjà à l’hôpital de La Rochelle, combien sont disponibles au fin fond de l’Ariège ou des Alpes-de-Haute-Provence ?

Beaucoup d’exilés jurent prendre des luxes de précaution, réduisant au maximum leurs contacts avec l’extérieur, tentant l’option survivaliste (chasse, pêche, cueillette et jardinage) pour ne pas risquer de contaminer leur entourage. Un ami nous avoue même avoir tenté (en vain) le piège à sangliers dans la propriété provençale de ses parents (qu’il se contente de saluer de loin, un vrai supplice de Tantale !).

Tous, cependant, ne font pas preuve du même sens civique. Dimanche encore, à La Couarde-sur-Mer, sur l’île de Ré, le maire Patrick Rayton a dû se fendre d’un message sur Facebook fustigeant la multiplication des « comportements irresponsables et non solidaires » : sorties intempestives, fêtes entre exilés, services non nécessaires (coiffure, esthétique) appelés à domicile.

Ailleurs, sur le littoral atlantique notamment, où nombre de Parisiens ont déferlé, les tensions sont tout aussi vives autour de la question de l’eau (la consommation a crû de 40 % dans l’arrière-pays de Concarneau !) ou du ravitaillement alimentaire. Sans parler du risque d’engorgement dans les services hospitaliers. Nos concitoyens parisiens devraient – en toute vraisemblance – éviter le triste destin des bourgeois provençaux de Giono fuyant le choléra, placés manu militari en quarantaine dans des villages isolés et attendant la mort en se goinfrant de volailles chèrement négociées auprès des paysans du coin. Mais le choix de l’exode pourrait se révéler a posteriori bien peu avisé.

Une question nous taraude. Comment expliquer que le gouvernement n’ait rien anticipé ? Les Italiens venaient pourtant de connaître la même mésaventure deux semaines plus tôt avec ces familles milanaises ou vénitiennes parties prendre le soleil du Mezzogiorno. Mais il faut croire que ce qui vaut en Italie ne vaut pas dans l’Hexagone. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a d’ailleurs commencé par minimiser le phénomène, avant d’appeler chacun à la responsabilité… une fois le gros des départs passé.Pourquoi tout le monde ne respecte pas le confinement ? Décryptage d’un spécialiste des foules

Pourtant, qui peut ignorer que tout bon Parisien est un provincial caché. La gentrification de la ville – on y compte 51 % de familles très favorisées – a fait de la mise au vert, une habitude bourgeoise, une pratique généralisée.

« Résultat collectivement désastreux »

Les Parisiens ont une autre singularité : ils ont un don singulier pour la légèreté. Cela fait leur charme mais les rend parfois un peu pénibles… Tous nos exilés n’ont certes pas le manque de distanciation sociale d’une Leïla Slimani ou d’une Marie Darrieusecq qui, telles des comtesses russes, se sont lancées fissa dans le récit de leur nouvel exil : la souffrance des enfants contraints de se mettre au travail dans des grandes maisons de famille associées jusque-là à l’indolence estivale, l’impéritie de la grand-mère n’ayant pas prévu des stocks de bois suffisants pour alimenter la cheminée…

On ne s’étendra pas sur leur cas, les réseaux sociaux et nos voisins belges de la RTBF les ont déjà suffisamment chargées. Mais leur gentille insouciance à peine teintée de culpabilité a quelque chose de symptomatique.Confinement : que nous apprend l’Exode de 1940 sur ce que nous venons de vivre

Dans notre pays hypercentralisé, Paris et les Parisiens, en toute bonne conscience, oublient trop souvent de se poser des questions vitales sur ce qu’ils sont, ce qu’ils projettent et ce qu’ils produisent. Ville à prétention écologique, mais ville sous cloche incapable de penser sa transformation au-delà des limites du périphérique. Ville ancrée à gauche, mais puissamment inégalitaire, organisant de fait la ségrégation sociale et raciale au sein de ses établissements scolaires, comme « l’Obs » l’a déjà raconté.

Le parallèle entre la propagation du coronavirus et le développement incontrôlé de l’entre-soi dans les écoles de la capitale est d’ailleurs troublant. Mêmes décisions individuelles parfaitement compréhensibles (peur des violences, volonté d’offrir « le meilleur » à ses rejetons), même absence de régulation politique, et même « résultat collectivement désastreux » pour paraphraser l’économiste Julien Grenet, spécialiste de ces questions de choix scolaire.

LIRE AUSSI > « En fait, les profs sont mieux » : à Paris, la bataille contre l’apartheid scolaire est lancée

Curieux signe du destin, l’exode du 15 et 16 mars est par ailleurs venu conclure la drôle de séquence politique des municipales, dominée médiatiquement comme tous les six ans par la bataille de Paris. Pendant six mois, les candidats à l’Hôtel de Ville ont gratifié leurs électeurs – et la population française manifestement trop blasée pour s’en étonner – d’un festival de polémiques fumeuses (y a-t-il trop de travaux d’aménagement à Paris ? Mazette !) et de propositions dignes de l’ineffable candidat Duconnaud : déplacement de la gare de l’Est en banlieue pour créer un nouveau « Central Park parisien », débitumage et végétalisation de toutes les cours d’immeubles, embauche de cuistots dans toutes les cantines scolaires, politique d’immersion linguistique dès la crèche pour que tous les petits Parisiens soient parfaitement bilingues à l’issue du collège…

Démocratie censitaire

Tout cela serait des plus sympathiques si l’élection parisienne ne s’assimilait pas à une forme dystopique de démocratie censitaire, limitant le droit de vote à une petite caste de riches co-(propriétaires) à 10 000 euros le m². Faut-il préciser en effet que la ville de Paris, tout en maîtrisant le plus gros de la manne financière générée par l’économie francilienne, n’est habitée que par 20 % des habitants de la métropole ?

Et que les enjeux urbains de ladite métropole – logement, environnement, écoles sans prof, routes sans goudron – se concentrent non pas dans l’intra-muros, dont le moindre mètre carré a été embelli et aménagé ces quinze dernières années, mais de l’autre côté du périphérique. Un « reste du monde », comme disent les économistes qui, bien que vivant désormais de sa vie propre (non, les moutons ne paissent plus aux portes de Paris…) reste irrémédiablement condamné à recevoir et retraiter les scories de la Ville Lumière. Sans jamais que la population parisienne ne perçoive l’indécence de la situation.

C’est ce lien détraqué de Paris à son environnement et à la réalité sociale du pays qui s’exprime aussi dans l’étrange fuite à Varennes à laquelle nous avons assisté. Et c’est ce lien qui devra être réinventé dans la « France d’après » que nous promet le président Macron. Dans une série de messages sur Twitter, l’intellectuel franco-colombien Nelson Vallejo-Gomez, proche d’Edgar Morin et du ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer, faisait part le 18 mars de son étonnement, devant la fuite de ses concitoyens.

Vous aimerez aussi...