Nouveau visage d’un virus sournois. Dr Jacques Guillet

Quand le Coronavirus SARS CoV2 pulvérise les certitudes.

A la fin de l’année 2019, l’épidémie paraissait lointaine, cantonnée à la Chine, d’autant plus exotique qu’il s’agissait d’un virus de chauve souris transmis à l’homme au travers du pangolin, animal inconnu en Europe. Certes des hôpitaux, créés en quelques jours débordaient de malades. Mais officiellement malades « confirmés » et morts n’étaient pas si nombreux par rapport aux 1,5 milliards d’habitants de cet immense pays. Les autorités avaient créé une barrière protectrice pour le reste de la Chine et du monde. Elle paraissait d’autant plus solide qu’elle était fondée sur une privation extrême et spectaculaire de liberté de millions de chinois. Ils étaient maintenus durablement dans un confinement sévère, soutenu par toutes les technologies possibles et par des mesures coercitives. Une certitude alors répandue : même dans de telles conditions épidémiques, les démocraties occidentales ne les auraient jamais utilisées.

Pourtant, le 30 janvier 2020, l’OMS déclare que l’épidémie est une urgence de santé publique de portée internationale (USPPI). Il faut accélérer la disponibilité de tests, vaccins et médicaments efficaces pour sauver des vies et éviter une crise à grande échelle.

  • Tests de laboratoire

Le 11 février « Préparation et réponse en laboratoire au nouveau coronavirus (2019-nCoV) dans des laboratoires experts de 30 pays de l’UE / EEE, janvier 2020 » donne l’état des lieux ( Reusken CBEM, et al Euro Surveill . 2020 fév; 25 (6). https://doi.org/10.2807/15607917.ES.2020.25.8.2000171

Il s’agit d’évaluer les disponibilités et les capacités de réaction des laboratoires experts capables de diagnostiquer ce nouveau virus à ARN au moyen de la PCR (polymerase chain reaction). D’emblée, les laboratoires experts relèvent les obstacles les plus importants. Ils portent sur la disponibilité des amorces, des sondes et des contrôles positifs, sur le manque de personnel, sur la sensibilité et de spécificité des tests, et sur la capacité hebdomadaire de tests moléculaires pour les 38 laboratoires alors estimée au minimum à 8 275 tests par semaine, et 875 tests par semaine pour 8 autres laboratoires.. Cf l’histogramme : en bleu capacité existante, en vert capacité supplémentaire envisageable)

Avec le recul, face à une pandémie touchant fortement l’Europe, ces capacités apparaîtront dérisoires. Alors que l’OMS appelle à « tester, tester, tester » peu de pays européens le peuvent à la hauteur des besoins, en particulier, pas la France 

  • Incrédulité en France

Dans une lettre à l’éditeur, l’un des laboratoires signataires de ce bilan se désolidarise. « Beaucoup de coronavirus mais pas de SARS-CoV-2 ». Il rappelle son expérience de l’épidémie survenue au Moyen-Orient sept ans auparavant : « déconnexion majeure entre la crainte d’une propagation hypothétique en France (…) et la réalité de l’absence de cas diagnostiqués » . .« l’émergence du SRAS-CoV-2 en décembre 2019 a reproduit ce schéma de peur disproportionnée de l’importation et de la propagation des infections en France métropolitaine tandis que les cas signalés dans le monde restent presque uniquement localisés en Chine, car seulement 34 personnes sont décédées de cette maladie ( Covid-19) en dehors de la Chine au 25 février 2020 » https://doi.org/10.2807/1560-7917.ES.2020.25.8.2000171.

Les arguments sont réfutés dans la réponse : la peur n’est pas disproportionnée. On connaît la suite. Les autorités françaises annonceront le 28 mars un objectif de 50 000 tests PCR par jour pour avril et 100 000 tests rapides à partir de juin..

  • Incrédulité chinoise

Très vite, en Chine, le constat médical a été fait : pneumonie virale susceptible d’être mortelle, très contagieuse, transmissible par les postillons et le portage manuel. Aucun traitement ou vaccin spécifique. Formes sévères de syndromes respiratoires aigus nécessitant l’oxygénothérapie et l’assistance respiratoire en service de soins intensifs et réanimation pour espérer éviter le décès. L’alerte médicale est lancée par un groupe de médecins. Incrédulité et opposition des autorités locales qui parce qu’elles ont le pouvoir, se confèrent la certitude qu’elles détiennet un savoir médical. Elles réagissent brutalement. Pressions, menaces d’interdiction d’exercice, extorcation de la signature des « aveux » de propagation de fausses rumeurs. Le Docteur Li Wenliang, lanceur d’alerte, fragilisé par les menaces, surmené par la catastrophe épidémique, mourra pourtant du SRAS-CoV2… Rumeur? Les réseaux sociaux parviennent à faire circuler l’information et à exhiber des preuves. Le peuple chinois scandalisé en fait un héros, forçant la main à l’administration centrale pour prendre des sanctions contre les responsables locaux.

  • Avancer vite dans l’inconnu thérapeutique. Méthode essai-erreur

La stratégie initiale est donc d’aller vite. Repositionner et essayer tous les médicaments à potentialité antivirale présumée, notamment d’après des résultats de culture cellulaire et utilisés ou déjà testés en médecine dans d’autres indications antivirales ou non (antiparasitaires, antibiotiques). 31 candidats sur 130 molécules.

Quand l’état de pandémie est déclaré, les chinois ont déjà essuyé les plâtres avec beaucoup des combinaisons possibles, y compris les « médecines traditionnelles ». Ils ont même installé devant les hôpitaux des camionnettes munies de microchaînes de préparation de plantes, afin que les malades pas trop sévères évitent d’entrer dans leurs hôpitaux débordés. Leurs publications les plus optimistes concluent généralement que d’autres travaux seront nécessaires avant d’affirmer que les solutions thérapeutiques essayées ont une efficacité.

Ailleurs, toutes les pistes sont testées, même le miel naturel, au Pakistan ou en Egypte, avec des études contre placébo ou groupes témoins.

  • Mobilisation internationale des scientifiques :

Le nombre mensuel de publications scientifiques sur les coronavirus est un bon indice : 1 entre 1975 et 2002, 56 entre 2003 et 2019, 1425 en 2020 (janvier à avril). L’accessibilité des travaux soumis aux comités de lecture (peer review) et non encore publiés (préprint) est sans précédent. De très nombreuses découvertes se sont succédées, à un rythme jamais vu. Elles ont balayé la conception initiale de maladie purement virale du poumon. Mais, en voulant aller très vite, elles ont introduit quelques risques. Aucune conclusion certaine ne peut être tirée de protocoles de traitement sur un effectif de malade trop faible et/ou sans comparaison avec un groupe témoin « apparié » éventuellement traité avec un autre médicament. Sauf quand le traitement « marche à tous les coups, ce qui n’est encore jamais arrivé avec ce virus, quel que soit le médicament. C’est pourquoi toutes les pistes seront essayées, par exemple pour des présomptions issues de « statistiques » (nicotine, BCG), ou envisagées (anticorps d’un Lama belge), y compris les pistes « naturelles » comme le miel.

  • Nouveaux visages du coronavirus

Avec la propagation du SARS-CoV2 en Europe, les médecins et biologistes découvrent trois autres visages au Covid-19

-il est d’autant plus contagieux qu’il surexprime les récepteurs cellulaires (ACE2) par lesquels il contamine les cellules

-il crée une maladie inflammatoire de l’endothélium qui tapisse la paroi intérieure des artères et des veines avec coagulations intravasculaires associées. Il ne s’agit donc pas d’une pneumonie banale, mais bien de caillots qui empêchent l’oxygénation du sang, un peu comme dans l’embolie pulmonaire. Et qui peut toucher l’ensemble des organes.

-il détourne la fonction des macrophages et induit une réaction hyperinflammatoire « toxique » (tempête de cytokine). Il retourne contre son hôte les défenses immunitaires qui devraient le combattre, L’œdème pulmonaire se superpose donc au tableau d’embolie. Avec des cibles diverses dans l’organisme. Il s’agit donc d’une maladie systémique.

-il interroge sur l’apparition en parallèle à l’épidémie, d’un syndrome particulier de l’enfant, rappelant le syndrome de Kawasaki, pourtant rare, comportant entre autre des signes cutanés avec un risque cardiaque Concomitance, facteur favorisant ou déclenchant, infection virale opportuniste ?

  • Modification des stratégies thérapeutiques

Au début, les essais cliniques étaient directement à visée antivirale pour l’essentiel. Mais le SARS-CoV2 s’empare du fonctionnement des cellules de l’organisme au point de le dresser contre son hôte. Il s’agit alors de franchir le cap aigu en maîtrisant ses effets sur l’hôte. Si possible en amont. Donc pas seulement en réoxygénant, y compris par assistance respiratoire,

De là les espoirs apportés par le repositionnement d’autres médicaments : modulateurs de l’immunité, ou visant à modifier la programmation des macrophages, anticoagulants (héparine) ou passant par le récepteur ACE2 et son environnement. Pour schématiser, les traitements peuvent différer selon l’élément clinique, biologique ou d’imagerie dominant.

C’est ainsi qu’on espère une deuxième vertu potentielle à un médicament qui a été un échec dans le traitement d’autres viroses (Ebola). La chloroquine ou l’hydroxychloroquine, antipaludéen dont l’effet immunomodulateur, utilisé aussi dans le lupus, pourrait tempérer la tempête de cytokines. Les résultats sont contradictoires selon les équipes et la phase à laquelle il a été prescrit. Autrement dit, il ne s’agit pas du « médicament miracle » puisque son efficacité demeure incertaine et discutée. D’autres immunomodulateurs comme le tocilizumab, un traitement pour la polyarthrite rhumatoïde) sont en tests.

Les protocoles d’essais médicamenteux doivent donc affronter la complexité de chaque malade infecté, et anticiper autant que possible leurs effets adverses, parfois importants. En même temps, ils doivent tenir compte des faits scientifiques, les critiquer, les recouper, en étudier les biais. et se défier des opinions ou des présomptions énoncées avec force. Les médias raffolent des controverses…

  • Une médecine d’interprétation et d’extrapolation

Le concept de contrôle préventif (vaccin) ou virucide (quand il existe) est répandu et connu du public. Mais il a dû s’enrichir devant le constat d’échec ou d’efficacité insuffisante de tous les protocoles thérapeutiques essayés jusqu’à présent. Pour sauver des vies, bien au-delà de la simple réplication virale, il faut prendre en compte les mécanismes complexes de biologie cellulaire.

Ainsi, la réalité médicale fait-elle exploser le schéma que l’administration parvient à imposer. Celui du fonctionnement d’un système de santé à flux tendu, d’une routine industrielle dans laquelle les médecins appliqueraient des process normés.

« Aucun médecin, en France, en réanimation, n’est formé à exercer une telle médecine. Une médecine d’évitement des risques plus que de recherche des bénéfices, une médecine d’interprétation et d’extrapolations plus qu’une médecine basée sur les preuves, une médecine parfois expérimentales, une médecine de désespoir plus qu’une médecine optimiste, une médecine de doute ».

Ainsi comprend-on mieux le désarroi des soignants qui vont au bout d’eux-mêmes, quand ils voient que les mesures barrières et les consignes de protection contre le virus sont insuffisamment suivies. Car l’épidémie reprend de la vigueur. Le constat est simple. Aucun médicament n’a eu une efficacité suffisante pour contrer la propagation de l’épidémie. Même les jeunes ne sont pas à l’abri des formes sévères et de leur séquelles, ou d’évolutions fatales. « je crois que j’ai fait une erreur », sont les derniers mots d’un jeune américain qui avait participé à une soirée Covid-19 pour en être débarrassé. Il en est mort.

 Il reste la prévention.

Protégez-vous, protégez vos proches, protégez les autres.

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