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Cancers, Parkinson… L’Inserm pointe des liens vraisemblables entre les pesticides et six maladies

Un groupe d’experts de l’Institut a réalisé une revue scientifique, publiée mercredi, des études existantes sur le sujet et mis en lumière des risques avérés pour la population, notamment à cause des épandages.

Manifestation contre les pesticides à Bordeaux, en mars 2020. (Mehdi Fedouach/AFP)

par Olivier Monod et Aude Massiotpublié le 1er juillet 2021 à 8h44(mis à jour à 9h52)

Et de six. L’exposition aux pesticides est liée, avec une «présomption forte», à pas moins de six pathologies selon douze scientifiques de l’Inserm réunis à l’occasion d’une expertise collective sur les liens entre les pesticides et la santé. Les professionnels «en contact avec des pesticides régulièrement» sont ainsi plus exposés aux myélomes multiples, cancers de la prostate, maladie de Parkinson, troubles cognitifs, lymphomes non hodgkiniens (LNH, des cancers du système immunitaire), bronchopneumopathie chronique obstructive et bronchite chronique.

«Présomption forte de lien»

Pour les riverains, les preuves sont moins solides et le niveau de présomption est seulement «faible». Mais il existe des liens possibles entre l’exposition des voisins de terres agricoles et la maladie de Parkinson. Chez les enfants, des «comportements évocateurs des troubles du spectre autistique» pourraient être liés à la proximité avec des zones d’épandages de pesticides (dans un rayon de moins de 1,5 km).

Cette étude a été commandée par cinq directions générales ministérielles afin d’actualiser l’expertise collective de l’Inserm de 2013 intitulée «Pesticides : Effets sur la santé». Pour ce faire, les chercheurs ont analysé 5 300 documents pendant trois ans pour rendre un rapport de 1 000 pages. Ils ont ajouté deux maladies aux quatre déjà identifiées il y a huit ans.

Les résultats sont aussi inquiétants pour le développement des plus petits. Ainsi, les études épidémiologiques permettent de conclure «à une présomption forte de lien» entre l’utilisation de pesticides par la mère pendant la grossesse et le risque de leucémies et de tumeurs du système nerveux central. Les insecticides organophosphorés et les pyréthrinoïdes dont l’usage a augmenté en substitution aux insecticides organophosphorés sont particulièrement visés.

«Causalité vraisemblable»

Les scientifiques de l’Inserm pointent tout de même un certain manque d’études pour analyser plus finement les liens précis entre une molécule précise et une maladie. Une absence de données déjà soulignée en 2013 et contre laquelle les gouvernements rechignent à lutter. «La qualité et la quantité des travaux sont proportionnelles aux moyens attribués à la recherche», commente l’un des auteurs Luc Multigner.

L’expertise se penche tout de même avec plus de précision sur le chlordécone, les inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (fongicides aussi appelés SDHI) et le glyphosate.A lire aussi

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Concernant le chlordécone, insecticide longtemps utilisé aux Antilles françaises, toujours présent dans l’environnement et qui fait l’objet d’une procédure au pénal lancée en 2006 par des victimes, la présomption est forte d’un lien avec le risque de survenue de cancer de la prostate. «La causalité de la relation est jugée vraisemblable», jugent les experts.

«Désastre environnemental»

Le résultat est moins clair à propos des fongicides SDHI, selon eux. «Il n’existe à ce jour pratiquement aucune donnée épidémiologique portant sur les effets possibles de ces substances sur la santé des agriculteurs ou de la population générale», écrivent les scientifiques. Ils pourraient toutefois «être considérés comme des perturbateurs endocriniens au moins chez les poissons». L’expertise appelle donc à des recherches complémentaires en épidémiologie.

Pierre Rustin, biochimiste au CNRS et expert du sujet balaye l’argument : «Les conditions ne sont pas réunies pour des études épidémiologiques rétroactives et il faudrait attendre trente ans au moins pour y arriver. Et cela même si l’on pouvait, chose impossible, dissocier l’effet des SDHI de celui des autres pesticides.» Il a participé à l’alerte scientifique lancée depuis plusieurs années contre les SDHI dans Libération. Ces composés attaquent la biodiversité et seraient toxiques pour les cellules humaines in vitro. En effet, ils empêchent l’action d’une molécule, présente chez un grand nombre d’espèces et essentielle à la respiration cellulaire. Pour Pierre Rustin, les conclusions de l’Inserm ne prennent pas en compte «le désastre environnemental entraîné par la dissémination de tous ces pesticides non spécifiques».

Des propos auxquels fait écho Jean-Marc Bonmatin, chercheur chimiste et toxicologue au CNRS, spécialiste de l’effet des pesticides néonicotinoïdes (aussi connus sous le nom «tueurs d’abeilles»). «Quand on a des éléments de présomption, même faibles (cela nécessite quand même des données conséquentes du fait des critères exigeants pour valider une étude), on devrait aller dans le sens de l’application du principe de précaution et interdire ces produits. Au lieu de ça, on applique le principe de présomption d’innocence aux pesticides.»

«Deux poids, deux mesures»

Le chercheur anticipe déjà un manque de réactions des décideurs publics et agences de régulation face aux conclusions de ce rapport : «On va encore nous dire «il n’y a pas assez de preuves», mais c’est de notre santé qu’il s’agit, des cancers de nos enfants, de leur neurodéveloppement, de la qualité de tout notre environnement. La liste de maladies données est suffisante. Le principe de précaution est inscrit dans la loi française et il doit s’appliquer. Pourquoi faut-il des démonstrations absolues pour interdire des pesticides et seulement des hypothèses rassurantes et souvent fausses pour les autoriser ? Ce sont deux poids deux mesures. Tout cela pour des intérêts privés, alors que la facture sur la santé c’est tout le monde qui la paye.»A lire aussi

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Par ailleurs, l’étude comporte quelques angles morts, au premier rang desquelles l’absence de prise en compte de l’effet de l’exposition à plusieurs molécules simultanément ou à un mélange de molécules. «En 2013, la précédente expertise avait recommandé qu’il était nécessaire de mieux caractériser les effets cocktail. Cette recommandation demeure dans l’expertise actuelle. Encore trop peu étudiés, les cocktails constituent un enjeu majeur d’étude en toxicologie expérimentale», commente Xavier Coumoul, un autre coauteur.

La question des décisions à prendre face à cet état de l’art scientifique reste aussi en suspens. Beaucoup de débats existent autour des pesticides : à quelle distance des habitations les épandages peuvent-ils s’approcher ? Quelle famille de pesticide faut-il interdire (la France n’arrive pas à se passer du glyphosate malgré l’engagement d’Emmanuel Macron dans ce sens) ? Quelles doivent être les normes de protection pour les professionnels ? Les scientifiques ont préféré ne pas s’exprimer sur ces questions.

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