Les médicaments à longue durée de vie auront une longue vie

 

Santé et transhumanisme

Une modification simple de certains médicaments pourrait augmenter leur efficacité et engendrer beaucoup de bénéfices pour quelques laboratoires.

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The Economist

Quel que soit le mal dont vous souffrez, si vous devez augmenter la dose et prendre deux comprimés chaque jour au lieu d’un, vous pouvez en accuser l’élimination par le métabolisme. Avant de pouvoir se mettre au travail, les molécules des médicaments doivent traverser un barrage biochimique, la machinerie du corps qui essaie de les décomposer. Le résultat est que la plus grande partie d’un comprimé peut être éliminée en fragments inutiles avant que ses principes aient la possibilité d’accomplir leurs miracles.

Mais le mois dernier l’Agence américaine de contrôle des produits pharmaceutiques, la FDA (Food and Drug Administration), a reçu une demande d’approbation d’un médicament, actuellement connu sous le nom de code SD-809. Il pourrait tout changer. SD-809 devrait agir contre la paralysie provoquée par la Chorée de Huntington – une maladie génétique rare et terrible. Si ce médicament est autorisé, SD 809 ouvrira les portes à une nouvelle famille de médicaments qui, grâce à quelques atomes bien positionnés dans une variante de l’hydrogène appelée deuterium, sera capable d’échapper à l’élimination par le métabolisme et restera active plus longtemps.

Les propriétés chimiques d’un atome sont déterminées par ses électrons qui interagissent avec ceux des autres atomes. Electrons et protons existent en nombre identique dans le noyau d’un atome (les électrons sont négatifs, les protons, positifs, la charge globale de l’atome est de zéro). Ce chiffre détermine aussi la nature élémentaire d’un atome.
La plupart des noyaux d’atomes contiennent aussi des neutrons qui ne possèdent pas de charge électrique. Les atomes d’un même élément peuvent posséder un nombre de neutrons différents. Ce qui change légèrement leur masse sans que leur comportement chimique change.

“L’Agence américaine de contrôle des produits pharmaceutiques, la FDA (Food and Drug Administration), a reçu une demande d’approbation d’un médicament, actuellement connu sous le nom de code SD-809. Il pourrait tout changer”

L’exception est l’hydrogène. La plupart des noyaux des atomes d’hydrogène sont des protons isolés. L’ajout d’un neutron, pour créer le deutéron, double sa masse. C’est une modification d’importance et qui a un effet notable au niveau chimique. Par exemple, les liens formé par le deutéron avec les atomes de carbone sont plus solides que ceux formés par le carbone et l’hydrogène non modifiée.

Souvent, le processus d’élimination par le métabolisme consiste à briser les liens carbone-hydrogène. Remplacer quelques atomes d’hydrogène dans le médicament peut ralentir ce processus. Ajoutez un peu de deutéron,et la durée de vie du médicament peut être prolongée.

Le deutéron résiste

Tout cela a été expliqué dans quelques brevets obscurs déposés dans les années 70, mais l’idée est restée en sommeil jusqu’au milieu des années 2000. Quelques chercheurs en chimie organique se sont à ce moment-là jetés dessus simultanément, pour la transformer en un nouveau mode de production de molécules qui était “innovant” “présumé utile”, et (du moins à cette à époque) “non évident”. En d’autres mots, brevetable.

Une série de start-up décidées à faire de l’argent sur ce principe a vite surgi. La plupart ont pris le parti de “deutéroniser” des médicaments connus, en commençant, comme l’explique Roger Tung, le patron d’une de ces start-up, “par une molécule dont nous savons qu’elle est efficace et présente une probabilité élevée d’innocuité”. Concert, sa société, se trouve dans le Massachusetts. Elle a créé une version deuteronisée d’un médicament déjà sur le marché pour traiter l’agitation des malades d’Alzheimer. Ce médicament produit sous licence par Otsuka Pharmaceuticals, à Tokyo, subit actuellement des tests cliniques à grande échelle. La société Concert travaille aussi, entre autres, sur une version deuteronisée du GHB, substance tristement connue comme la “drogue du viol” quand elle est dissoute dans les boissons, mais qui est d’abord utilisée dans le traitement des troubles du sommeil.

SD-809 lui même a été développé par Auspex, une société californienne qui s’est vendue en mai dernier pour 3,5 milliards de dollars à un groupe israélien, Teva. Il s’agit d’une version deuteronisée du tétrabenazine des laboratoires Roche, le grand groupe pharmaceutique suisse. Une troisième société, également domiciliée dans le Massachusetts, travaille sur le CC-122, désormais en phase de tests contre différents cancers. Et il ne s’agit que de quelques uns des médicaments se trouvant à une étape avancée du processus de mise sur le marché. Plusieurs centaines d’autres brevets pour des versions deuteronisées de médicaments existants ont été accordés. Cependant, le temps écoulé entre le dépôt de la demande de brevet et la mise sur le marché du médicament signifie que c’est aujourd’hui seulement que les premiers approchent du moment où ils pourront être prescrits et vendus.

Toutes les “deutéronisations” n’apporteront pas une amélioration au médicament. Certains médicaments “deuterisés” seront simplement l’équivalent de ceux existant déjà. Certains ne seront même pas aussi efficaces. Beaucoup d’autres, comme la version deuterisée du GHB de la société Concert, le seront plus. Graham Timmins, chimiste organique de l’université du Nouveau Mexique, a étudié le domaine et estime que quand tout sera dit et fait, de 5 à 10% peut-être des médicaments sur le marché seront deuteronisés. La question est : par qui ?

Cette question peut rappeler des souvenir à certains. Il y a un exemple intéressant dans le passé de l’application de cette idée fondamentale : prendre des médicaments déjà en vente et les améliorer par une manipulation qui préserve leur essence sans altérer leur substance. Cet exemple est l’isomérie optique.

“Le fait que ces médicaments sont maintenant si proches de leur mise sur le marché, laisse prévoir des batailles juridiques qui détermineront où se trouve la frontière entre l’innovant et l’évident, et par conséquent qui, à part les patients, bénéficiera des nouveaux médicaments”

De nombreuses molécules, y compris de nombreuses molécules de médicaments, existent sous deux formes, connues comme des isomères optiques, qui sont des images spéculaires, ou miroir, l’un de l’autre. Souvent, un seul de ces isomères est efficace cliniquement. Dans les années 1980, il est apparu que l’autre peut en fait être dangereux. A cette époque, néanmoins, les demandes de brevets mentionnaient rarement l’isomérie et les procédés de fabrication produisait un mélange des deux.

Les fondateurs d’une société appelée Sepracor (Sunovian de son nom actuel) avaient relevé ceci et ont commencé à développer une série de médicaments sous forme d’isomère unique, qui n’était pas couverts par les brevets existants, et qui étaient aussi souvent plus efficaces que les versions existantes. A l’époque, c’était révolutionnaire, mais distinguer les isomères est vite devenu pratique courante chez les chimistes organiques et a donc rapidement cessé d’être brevetable. Dans le jargon des brevets américains, la chose était devenue “obvious to one skilled in the art.”( évidente à une personne compétente dans ce demaine)”.

Un destin similaire attend certainement les médicaments deuteronisés. Au cours de la décennie écoulée depuis que l’idée s’est imposée, les grands groupes pharmaceutiques ont appris à mentionner les effets de la deutéronisation dans leurs demandes de brevets pour de nouveaux médicaments. Les jeux sont donc à peu près faits. De plus, une étude des bases de brevets conduite par le Docteur Timmins révèle que l’Office américain des brevets commence a rejeter les demandes de brevets pour des versions deutéronisée de médicaments existants. La deuteronisation, elle aussi, est devenu une pratique évidente.

Ceci, et le fait que ces médicaments sont maintenant si proches de leur mise sur le marché, laisse prévoir des batailles juridiques qui détermineront où se trouve la frontière entre l’innovant et l’évident, et par conséquent qui, à part les patients, bénéficiera des nouveaux médicaments. Mais qui que soit le vainqueur au tribunal, cela ne changera pas la donnée de base. Les médicaments deuteronisés seront bientôt répandus et le résultat en sera : moins de cachets à avaler.

© 2015 The Economist Newspaper Limited. All rights reserved. Source The Economist, traduction Le nouvel Economiste, publié sous licence. L’article en version originale : www.economist.com.

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