L’affaire du sang contaminé a marqué le monde de la santé comme aucun autre dossier, transformant profondément les relations malade-médecin, distillant une méfiance qui depuis s’est enkystée, provoquant aussi une nouvelle organisation de ce qui est devenu la sécurité sanitaire. Quant aux acteurs de ce drame unique, ils ont pour la plupart disparu de la scène publique. En 1992, puis en appel en 1993, ils étaient quatre médecins à comparaître. Deux étaient jugés pour «tromperie» : l’ex-directeur du Centre national de transfusion sanguine (CNTS), Michel Garretta, condamné à quatre ans de prison ferme, et Jean-Pierre Allain, responsable au CNTS du département recherche et développement, condamné à quatre ans de prison dont deux avec sursis. Les deux autres étaient poursuivis pour «non-assistance à personne en danger» : Jacques Roux, ancien directeur général de la Santé, a été condamné à trois ans de prison avec sursis alors que Robert Netter, ex-directeur du laboratoire national de la santé, a été relaxé.

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En 1999, l’ancien Premier ministre Laurent Fabius et les ex-secrétaires d’Etat Georgina Dufoix et Edmond Hervé ont comparu devant la Cour de justice de la République pour «homicide involontaire» dans l’affaire du sang contaminé. Dufoix et Fabius ont été acquittés. Seul Edmond Hervé a été condamné pour «manquement à une obligation de sécurité ou de prudence», mais il a été dispensé de peine car, selon la Cour, il «n’a pu bénéficier totalement de la présomption d’innocence», ayant été «soumis, avant jugement, à des appréciations souvent excessives».

De ces acteurs du premier cercle, certains, comme le professeur Roux, sont aujourd’hui décédés (1). Georgina Dufoix a opéré une conversion singulière au protestantisme évangélique au début des années 90, au point que durant la campagne présidentielle de 2007, elle a lancé un blog de prière pour soutenir les candidats. Edmond Hervé, lui, est resté droit dans ses bottes, demeurant maire de Rennes jusqu’en 2008. La journaliste Anne-Marie Casteret (qui travaillait alors à l’Evénement du jeudi) est morte en 2006 à Saint-Nazaire. Elle avait joué un rôle essentiel en révélant les notes du CNTS où étaient formulées des consignes sidérantes, entre autres celles d’écouler tous les stocks de produits sanguins, y compris ceux qui étaient contaminés.

La juge d’instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy a ensuite porté le dossier judiciaire, seule mais avec une obstination inégalée, en engageant des poursuites sur la question du retard des tests de dépistage. Cette insistance n’a pas été du goût du parquet, qui ne voulait plus de nouveaux procès. L’instruction s’est terminée par un non-lieu généralisé. A la retraite de la magistrature, Marie-Odile Bertella-Geffroy a endossé en 2016 la robe d’avocate et défend les malades, notamment dans l’affaire du Levothyrox.

Aujourd’hui retraité, Edmond-Luc Henry est resté, lui aussi, engagé. A l’époque victime du sang contaminé et membre très actif de l’Association française des hémophiles, il a toujours porté avec force la parole des malades, témoignant sans relâche, pour devenir ensuite président de l’AFH.

Enfin Jean Péron-Garvanoff. Qui se souvient de lui ? Il joua pourtant un rôle déterminant. Avec son frère, solitaires et rebelles, ils ont été les premières victimes à se révolter et à monter à l’assaut de la forteresse qu’était alors le CNTS. Son témoignage a été décisif pour convaincre Anne-Marie Casteret de s’occuper de ce dossier. Nous n’avons pas retrouvé sa trace. Aujourd’hui, on estime que 1 350 hémophiles ont été contaminés par le VIH. Et qu’un millier d’entre eux sont décédés.

(1) Dans une première version de cet article nous avons fait état de la mort du docteur Netter, ce qui est faux. Toutes nos excuses à nos lecteurs et à l’intéressé.

Eric Favereau