L’Humanité – Fusion Bayer-Monsanto : « la Commission européenne vient de donner naissance à un monstre »

Il n’y avait pas beaucoup d’illusions à se faire sur la décision finale. En prévenant qu’elle n’enquêterait que sous l’angle des possibles distorsions à la concurrence, la Commission européenne avait en effet clairement signifié qu’il n’était pas question de prendre en compte, dans son évaluation des conséquences de la fusion entre Bayer et Monsanto, d’autres critères que des critères strictement économiques. La question était seulement de savoir si un autre industriel du même secteur pourrait éventuellement pâtir de cette fusion, en termes d’abus liés à la position de quasi monopole du nouveau groupe.

A partir de là, le vers était dans le fruit. A aucun moment, la Commission n’a envisagé d’intégrer dans sa décision des considérations liées à l’environnement et à la santé publique, pas plus que des critères de modèles agricoles. « La grande majorité des concentrations notifiées ne posent pas de problème de concurrence et sont autorisées après un examen de routine, » avait d’ailleurs rappelé la Commission européenne. L’important pour elle, c’est d’abord la bonne santé des actionnaires.

Un modèle insoutenable
Monsanto, rappelons-le, est la compagnie qui produit le glyphosate, l’herbicide le plus vendu au monde, mais aussi le maïs Mon 810, la seule plante OGM autorisée à la culture dans l’Union européenne. C’est aussi l’entreprise qui depuis son origine au début du XXème siècle, accumule les scandales sanitaires liés à ses produits : herbicides, PCB, dioxine, sans oublier le fameux agent orange, ce terrible défoliant massivement déversé par les Etats-Unis sur les forêts et les villages pendant la Guerre du Vietnam, et dont les conséquences sur la santé ( cancers, malformations, etc… ), se font toujours sentir aujourd’hui (1.) Monsanto est aussi connu pour la puissance de son lobbying international acquise au cours d’un siècle d’expérience, ce que la décision que vient de prendre la Commission européenne ne dément pas.

Quant au groupe allemand Bayer, il fait principalement dans les produits pharmaceutiques, mais également dans les produits phytosanitaires pour l’agriculture, et, comme Monsanto, dans les semences.

Quelles vont être les conséquences de cette fusion entre le chimiste allemand et le semencier américain ?
La première, c’est la création de la plus grande entreprise intégrée au monde dans le domaine des pesticides et des semences. Pourquoi est-ce si important ? Parce qu’au delà du poids industriel et financier de la nouvelle multinationale, c’est tout le modèle agricole qu’elle véhicule qui va s’en trouver renforcé. Rappelant que la l’organisation des Nations unis pour l’alimentation et l’agriculture ( FAO ) et l’Organisation mondiale de la Santé ( OMS ) avaient déjà souligné en 2014, que la principale cause de la violation du droit des hommes à l’alimentation, était l’échec du système agroalimentaire actuel « qui avait abandonné une agriculture durable, rurale, familiale axé sur la production d’aliments sains, locaux, diversifiés et saisonniers, » le groupe espagnol Podemos, expliquait, à l’annonce du projet de fusion Bayer-Monsanto, que cette fusion aboutirait « à un modèle de surexploitation des ressources naturelles pour le bénéfice de quelques uns, » rappelant que « Monsanto est une entreprise qui défend un modèle insoutenable d’abus, de redevances, de dépendance aux produits agrochimiques, socialement pervers, et nuisibles à la santé et à l’environnement. »

L’Europe dans la main
Décuplées également, les capacités de lobbying qu’aura la nouvelle compagnie sur les pouvoirs politiques internationaux, ceux qui précisément prennent les décisions en matière d’autorisation de produits et les législations en lien avec la santé publique. Tous les produits phares du groupe sont concernés. Or la firme Monsanto a déjà prouvé, dernièrement, à l’occasion de la bataille sur le glyphosate, qu’elle était capable de se battre jusqu’au bout et de créer la surprise en jouant un rôle décisif dans le choix d’une institution pourtant aussi lourde que l’Union européenne avec ses 28 pays. En s’alliant avec l’entreprise allemande Bayer, Monsanto gagne un précieux allié dont le poids est dominant en Europe – l’Allemagne – dont on imagine mal qu’elle puisse prendre des décisions qui nuiraient à ses intérêts industriels.

L’épisode burlesque du dernier vote de l’Allemagne sur l’autorisation du glyphosate en Europe vient encore de le prouver : en novembre dernier, alors que l’Allemagne devait s’abstenir, entraînant la fin de l’autorisation du glyphosate en Europe, le ministre allemand de l’agriculture, le conservateur Christian Schmidt, avait surpris tout le monde en votant à la dernière seconde pour la prolongation du pesticide de Monsanto, soi-disant, de sa propre initiative, et sans en parler au gouvernement, mais tout de même « dans l’intérêt du pays, » c’est-à-dire, pour ce ministre conservateur, dans l’intérêt du syndicat agricole productiviste majoritaire, et dans l’intérêt de Bayer-Monsanto. Ce vote, qui a entraîné celui de plusieurs autres pays européens, a finalement abouti à la prolongation de l’autorisation du glyphosate, et des profits que va réaliser le nouveau groupe, dont le glyphosate est le produit phare.

« Du berceau au tombeau, ceux qui nous empoisonnent nous vendront aussi leurs médicaments pour nous guérir, » ironise José Bové ( Vert-ALE ), pour qui cette fusion nous plonge dans un monde « quasi-orwellien. » La Gauche unitaire européenne ( GUE-GVN ), pour qui Monsanto est « le symbole de l’agriculture industrielle et chimique qui détruit la planète, » prévoit également que des petits agriculteurs vont perdre leur travail, et que de nombreuses communautés rurales vont disparaître. Michèle Rivasi ( Verts-ALE ) énumère toute une série d’ effets nuisibles que cette fusion va entraîner : mise sous tutelle définitive des agriculteurs coincés entre des prix non rémunérateurs et un coût croissant des intrants agricoles, réduction de la diversité des semences, dépendances aux intrants phytosanitaires et aux biotechnologies, concentration financière des grands fonds d’investissement, etc… Pour Eric Andrieux ( S et D ), « la Commission européenne vient de donner naissance à un monstre, » et l’eurodéputé socialiste explique que « le modèle de développement que sous-tend le rachat de Monsanto par Bayer est aux antipodes de la transition de notre modèle productiviste vers un modèle soutenable et respectueux de l’environnement, que les citoyens appellent de leurs vœux. » Le député Vert allemand Sveg Gigold ( Verts-ALE ) parle lui, d’une « décision toxique », et conclut : « c’est un jour noir pour la démocratie européenne. »

(1) L’une des enquêtes les plus complètes sur la firme américaine est dans documentaire de Marie-Monique Robin, « Le monde selon Monsanto, » sous-titré : « de la dioxine aux OGM, une multinationale qui vous veut du bien. »
Jean-Jacques Régibier

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