A la recherche du Levothyrox perdu

Annie Notelet traverse la frontière belge pour se procurer le Levothyrox « ancienne formule ».

leparisien.fr, publié le vendredi 20 avril 2018 à 10h15

Du jamais-vu, selon les pharmaciens étrangers. Un an après la mise en place de la nouvelle formule controversée du médicament, les patients continuent à traquer l’ancienne partout en Europe. Nous les avons suivis.

À peine la voiture garée, un jeune homme lui tend un prospectus : « moins 5 % sur le tabac ». La bourgade wallonne de Quiévrain a beau être le temple en briques rouges des cigarettes pas chères, Annie Notelet est ici en quête d’un autre Graal. Comme tous les trois mois, l’enseignante retraitée de 63 ans traverse depuis Valenciennes (Nord) la frontière belge pour se procurer du Levothyrox, ancienne formule.

Un an est (déjà) passé depuis le changement de composition du médicament star de la thyroïde en France, prescrit à trois millions de patients. Mais la colère des malades, dont des milliers s’estiment victimes d’effets indésirables, ne retombe pas. Et ce, malgré la décision, prise en octobre par le ministère de la Santé, de remettre temporairement sur le marché français de l’Euthyrox -le nom européen de l’ancienne version du Levothyrox, la France étant le premier pays a avoir adopté la nouvelle formule.

Car, même si le laboratoire Merck s’en défend, les stocks limités d’Euthyrox rendent difficile l’approvisionnement des patients, là où il est simplissime à l’étranger. « De toute façon, tranche Annie Notelet, la confiance est rompue. »

Effet papillon de cette crise sanitaire sans précédent, des malades abondent ici, en Belgique, mais pas seulement. Selon une étude réalisée par l’association Vivre sans thyroïde (VST) que nous dévoilons, des centaines de patients souffrant de la glande située à la base du cou achètent leur ancien « Levo » en Espagne, Allemagne, Italie ou encore en Algérie, Grèce, Turquie… Pour eux, autant de paradis du médicament perdu.

Annie, lunettes carrées sur visage blond amical, en prend depuis qu’on lui a retiré des nodules cancéreux en 2006. « Le passage à la nouvelle formule m’a fait vivre un enfer, assure-t-elle. Palpitations, vertiges, angoisse… Mais le pire, ça a été mes intestins, tellement en feu que mon gastro-entérologue a cru à un cancer. » Alors, quand elle présente son ordonnance française d’Euthyrox au comptoir belge Scanu-Haine à Quiévrain, personne dans l’officine ne s’en étonne.

Des ventes « anormalement multipliées »

« C’est devenu une routine pour nous », admet la pharmacienne Laurence Bouchez. Vendredi dernier, quand nous accompagnons Annie, la sexagénaire est, à 15 heures, la sixième patiente de l’Hexagone à chercher ici et ce jour-là de l’Euthyrox ! Surpris, nous frappons à la porte d’une pharmacie voisine. « Rien de bizarre, note sa responsable Thérèse Van Renterghem. Moi, j’ai eu quatre Français ce matin, six hier. Nous délivrons des quantités astronomiques. »

Chez Scanu-Haine, les ventes ont été « anormalement multipliées par 10 ou 15 », estime Mario Scanu. C’est tout à fait légal si le patient a une ordonnance. Annie… en a trois. Car tout le monde ne vit pas à 21,2 km d’une route boisée vers la Belgique. « Deux patientes, de Paris et des Landes, à qui le voyage reviendrait trop cher m’ont envoyé par mail leur ordonnance, explique-elle On ne sera pas remboursées mais peu importe. »

Solution « livraison »

« Autant de problèmes avec un médicament, touchant autant d’étrangers, pendant si longtemps, c’est du jamais-vu, reprend Laurence Bouchez. C’est affolant car il en va de la santé de ces personnes. » Sans compter… le téléphone. Certes, il ne sonne plus 30 à 40 fois par jour, mais, très souvent, des Français qui ne peuvent se rendre physiquement ici demandent un envoi.

Depuis Troyes (Aube), Christine Froment a aussi opté pour la solution « livraison ». Par Internet, elle commande son Euthyrox à Kehl, en Allemagne. « J’envoie un mail avec mon ordonnance, la pharmacie m’appelle pour le règlement par carte, ajoutant 8.5€ de frais de port, et voilà, j’ai mes boîtes… et un grand sentiment de gâchis », souffle la sexagénaire. À Paris, Béatrice, 55 ans, « missionne » une amie libanaise : « Dès qu’elle va à Beyrouth, elle me ramène des boîtes. Là-bas, il n’y a pas besoin d’ordonnance. »

Les routes empruntées par Annie et les autres vont bientôt se tarir. La nouvelle formule va progressivement arriver dans chaque pays européen. « Il faut vraiment que les patients discutent d’une alternative avec le médecin », implore le ministère de la Santé. « Je ne sais pas, pas du tout, comment je vais faire », s’inquiète Annie. Signe d’un grand malaise concentré dans une petite pilule.

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