Tianjin dépolluée grâce au savoir-faire français

Par Nicolas Sridi le 28.07.2016 à 10h47, mis à jour le 28.07.2016 à 10h47

Un an après l’explosion qui a détruit une partie du port chinois, le groupe Veolia estime avoir achevé le traitement des eaux contaminées au cyanure. Reste le problème des déchets solides.

A Tianjin, un ouvrier chinois vêtu d'une combinaison de protection, sur le site de la terrible explosion d'août 2015.

A Tianjin, un ouvrier chinois vêtu d’une combinaison de protection, sur le site de la terrible explosion d’août 2015. © PEI ZHAO – IMAGINECHINA/ AFP

BAINS D’ACIDE. Une noria de camions soulève d’immenses nuages de poussière. Charbon, matières premières… Les semi-remorques surchargés défilent sans discontinuer sur la route chaotique qui conduit de la ville de Tianjin à l’usine Veolia, à une quarantaine de kilomètres de là. Les silhouettes massives des usines se succèdent dans une brume oppressante. Sur l’immense parking de l’entreprise française s’alignent d’imposants camions-citernes. “Les usines alentour nous envoient des effluents industriels, par exemple des bains d’acide pour le traitement des métaux extrêmement concentrés en polluants, explique Régis Calmels, responsable de la zone Asie pour Veolia. C’est ici que nous avons traité toutes les eaux polluées après l’explosion du site industriel de Tianjin. Cela nous a pris quatre mois !”

C’est par cette route, en effet, qu’ont été acheminés les dizaines de milliers de mètres cubes d’eau toxique recueillis après l’explosion de l’usine Tianjin Ruihai International Logistics, à 60 kilomètres du centre ville. La déflagration, d’une puissance équivalente à celle causée par 25 tonnes de TNT, a balayé les entrepôts de produits chimiques et les habitations dans la nuit du 12 au 13 août 2015, faisant – selon le dernier bilan officiel – 165 victimes dont 84 pompiers, et plus de 800 blessés. Selon les autorités chinoises, la catastrophe aurait été causée par l’auto-combustion de nitrocellulose, une substance utilisée dans les colles et enduits, en raison des fortes chaleurs : le produit se serait asséché et enflammé, engendrant les explosions meurtrières. Des poursuites judiciaires sont aujourd’hui en cours contre 123 personnes, notamment les dirigeants de l’entreprise propriétaire des entrepôts, qui stockait également sur place au moins 700 tonnes de cyanure de sodium destinées au traitement de minerais. C’est précisément ce cyanure de sodium, rapidement détecté par les spécialistes militaires chinois immédiatement arrivés sur place, qui a dès le lendemain de la catastrophe fait surgir la peur d’une pollution toxique majeure, via notamment le réseau de distribution et d’écoulement des eaux. Face à cette situation, les autorités chinoises se sont tournées vers Veolia, spécialiste du traitement de l’eau et des rejets industriels.

« Dans la nuit du 14 au 15 août, j’ai reçu un appel des autorités municipales, se souvient Ling Cai, directrice des installations du groupe. Elles me demandaient d’envoyer en urgence une équipe afin d’aider les secours à déterminer l’ampleur des risques et les réponses qu’il était possible d’apporter. Nous étions les seuls à Tianjin à être agréés pour le traitement d’effluents très toxiques, et elles le savaient. » Quelques heures plus tard, les experts de Veolia formés aux situations d’urgence arrivaient sur le site, équipés de combinaisons en PVC pour se protéger des émanations toxiques. La première étape a consisté à aider les équipes locales à gérer les eaux de ruissellement liées à la destruction des canalisations puis à l’intervention des pompiers. Des eaux contaminées au cyanure dans des proportions jusqu’alors inconnues, et qu’il a fallu contenir avec des digues de sable et des bâches adaptées. Les experts de Veolia ont ensuite prélevé des échantillons afin de déterminer la nature des produits toxiques répandus.« Les premières analyses ont eu lieu dans nos laboratoires, et elles ont montré essentiellement une pollution au cyanure, sans autres composés posant problème, détaille Régis Calmels. Certains échantillons en présentaient une concentration supérieure à 600 fois la limite légale en Chine (soit 0,5mg/l) pour pouvoir être intégrés au retraitement “classique” des eaux usées. Selon nos tests, près de 5% des eaux polluées dépassaient un tel niveau. Elles ont nécessité une incinération directe, le reste pouvant être dépollué par un traitement liquide ». À la suite de ces analyses, les autorités ont d’abord stocké les liquides avant de les faire acheminer dans les installations du groupe français. « Le challenge portait surtout sur la quantité, car nous ne pouvons traiter que 500 tonnes de liquide par jour », précise Régis Calmels.

 D’autant qu’aux tonnes d’eau en provenance du site s’ajoutaient celles de la nappe phréatique toute proche, que la municipalité a préféré faire pomper intégralement en espérant qu’elle se remplirait à nouveau naturellement grâce aux eaux de pluie et aux cours d’eau. Si l’ensemble des eaux contaminées recueillies par les autorités locales a aujourd’hui été traité, reste la délicate question des déchets solides. Que sont devenus les débris pollués comme le métal des hangars, les carcasses de voitures et les sols de la zone touchée ? Sur place, tout a été nettoyé et une partie de la terre déplacée… sans que l’on sache où l’ensemble est désormais stocké. Interrogé, Veolia affirme avoir traité dans son usine, en avril, des solides liés à l’explosion, sans donner plus de précision. Le groupe français a en effet appris à se faire discret sur ses activités en Chine, les médias locaux étant parfois prompts à accuser les entreprises étrangères de choix ou d’erreurs qui incombent en réalité surtout aux pouvoirs publics. Quant à la municipalité de Tianjin, elle avait annoncé dès septembre vouloir créer un grand parc écologique à la mémoire des pompiers disparus. L’inauguration était prévue pour cet été… mais personne n’a plus jamais entendu parler du projet. Nicolas Sridi

La Chine, eldorado des technologies de dépollution made in France ?
Le groupe français Veolia, dont les capacités technologiques en matière de traitement de la pollution sont reconnues par les autorités chinoises, est présent dans le pays depuis près de quinze ans avec une implantation sur soixante sites, dont huit dédiés aux déchets toxiques. Alors que le pays en est le premier producteur de la planète, les usines chinoises capables de gérer ce genre de contamination industrielle ne dépassent en effet que de peu la dizaine. Une situation qui tend à changer depuis dix ans, avec la mise en application de normes de plus en plus draconiennes. La catastrophe de Tianjin a encore accéléré la tendance. Suez Environnement, autre acteur français, est également présent dans le secteur, avec l’exploitation d’un incinérateur à déchets toxiques dans le parc industriel pétrochimique de Shanghai (SCIP). Pour le moment, l’avance des technologies et savoir-faire de l’Hexagone permet un développement rapide des entreprises françaises du secteur, Veolia visant les 25 % de parts de marché sur les déchets industriels à moyen terme, Suez misant sur une croissance annuelle au moins égale à celle de l’économie chinoise. Mais Pékin n’entend pas rester dépendant de l’extérieur et pousse ses propres géants locaux, les anciennes entreprises publiques de gestion des eaux et déchets des grandes métropoles, à combler au plus vite leur retard technologique.

 

 

 

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