Un marché difficile à réglementer

Le 01 décembre 2010 par Aurélie Dureuil

Jean-Pierre Collaveri Directeur Optimisation industrielle de Sanofi-Aventis

Jean-Pierre Collaveri Directeur Optimisation industrielle de Sanofi-Aventis
©© Sanofi-Aventis

Dans le cadre du « Paquet pharmaceutique », Bruxelles devrait clarifier les exigences qui s’appliquent pour la production de ces substances entrant dans la composition des médicaments. Des discussions accueillies avec prudence par les acteurs du secteur.

Comment se structure l’industrie de l’excipient pharmaceutique ? Cette question semble désuète et pourtant il est bien difficile d’y répondre tant ce marché est dispersé. « Il n’existe pas « une » industrie de l’excipient pharmaceutique. En général, la vente d’excipients ne dépasse pas 5 % du chiffre d’affaires de ces producteurs qui travaillent dans d’autres secteurs comme l’agroalimentaire, parfois même la cosmétique », analyse Patricia Rafidison, présidente de la fédération Ipec (International pharmaceutical excipients council), qui regroupe les associations régionales : Amérique du Nord, Europe, Japon et Chine. Cette organisation compte parmi ses membres des producteurs, des distributeurs mais également des utilisateurs, assure une veille réglementaire autour des excipients, et développe des référentiels tels que les systèmes de qualité en production. « Les fournisseurs ont besoin de comprendre un peu mieux les règles qui affectent leur activité lorsqu’ils servent l’industrie pharmaceutique », indique Patricia Rafidison. Car les excipients peuvent être des sucres, des dérivés d’amidon, des gélatines, etc. Leurs rôles dans le médicament sont également très diversifiés : « en général, et contrairement au principe actif, les excipients entrant dans la composition du médicament sont considérés comme « inertes » et assurent des rôles d’agents de remplissage, désagrégeant, lubrifiant, colorant, antioxydant, conservateur, adjuvant, stabilisant, épaississant, émulsifiant, aromatisant, etc. », indique l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé). Devant un milieu aussi hétérogène, il n’est pas simple d’avoir une réglementation. Surtout quand les producteurs revendiquent leur appartenance à d’autres marchés et le suivi de règlements spécifiques. Ainsi, Lore Vignoli, du département Affaires réglementaires chez Roquette Frères indique : « nous répondons à différentes réglementations et normes. De plus, Roquette est certifié ISO 9 001 pour la gestion de la qualité. »

Une réglementation floue

« L’excipient a été considéré, pendant un grand nombre d’années, comme un produit de commodité, non spécifique. Au fur et à mesure des années, les exigences réglementaires augmentent, et le rôle des excipients est devenu plus sophistiqué dans les nouvelles formulations. Des spécifications additionnelles sont apparues dans les textes réglementaires pour continuer à garantir la qualité et l’efficacité du médicament », note Patricia Rafidison (Ipec). Un défaut d’encadrement réglementaire ayant pu conduire à des accidents selon la présidente de la fédération. « Le manque de contrôles des matières premières, hors le principe actif dans l’industrie pharmaceutique, l’ignorance de certains producteurs de l’utilisation finale de leur produit et les pratiques frauduleuses peuvent être à l’origine d’accidents », indique Patricia Rafidison qui mentionne les décès de patients ayant ingérés des médicaments à base de glycérine contaminée par du diéthylène glycol en 2007. « Des discussions ont été entamées il y a environ 7 ans pour introduire des clauses concernant les excipients dans la réglementation », ajoute-t-elle.

En théorie, les excipients doivent répondre à la réglementation s’appliquant aux matières premières à usage pharmaceutique au même titre que les principes actifs. Ils sont étudiés comme substances entrant dans la formulation du médicament dans les dossiers de demande d’autorisation de mise sur le marché. « Il existe deux notes explicatives de références pour l’évaluation des excipients utilisés dans un dossier. Les critères de qualité des excipients connus doivent être en accord avec la pharmacopée européenne ou une pharmacopée des pays membres de la Communauté européenne », indique-t-on à l’Afssaps. L’agence précise par ailleurs que « si un excipient n’est décrit dans aucune pharmacopée, des spécifications de contrôle approprié doivent être fixées en termes de caractéristiques physiques, d’identification, de pureté, de dosage/teneur et autres tests pouvant influencer la performance de la forme pharmaceutique. Pour des excipients d’origine animale, les aspects tels que la sécurité virale et la conformité vis à vis du risque TSE/BSE (ndlr : bovine spongiform encephalopathy) devront être documentés. Si un excipient est nouveau (ce qui est très rare), une documentation complète devra être fournie au dossier de demande d’AMM. Ce dossier devra décrire le procédé de fabrication, la caractérisation structurale, les spécifications de contrôle et méthodes croisées avec des données de sécurité ainsi que la stabilité de l’excipient. Le dossier fourni est équivalent à celui versé pour une substance active ». Cette similarité dans le traitement des excipients et de la matière active se retrouve dans les textes concernant la production. En effet, ces substances sont toutes regroupées sous le terme de matières premières. Et c’est sur ce point que portent les discussions.

« Aujourd’hui, l’article L.5138-3 du code de la santé publique transposant des dispositions de deux directives de 2004, prévoit que les laboratoires pharmaceutiques ne peuvent utiliser de matières premières que si elles ont été produites selon les bonnes pratiques de fabrication (BPF). Ce dispositif s’applique au principe actif à usage humain et vétérinaire comme à certains excipients à usage humain uniquement », indique Lionel Viornery, inspecteur, chef de l’unité Inspection des matières premières de l’Afssaps. Encore faut-il savoir quelles sont les BPF qui s’appliquent. La directive européenne mentionnait l’établissement d’une liste d’excipients et des BPF applicables. « Ces documents n’ont jamais vu le jour. Ainsi, sur le terrain nous nous retrouvons avec une accroche réglementaire, mais ni liste d’excipients concernés ni BPF opposables », constate l’inspecteur de l’Afssaps. Difficile alors d’inspecter les sites de production en l’absence d’un référentiel opposable. « Aujourd’hui, nous n’intervenons qu’à la demande des fabricants d’excipients ayant besoin d’une attestation d’inspection pour l’export ou dans le cadre de la surveillance des fabricants de certains types d’excipients comme ceux d’origine animale. En 2009, sur les 60 inspections effectuées en France, trois concernaient des sites de production d’excipients et trois autres des unités mixtes substances actives-excipients », témoigne Lionel Viornery. Et pour chacune, les inspecteurs de l’Afssaps déterminent avec l’industriel le référentiel utilisé : les BPF sur les substances actives, le guide de l’OMS ou celui de l’Ipec. Car la fédération édite des guides sur les bonnes pratiques de fabrication, de distribution, etc. pour ses membres. Les producteurs étant ensuite libres de s’y conformer. A l’exemple de Roquette pour la fabrication de ses excipients. Jérôme Cournil, responsable du marché pharmacie pour les excipients à base de saccharose de Téréos le revendique également : « Nous nous mettons en conformité avec les prescriptions de l’Ipec. Il s’agit d’intégrer les éléments spécifiques du secteur pharmaceutique. Par exemple, en adaptant les environnements qualité ou en formalisant des pratiques que nous pouvions avoir et qui deviennent incontournables pour continuer à fournir des excipients pour ce marché ». Et si la réglementation n’est pas tellement contraignante, les fournisseurs doivent répondre aux standards fixés par leurs clients de l’industrie et sont audités régulièrement. « Nous avons un standard minimum au niveau international. Nous nous basons sur l’ICH Q7A. Nous avons un processus de sélection bien défini pour nos fournisseurs. Nous exigeons une garantie de sécurité et nous effectuons des audits. Ensuite, ils sont répertoriés dans une base de données accessible par nos acheteurs et nos usines », détaille Jean-Pierre Collaveri, directeur Optimisation industrielle de Sanofi-Aventis.

Des discussions européennes en cours

Aujourd’hui, l’Union européenne dans le cadre de l’élaboration du Paquet pharmaceutique et de la future réglementation visant à lutter contre les médicaments falsifiés entend revoir le dispositif sur les excipients datant de 2004. « Les discussions n’étant pas achevées, il faut rester prudent quant au contenu définitif. Néanmoins, il semblerait que des exigences de respect de bonnes pratiques de fabrication relatives aux excipients seront conservées », indique Lionel Viornery (Afssaps). Plusieurs points pourraient évoluer. A commencer par l’introduction d’éléments de gestion du risque. « On prendrait en compte la source, la voie d’administration, la fonction de l’excipient, etc. », précise l’inspecteur de l’Afssaps. De ces données découleraient des BPF avec des exigences graduées en fonction du risque associé à l’excipient. « Le laboratoire, titulaire de l’autorisation de fabrication, serait responsable du respect des BPF chez son fournisseur. Il y aura, ainsi, vraiment un travail à effectuer entre le fournisseur et l’utilisateur », précise Lionel Viornery. Un point qui inquiète Patricia Rafidison (Ipec). « En Europe, il risque d’être demandé aux personnes qualifiées des sites de fabrication de médicaments de certifier et d’avoir audité chacun de ses fournisseurs. Il faudrait aller au-delà des audits qui ont lieu aujourd’hui. » L’Ipec propose de mettre en place « Excipact », une sorte de label qui serait appliqué par un organisme de certification indépendant et utilisant des standards dérivés de ses guidelines. « Ainsi, nous ne recevrions en audit que les clients ayant des besoins spécifiques quant à l’utilisation de leurs excipients », ajoute la présidente de l’Ipec. Lionel Viornery écarte quant à lui la possibilité de mise en place d’inspection périodique par l’Afssaps. « Nous avons proposé de conserver le même niveau d’inspection tel que prévu dans la directive de 2004 pour les substances actives c’est-à-dire à la demande et en cas de suspicion de non-respect des BPF. » L’Ipec rappelle également que les distributeurs d’excipients ne doivent pas être oubliés. « Le circuit de distribution est assez compliqué. Il est important de regarder la chaîne entière : où l’excipient est-il fabriqué, le fabricant connaît-il l’utilisation pharmaceutique ? etc. »

Si la fédération semble se réjouir de la mise en place de cette réglementation, sa présidente se montre vigilante. « L’excipient est le véhicule essentiel et protecteur du principe actif. Il est important de s’en préoccuper, définir les rails, changer les réglementations pour que les inspecteurs puissent intervenir en cas de fraude, par exemple. Mais, il faut être conscient que les exigences doivent rester dans la limite du raisonnable en regard des risques perçus pour permettre aux fournisseurs et distributeurs de rester dans cette activité de manière viable économiquement. » En effet, les fournisseurs ne sont pas prêts à de gros investissements pour cette activité très minoritaire dans leurs actifs. Jérôme Cournil (Téréos) se veut néanmoins rassurant : « aujourd’hui, la réglementation nous rattrape et va devenir incontournable. Cependant, fort des compétences que nous avons accumulées via notre relation avec nos clients de la pharmacie, nous avons des éléments pour continuer d’être un acteur important. Cette évolution réglementaire est une opportunité. Ce sera l’occasion de faire reconnaître nos années d’expérience. » Attendue pour la fin de l’année, selon Lionel Viornery, la fin des discussions européennes devrait offrir une meilleure visibilité pour le secteur des excipients pharmaceutiques.

UNE OFFRE INTERNATIONALE

« Il s’agit d’un marché mondial avec des spécificités régionales », indique Sophie Chesnoy, responsable marketing pour la business unit pharmacie de Roquette. Une tendance confirmée par Jérôme Cournil, responsable du marché pharmacie pour les excipients à base de saccharose de Téréos. « Aujourd’hui, l’existence et le développement de notre gamme d’excipients pharmaceutiques n’est envisageable qu’au niveau international.» Le cabinet de consultant Kline qui surveille le marché des excipients analyse également ce segment comme international. « Les excipients sont produits dans toutes les zones géographiques principales, c’est-à-dire l’Europe, les États-Unis, etc. Les importations sont possibles depuis la Chine et l’Extrême-Orient. Actuellement il est plus courant de déplacer les productions de principes actifs en Asie et en Amérique latine que les productions d’excipients. La production de matières actives requiert plus de main d’œuvre. Elle concerne de petites quantités et est moins susceptible d’être automatisée. De plus, elle est plus susceptible de causer des problèmes environnementaux que la production d’excipients », indique Anna Ibbotson, responsable Industrie de la division Chemicals et Materials chez Kline. Le cabinet qui recense plus de 30 entreprises sur le marché européen estimait dans une étude en 2007 que le marché allait croître de 3 % environ en Europe pour la période 2007-2013, avec des chiffres d’affaires de 430 millions d’euros pour les liants spéciaux, les agents de désintégration et les lubrifiants et 120 millions d’euros pour les produits d’enrobage en 2007.

Jean-Pierre Collaveri Directeur Optimisation industrielle de Sanofi-Aventis

Quelles sont les grandes catégories d’excipients ?

Je distingue trois grandes familles. Les excipients « classiques » sont un support à la mise en forme technologique, la stabilité, l’observance, etc. Nous raisonnons toujours sur un triangle : principe actif, procédé de fabrication et excipient. Tout est lié. Puis les excipients « indispensables », ceux sans lesquels le produit fini n’existe pas. Ils permettent de contrôler, par exemple, la biodisponibilité. Dans certains cas comme celui du taxotère, nous avons codéveloppé un grade d’excipient avec le fournisseur. Enfin, je distingue les excipients « du futur ». Il s’agit notamment de ceux permettant d’obtenir des nouvelles formes galéniques. Les développements du fournisseur ont lieu en parallèle de nos travaux sur le produit. Cela ouvre la voie à l’innovation pure, mais cela entraîne des risques de retard de mise sur le marché.

Comment jugez-vous l’offre actuelle et ses limites ?

Il s’agit d’un marché où les fournisseurs travaillent majoritairement pour d’autres secteurs comme le bâtiment, l’alimentaire, etc. Surtout pour les excipients classiques, ils sont assez peu sensibles aux demandes de grades spécifiques. Par ailleurs, l’offre est mondiale. Nous sommes en cours d’implémentation d’une méthode pour optimiser les interactions entre les fournisseurs et nos usines : le Total cost of ownership. Nous travaillons en association avec les utilisateurs et les achats pour qualifier les fournisseurs, identifier le besoin et chiffrer le coût associé pour nos produits. Nous devons prendre en compte : le risk management. Un excipient qui entre en petite quantité dans le médicament peut mettre la production en danger, en cas de défaut chez un fournisseur. Une usine qui produit une trentaine de formules utilise environ 150 excipients.

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