Fatigue extrême et douleurs plus ou moins invalidantes font partie de leur quotidien depuis la mise sur le marché, en mars 2017, de la nouvelle formule du Lévothyrox par les laboratoires Merck. À l’époque ce médicament contre les troubles de la thyroïde est prescrit à la quasi totalité des 3 millions de malades de la thyroïde en France, dont 85% de femmes.

Au début, le changement de formule passe inaperçu. Malgré l’envoi d’une note aux médecins et pharmaciens stipulant une modification des excipients dans la composition du médicament –pour une question de stabilité- l’information n’est pas relayée auprès des patients. Certains d’entre eux expliquent pourtant avoir ressenti troubles et inconforts dès la mi-avril, sans toutefois faire immédiatement le lien avec leur traitement.

Des malades en mode survie

C’est finalement au cœur de l’été que l’affaire s’embrase. L’ANSM croule alors sous des milliers de signalements d’effets secondaires (ndlr. plus de 17.000 d’après un dernier décompte de l’ANSM paru en janvier 2018). Dans la foulée, les patients concernés se liguent en associations, réclamant le retour de l’ancienne formule.

Problème : les laboratoires Merck n’entendent pas faire machine arrière et même si l’ancienne formule est toujours produite sur le territoire (notamment en Isère, sur le site de Bougoin-Jallieu), elle est destinée à l’Italie. En France, les stocks sont voués à l’épuisement total, comme cela est également prévu, à moyen terme, dans toute l’Europe.

Deux actions en justice s’engagent contre Merck : l’une au pénal devant le tribunal de Marseille, pour « tromperie aggravée, blessure involontaire et mise en danger de la vie d’autrui », l’autre au civil, à Lyon, via une action collective pour « défaut d’information » et « préjudice d’angoisse. »

Pendant ce temps, les patients ne supportant pas la nouvelle formule expliquent « survivre ». Si certains ont fini par retrouver leur confort grâce aux alternatives au Lévothyrox depuis mises sur le marché, nombreux encore se plaignent de ne plus pouvoir vivre normalement. Solidaires, une poignée d’entre eux va jusqu’à se fournir en Euthyrox (nom donné à l’ancienne formule du Lévothyrox dans les autres pays européens) en Espagne, en Italie en Suisse ou en Allemagne, les ordonnances de tout un groupe sous le bras. De ce traitement dépend leur vie.

Pour Marie Claire, cinq femmes ont accepté de raconter l’après Lévothyrox nouvelle formule.

Anne : « Dès que des personnes vont à l’étranger, je leur demande de me ramener du Lévothyrox ancienne formule »

« J’ai 48 ans. Il y a un an : l’enfer a commencé, mon médicament a changé sans que j’en sois avertie. Par chance, je n’ai pas pris ce poison longtemps. J’ai pu revenir de suite à l’ancienne formule grâce à une chaîne solidaire et humaine qui est allée pour moi chercher le graal à l’étranger. C’est dans la difficulté que l’on reconnait ses amis.

De nouveaux médicaments ont été mis à notre disposition, mais pas tous compatibles avec mes pathologies. J’attends beaucoup du TCaps mais je ne l’ai pas encore pris. Pour deux raisons : il n’est pas remboursé par la Sécurité sociale et coûte pratiquement 13 euros par mois (j’ai l’impression d’avoir été bernée), changer de médicament peut mettre ma vie en danger. La thyroxine n’est pas du paracétamol. La marge thérapeutique de ce médicament est étroite et l’ajustement des dosages relève d’un numéro d’équilibriste. Alors si je dois vraiment en changer, je n’ai pas envie de le faire sans un minimum de sécurité car je risque d’être physiquement, intellectuellement diminuée, voire de mourir. Bref, je risque de tout reperdre.

De nouveaux médicaments ont été mis à notre disposition, mais pas tous compatibles avec mes pathologies

Alors je survis. Dès que des personnes vont à l’étranger, je leur demande de me ramener du Lévothyrox ancienne formule. J’ai perdu confiance dans le système mais je veux remercier les associations, les personnes qui ont témoigné et qui se sont mobilisées pour dénoncer, aider, supporter.

J’espère que les autorités vont se réveiller et permettre aux malades français d’acheter en France cette ancienne formule qui continue à être fabriquée sur notre territoire pour les pays étrangers. »

Marie : « J’ai tout de suite porté plainte »

« Je suis ex-infirmière à domicile. J’ai pris du Lévothyrox pendant 43 ans (sans un jour d’arrêt maladie en 40 ans de carrière). En août 2017, après seulement 17 jours sous la nouvelle formule : l’horreur ! Crise digestive terrible avec un foie démesuré ! Une prise de sang révèle un taux de gamma GT plus élevé que celui d’une personne alcoolique. À cela se sont ajoutés d’autres problèmes : je ne pouvais plus marcher, je ne pouvais plus manger -j’ai perdu 6kg en une semaine-, je ne voyais plus clair, j’étais très fatiguée.

J’ai eu beaucoup de chance car j’ai tout de suite trouvé un reste d’ancienne formule et deux jours après je recommençais à vivre ! Vu ma profession j’ai tout de suite obtenu du Lévo en Espagne et en Suisse. J’en ai même ramené de Russie en septembre ! Alors j’ai mes réserves. Depuis j’ai physiquement récupéré mais je reste très active sur les réseaux sociaux. Et bien sûr j’ai tout de suite porté plainte.

Je sais que des patients prennent sans problème la nouvelle formule, c’est tant mieux. Mais je me demande… Jusqu’à quand ? Car certains se trouvent affectés après plusieurs mois. »

Annick : « On me vole chaque jour les moments où, en retraite, j’aurais pu profiter de la vie »

« En 1996, découverte de ma maladie : Hashimoto. Après divers examens, on me dit : pas d’inquiétude, vous allez prendre ce cachet jusqu’à la fin de vos jours et tout ira bien, c’est juste la même chose que produit votre glande malade. Le fait est que jusqu’à fin mai 2017, cela s’est révélé exact. Une analyse par an de contrôle… toujours normale.

Patatras, est arrivé le Lévothyrox nouvelle formule, pris sans méfiance puisque seul l’emballage semblait avoir été modifié. Dès le début, les malaises ont commencé sans que le taux de TSH ne bouge. Consultation d’un endocrinologue qui baisse la posologie et me promet les gouttes au bout de 6 semaines si pas d’amélioration. Tout est devenu pire : douleurs musculaires, articulaires, vertiges et une si grande fatigue. J’aurais bien essayé les gouttes de L-Thyroxine Serb mais l’ANSM les réserve aux enfants et personnes âgées. J’ai réagi en important de l’Euthyrox depuis la Suisse. Immédiat soulagement, retour à la normale en dehors de quelques petites douleurs musculaires.

J’ai réagi en important de l’Euthyrox depuis la Suisse. Immédiat soulagement.

Ensuite, ce fut la course pour aller en Espagne, puis en Allemagne. Les cachets espagnols m’ayant donné au bout d’une plaquette une hausse significative de tension, j’ai pu avoir de l’Euthyrox allemand à la pharmacie. Mais il faut le commander avec force comme si nous faisions une faute. Les contrôles de TSH, je les fais à mes frais. Je me débrouille pour adapter le dosage et j’attends de pouvoir me débarrasser définitivement de Merck. Le problème à venir, c’est la recherche du bon dosage avec un nouveau produit valable. Il est très dur de penser au bout de presque une année, que nos douleurs sont peut être irréversibles.

J’ai 73 ans. On me vole chaque jour les moments où, en retraite, j’aurais pu profiter de la vie. »

Nicole : « J’ai l’impression d’avoir vieilli de 10 ans en un an »

« J’ai le sentiment d’un gâchis : on nous a volé un an de notre vie et ce n’est pas fini… Une incompréhension aussi : pourquoi avoir changé la formule de ce médicament efficace et sûr pour un autre qui a été délaissé par 500 000 à un million de personnes qui ne le supportent pas ? Pourquoi ne pas nous rendre l’ancien ?

Une colère : car on a essayé de nous faire taire, on nous a humilié.e.s en nous traitant de « victimes des réseaux sociaux », Facebook aurait influencé notre ressenti, on nous a même accusées de vouloir ‘faire le buzz » quand nous étions, par un froid polaire, devant l’usine de Bourgoin-Jallieu qui fabrique toujours l’ancien Levothyrox à destination de l’Italie… mais pas pour nous !

Pour ma part je vais mieux physiquement et moralement depuis que je prends l’Euthyrox italien, mais j’ai l’impression d’avoir vieilli de 10 ans en un an. Il me reste fatigue, troubles de la mémoire et peur. Et la peur du lendemain : vais-je continuer à trouver mon médicament ?

Je n’ai plus confiance, comme tous les malades, dans un médicament que je dois pourtant prendre tous les jours. C’est difficile à vivre. Heureusement nous avons un collectif dans notre département, que j’anime de mon mieux, cela m’aide beaucoup.

Les seuls points positifs de ce scandale : la solidarité et la connaissance nouvelle de notre maladie car nous avons découvert l’importance de la thyroïde et de son traitement. Les maladies de la thyroïde touchent surtout les femmes et encore plus quand elles avancent en âge. »

Corinne : « J’avais la sensation que j’allais mourir »

« J’ai 49 ans et j’ai pris du Lévothyrox depuis l’âge de 25 ans jusqu’à l’été dernier. J’ai ressenti les premiers effets secondaires après seulement quelques jours de traitement, mais je dis cela avec le recul.

D’abord, j’ai perdu mes cheveux, par touffes entières. J’ai ensuite ressenti une fatigue massive qui ne pliait pas après beaucoup de repos. Puis je me suis retrouvée avec une espèce de lumbago, j’avais les hanches bloquées, cela a duré près de 3 semaines. Mes vacances se sont résumées à un aller-retour entre mon lit et mon canapé et la sensation que j’avais quelque chose de grave et que j’allais tout simplement mourir. C’était ultra angoissant.

Jamais je n’aurais imaginé un lien avec ce médicament que je prenais depuis tant d’années, je ne me suis pas une seule fois la question de ce que j’avalais. Mon mari, médecin spécialiste qui est lui même allé me chercher mon Lévothyrox à la pharmacie, n’a pas fait le lien entre le changement de boîte (vendu par la pharmacienne comme un changement de packaging) et les symptômes. C’est en allant fouiller sur internet et en trouvant des gens qui vivaient la même chose que moi que j’ai enfin compris. J’ai alors contacté Me Leguevaques (ndlr : en charge de l’action collective au civil). Je n’imaginais pas que j’allais, par cette action, rallier des milliers de patients qui ont vécu la même chose que moi.

Pour mon médecin, je somatisais, je n’avais « qu’à pas aller sur les réseaux sociaux »

Pour mon médecin de l’époque, mes symptômes ne présentaient pourtant aucun lien avec le Lévothyrox. Je somatisais, je n’avais « qu’à pas aller sur les réseaux sociaux ». J’ai donc en urgence cherché et trouvé une endocrinologue qui a été géniale avec moi, m’a écouté et prise au sérieux. Je crois que cette femme m’a vraiment sauvée la vie même si presque un an après je ne me sens pas encore tout à fait sortie d’affaire.

J’ai de suite abandonné le Lévothyrox pour les gouttes de L-Thyroxine du laboratoire Serb. Ma mère, elle, a dû aller se fournir en Espagne. Heureusement que nous ne sommes qu’à 2h de la frontière !

Aujourd’hui, je n’ai plus aucune confiance en Merck et dans les produits qu’ils peuvent mettre sur le marché. Que se passera-t-il lorsque l’ancienne formule aura disparue des pays limitrophes où des centaines de personnes vont s’approvisionner ? »

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*Chiffre communiqué par le ministère de la Santé le 9 mars 2018