Atteinte hépatique au cours des maladies de la thyroïde

Les interactions entre le foie et la thyroïde sont nombreuses. Le foie joue un rôle important dans le métabolisme des hormones thyroïdiennes [1] et celles-ci modulent, au niveau hépatique, tant la croissance et la différenciation cellulaire [2] que le métabolisme de diverses substances, comme la bilirubine et les acides biliaires [3]. Les dysthyroïdies, si fréquemment observées au cours des hépatopathies, en particulier virales [4], ne seront pas abordées dans cet article. Seules les atteintes hépatiques secondaires aux maladies thyroïdiennes seront discutées.

Atteinte hépatique au cours de l’hyperthyroïdie

Symptomatologie

Quelle qu’en soit l’étiologie, l’hyperthyroïdie, définie par un excès d’hormones libres, se manifeste, sur le plan clinique, par une nervosité, une labilité émotionnelle, des tremblements, une accélération du transit intestinal, une thermophobie et un amaigrissement [1]. Elle s’accompagne fréquemment de complications cardiaques telles qu’une tachycardie et une insuffisance cardiaque à haut débit [1]. L’atteinte hépatique, décrite pour la première fois par Habershon en 1874 [5], peut se manifester par un prurit. À l’examen clinique, un ictère, une hépatomégalie et/ou une splénomégalie peuvent être observés [3], en l’absence d’insuffisance cardiaque [6]. La fréquence des symptômes cliniques varie selon les études. En l’absence de décompensation cardiaque, l’ictère est observé dans 0 % [7] à 32 % [8] des cas, une hépatomégalie dans 18 % [9] à 28 % [8] des cas et une splénomégalie dans 2,5 % [9] à 5 % (8) des cas.

Anomalies biochimiques

Sur le plan biologique, 45 % à 90 % des malades hyperthyroïdiens ont une ou plusieurs anomalies des tests hépatiques [3]. Celles-ci varient d’anomalies biologiques modérées à une insuffisance hépatocellulaire sévère [8]. L’anomalie la plus fréquente est une élévation de l’activité sérique des phosphatases alcalines, observée dans 40 % [10] à 73 % [11] des cas. Elle est généralement secondaire à une élévation de la fraction osseuse de l’enzyme [11]. L’activité de la gamma glutamyltranspeptidase (gGT) peut également être augmentée : Azizi et al. [12] rapportent une élévation de l’activité de la gGT chez 62 % de malades hyperthyroïdiens mais les études récentes rapportent une incidence d’environ 15 % [7, 11]. Une augmentation de l’activité de l’ALAT est observée chez 14 % [12] à 37 % [7] des malades. Une insuffisance hépatocellulaire peut survenir au cours de l’hyperthyroïdie : Fong et al. [8] rapportent un taux de prothrombine inférieur à 40 % chez 16 % des malades et une hypoalbuminémie inférieure à 30 g/l chez 28 %. Ces anomalies biologiques sont majorées en cas d’insuffisance cardiaque [3, 8] ou d’hépatopathie sous-jacente [13, 14].

Histopathologie

Les anomalies histologiques hépatiques observées chez les malades hyperthyroïdiens sont extrêmement variables selon les auteurs. Les premières études, généralement autopsiques, montraient des modifications histologiques variant d’une inflammation modérée à une cirrhose [15, 16], mais de nombreux malades étaient atteints de décompensation cardiaque. Des rapports plus récents, basés sur des biopsies percutanées, montrent des modifications aspécifiques : polymorphisme avec hyperchromatisme, noyaux vacuolés et stéatose [17, 18]. La seule étude publiée après la découverte du virus de l’hépatite C, par Sola et al. [19], met en évidence deux anomalies constamment observées : une cholestase intrahépatocytaire, surtout centrolobulaire, et un infiltrat inflammatoire lobulaire modéré. Un polymorphisme et une hyperplasie des cellules de Kupffer dans les sinusoïdes sont observés de façon inconstante.

Pathogénie de l’atteinte hépatique

Les mécanismes responsables de l’atteinte hépatique au cours de l’hyperthyroïdie, en l’absence d’insuffisance cardiaque, sont mal connus. Un effet toxique direct des hormones thyroïdiennes n’a jamais été démontré [6]. L’état hypermétabolique caractéristique de l’hyperthyroïdie pourrait augmenter la demande hépatique en oxygène suite à l’augmentation de l’activité mitochondriale [20]. Le flux sanguin hépatique n’augmente cependant pas [21]. L’hypoxie tissulaire qui en résulte pourrait expliquer les anomalies biologiques et la cholestase intra-hépatocytaire [3]. Les hormones thyroïdiennes modulent le métabolisme de la bilirubine [22] en déterminant l’activité enzymatique de la bilirubine-uridine-diphosphate-glucuronosyltransférase (UDP-GT) (figure 1). L’hyperthyroïdie entraîne une cholestase par réduction de l’activité de l’UDP-GT, responsable d’une diminution de la formation de bilirubine diconjuguée [22]. Il en résulte une augmentation de l’excrétion basale de bilirubine monoconjuguée dans la bile [23] et une augmentation de la bilirubine non conjuguée dans les hépatocytes et dans le sérum [23]. L’excès d’hormones thyroïdiennes entraîne aussi des altérations du métabolisme des acides biliaires : la synthèse d’acide cholique est réduite et celle de l’acide chénodésoxycholique augmentée, suite à l’inhibition de la 12a-hydroxylase [24]. Ces modifications qualitatives du pool des acides biliaires pourraient être responsables du prurit observé chez certains malades.

Influence du traitement

Les traitements antithyroïdiens, en particulier le propylthio-uracil, peuvent entraîner une perturbation des tests hépatiques : une élévation de l’activité de l’ALAT est observée chez environ 30 % des malades traités [25]. Des cas d’hépatite sévère ont également été rapportés [26].

Atteinte hépatique au cours de l’hypothyroïdie

Symptomatologie

L’hypothyroïdie, définie par une synthèse insuffisante d’hormones, se manifeste, sur le plan clinique, par une asthénie, une lenteur d’idéation, une frilosité, une constipation, des myalgies et un gain pondéral [1]. Elle peut se compliquer d’un myxœdème, si le diagnostic est tardif [1]. Les manifestations cliniques d’une atteinte hépatique au cours de l’hypothyroïdie sont rares. Une hépatomégalie modérée est l’anomalie la plus fréquemment observée [3]. L’ictère est rare [27] en dehors de l’hypothyroïdie néonatale [1]. L’apparition d’une ascite riche en protéines, en l’absence d’insuffisance cardiaque congestive, a été rapportée. Elle s’observe chez moins de 4 % des malades hypothyroïdiens [28, 29] et est souvent associée à d’autres épanchements, pleuraux ou péricardiques [30]. Enfin, certains auteurs ont rapporté une augmentation de la prévalence de la lithiase vésiculaire dans l’hypothyroïdie [3].

Anomalies biochimiques

L’hypothyroïdie est fréquemment associée à une élévation de l’activité sérique de l’ASAT et de la lactate déshydrogénase [3]. Dans la plupart des cas, ces perturbations enzymatiques sont d’origine musculaire, comme en témoigne l’élévation concomitante de l’activité de la créatinine phosphokinase [31]. Une cholestase peut s’observer dans de rares cas [27]. Ces anomalies sont réversibles lors de la normalisation de la fonction thyroïdienne [27].

Histopathologie

Peu d’études ont analysé les modifications histologiques hépatiques au cours de l’hypothyroïdie. Ariza et al. [27] rapportent l’absence de lésion, mais le traitement substitutif était instauré lors de la réalisation de la biopsie hépatique. Les anomalies décrites dans l’ascite myxœdémateuse consistent en une fibrose congestive centrolobulaire [32].

Pathogénie de l’atteinte hépatique

Les mécanismes responsables de l’atteinte hépatique au cours de l’hypothyroïdie sont mal connus. L’ascite pourrait résulter d’une augmentation de la perméabilité capillaire liée aux faibles taux d’hormones circulantes [28], d’une excrétion inappropriée d’eau libre par anomalie de la sécrétion de vasopressine [28] et d’un défaut d’adaptation compensatoire du flux lymphatique péritonéal [33]. La cholestase semble résulter d’une diminution de l’excrétion biliaire de bilirubine [22, 23] et des acides biliaires [24] (figure 1). Enfin, l’hypomobilité de la vésicule et l’augmentation de la saturation de la bile en cholestérol seraient responsables de l’augmentation de la prévalence de la lithiase vésiculaire [3].

Atteinte hépatique au cours des thyroïdites

Les thyroïdites peuvent s’accompagner d’une atteinte hépatique, secondaire à l’hypo- ou à l’hyperthyroïdie qu’elles entraînent. Cependant, indépendamment du taux d’hormones circulantes, les thyroïdites pourraient, chez environ 50 % des malades, entraîner des perturbations des tests hépatiques [34].

Diverses associations entre thyroïdites et hépatopathies chroniques ont été décrites. Elles sont rares et sont rapportées dans le tableau 1.

Atteinte hépatique au cours des cancers de la thyroïde

Les cancers folliculaires et papillaires de la thyroïde, à l’exception des formes anaplasiques, ne métastasent que tardivement dans le foie [46]. En revanche, dans les carcinomes médullaires de la thyroïde, des métastases hépatiques surviennent dans 20 % des cas [47]. Une cholestase paranéoplasique peut également s’observer [48].

CONCLUSION

En conclusion, l’atteinte hépatique au cours des maladies thyroïdiennes est fréquente, en particulier chez les malades hyperthyroïdiens. Les signes cliniques d’hépatopathie sont généralement frustes, mais une perturbation de l’enzymologie hépatique est couramment observée, de telle sorte que, devant toute cytolyse ou cholestase d’origine inexpliquée, une dysthyroïdie doit être recherchée. *

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