Modes de production du médicament générique et conditions d’emplois

Résumés

’article montre que la promotion des médicaments génériques par les pouvoirs publics depuis la fin des années 1990 pour réduire le déficit de la Sécurité sociale participe à la transformation des modèles productifs dans l’industrie pharmaceutique. Du produit à bas prix à la production à bas coût, il s’agit d’examiner les effets de la « low costisation » sur les caractéristiques du médicament simplifié à l’essentiel, mais aussi sur les modes d’organisation du travail, les conditions d’emploi, les procédés, à partir de la situation d’une usine appartenant à un groupe génériqueur. L’article propose enfin une réflexion sur l’arrivée d’une économie du low cost sur un marché très régulé et historiquement protégé.

1En janvier 2017, la CGT Sanofi publie un communiqué suite à la requalification en CDI des contrats de 50 salariés précaires travaillant dans l’usine de production de médicaments de Val-de-Reuil dans l’Eure1. Le syndicat constate la forte augmentation du nombre de CDD et d’intérimaires chez Sanofi : passés de 2 500 à 4 000 entre 2007 et 2016, les précaires représentent 18 % des effectifs en France, « alors même que la santé financière du groupe n’est plus à démontrer ». À cette occasion, la CGT dénonce plus globalement une précarisation « intolérable » des effectifs et, par ailleurs, « préjudiciable à la qualité de la production ».

2La relation établie entre la précarité des emplois et la qualité de la production mérite d’être examinée car elle est révélatrice des transformations survenues dans la fabrication de médicaments en France depuis la fin des années 1990, en partie sous l’effet du développement des produits à « bas prix », les génériques. Ce mouvement est lié aux politiques de santé publique visant à réduire le déficit de la Sécurité sociale par la promotion des médicaments génériques, leur substitution aux produits brevetés et par un déremboursement progressif de ces derniers (Ricard, 2014). Historiquement, l’industrie pharmaceutique est fondée sur une économie de la rente, dans laquelle l’accès au marché du médicament est protégé par une réglementation sophistiquée et des prix négociés entre pouvoirs publics et industriels en dehors des jeux de l’offre et de la demande (Fournier, Lomba et Muller, 2014). Dans ce cadre, l’industrie s’est peu préoccupée « d’optimiser » la productivité dans les usines puisque ses résultats dépendaient surtout de la mission que lui confient les pouvoirs publics : délivrer des médicaments sûrs sur le plan thérapeutique et en quantité suffisante pour garantir la santé de la population. Si le « princeps » (ou médicament original) est présenté comme un produit de la recherche, sophistiqué, justifiant des brevetages et un prix élevé, le générique est fondamentalement un produit réduit à ses fonctions essentielles (l’efficacité thérapeutique), issu d’une stratégie de simplification et de réduction des coûts. Son développement incite l’industrie pharmaceutique à réviser son modèle productif.

3C’est l’objet de cet article qui montre les possibilités d’une « low costisation » non souhaitée par le consommateur final, mais imposée par l’État, à la différence de ce qui se passe dans d’autres secteurs (Combe, 2011). Nous présenterons d’abord les manières dont le générique a été progressivement imposé comme une des solutions pour réduire les déficits de la Sécurité sociale en France, dans un contexte d’internationalisation et de financiarisation du secteur. De la promotion du bas prix à la production à bas coût, le médicament générique est l’objet d’une redéfinition de ses caractéristiques admissibles : un produit « différent » de l’original mais « équivalent ».

  • 2 L’enquête a été réalisée dans le cadre d’une recherche collective coordonnée avec Pierre Fournier (…)

4Parce que l’arrivée de ces productions modifie les modèles productifs vers l’optimisation économique, nous examinerons dans un deuxième temps les effets de ce processus sur une usine de fabrication de médicaments et sur ses personnels2. Il apparaît, comme ailleurs, un renforcement de méthodes et de pratiques de réduction des coûts (lean) qui contribuent à dégrader les conditions d’emploi.

5Au niveau de l’entreprise, nous essaierons de comprendre les différences « équivalentes » entre les procédés de fabrication d’un médicament original et ceux d’un générique pour évaluer ce que peut être un produit low cost dans l’industrie pharmaceutique (et dans quelle mesure, il répond aux définitions usuelles).

6En discussion avec des travaux sur le low cost (Fay et Reynaud 2009 ; Combe, 2011), il s’agira enfin de réfléchir à la production à bas coût comme un processus sectoriel qui se développe en partie par la recherche de leviers de croissance et/ou par la reconfiguration d’un niveau de qualité standard des produits et des systèmes productifs de secteurs industriels historiquement très encadrés.

1. Une montée des génériques suscitée par la demande publique

7Le médicament générique s’est imposé rapidement en France et dans d’autres pays de l’OCDE comme une alternative au « princeps ». Mais contrairement aux secteurs où le low cost est la résultante d’une rencontre entre l’offre et la demande du client autour du produit, il se développe ici en lien avec des préoccupations de réduction des déficits publics et donc de promotion par les autorités publiques d’un médicament à bas prix. Nous nous intéressons dans cette partie à ce processus qui consiste à promouvoir tout en définissant ce qu’est un médicament générique « équivalent, mais différent » pour nous pencher ensuite sur les orientations économiques et productives de l’industrie pharmaceutique visant à externaliser les coûts directs.

1.1. La promotion étatique du médicament à « bas prix »

8En France, l’existence légale du générique est consacrée tardivement, par l’ordonnance du 24 avril 1996 relative à la maîtrise médicalisée des dépenses de soins :

  • 3 Ordonnance n° 96-345 du 24 avril 1996 relative à la maîtrise médicalisée des dépenses de soins (JO (…)

On entend par spécialité générique d’une autre spécialité une spécialité qui a la même composition qualitative et quantitative en principes actifs, la même forme pharmaceutique, et dont la bioéquivalence avec l’autre spécialité a été démontrée par des études appropriées de biodisponibilité3.

9Pour comprendre ce qu’est un produit low cost et les problèmes de définition que cette idée soulève, on peut prendre appui sur le bornage proposé par Emmanuel Combe :

[…] à vrai dire, pour cerner la nature profonde du low cost, il conviendrait de partir de la demande finale, c’est-à-dire du consommateur. Le low cost est d’abord un modèle qui part des besoins du consommateur, pour les redéfinir dans le sens d’une simplification extrême. Chaque produit et service sont repensés pour être « mis à nu », « découpés », « dépouillés » de leurs fonctions annexes jusqu’à n’en retenir que le cœur, c’est-à-dire la fonction essentielle, celle qui satisfait un besoin minimal. (Combe, 2011, p. 5)

  • 4 ANSM, Rapport : les médicaments génériques, des médicaments à part entière, décembre 2012, 68 p.

10Durant la période d’institution du générique, un des enjeux est de promouvoir un produit à bas prix en défendant ses similitudes essentielles et ses différences admises, tant sur le plan médical que sociétal. Dans un rapport de promotion du générique4, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) explique les différences réglementaires admises :

Il [le médicament générique] peut présenter des différences, à condition qu’elles n’affectent pas la bioéquivalence du médicament générique par rapport au médicament de référence, seule garantie d’une activité thérapeutique identique. En d’autres termes, ces différences ne doivent pas modifier la quantité et la vitesse auxquelles le principe actif est libéré dans l’organisme.
Ces différences résident en particulier dans la composition en excipients qui sont des substances sans activité pharmacologique. Ils servent notamment à mettre en forme le médicament et à amener le principe actif dans l’organisme à l’endroit où il doit agir. Ils ont un rôle dans l’absorption et la stabilité du médicament et conditionnent son aspect, sa couleur et son goût. (ANSM, 2012, p. 5)

11Dans ce rapport aux différences admises, Jeremy A. Greene (2014) s’intéresse aux génériques dans la mesure où ils permettent d’analyser les controverses scientifiques sur ce qu’est le produit « équivalent », le « semblable », et sur la base de quels critères. Le médicament générique n’est pas le même que l’original, mais l’interchangeabilité fonctionnelle réside dans la preuve admise qu’il est suffisamment semblable de manière à être fonctionnellement interchangeable. Les critères d’interchangeabilité et les seuils d’équivalence acceptables sont élaborés par les industriels et les autorités sanitaires. C’est sur ces bases que se définissent selon Greene les possibilités « d’adultération », c’est-à-dire les possibilités de remplacement des composants et des procédés les plus coûteux par d’autres qui le sont moins.

12De quelle manière peut-on fabriquer du « différent-équivalent », moins coûteux, dans un monde productif très réglementé où même les ingrédients, les machines, les procédés de fabrication, les effectifs et les cycles de formation des personnels sont intégrés aux « autorisations de mise sur le marché » (AMM), préalables à toute commercialisation de médicaments sous prescription ? Dans son rapport au nom de l’Académie nationale de médecine, Charles Joël Menkès (2012) met en avant le fait que les tests cliniques et les dossiers d’AMM sont simplifiés pour les génériques (puisque les originaux ont prouvé leur efficacité thérapeutique). Ensuite, « les différentes formes pharmaceutiques orales à libération immédiate sont considérées comme une même forme pharmaceutique […]. En fait, ces différentes formes sont loin d’être équivalentes et leurs propriétés doivent être précisées au regard de la sécurité et de l’efficacité ». En dehors du principe actif, ce sont donc les autres composants du produit qui font l’objet de variations : « Le générique n’est pas la copie conforme de la spécialité référente dans sa présentation, des comprimés pouvant être remplacés par des gélules, ou dans la nature de l’excipient qui doit être mentionnée dans la notice destinée aux patients. Le changement d’excipient peut occasionner des réactions allergiques plus ou moins sévères, notamment avec les formes orales des antibiotiques à usages pédiatriques. » Ainsi, « les autorités sanitaires ont établi à l’issue de leurs contrôles un taux de non-conformité de 6 % pour les princeps, et 9,6 % pour les génériques, différence jugée non significative ». Pour conclure, selon Menkès, à mesure que le marché d’approvisionnement et de production s’internationalise, les contrôles des autorités sanitaires se complexifient avec des incidences problématiques : « Les bonnes pratiques de fabrication des médicaments génériques sont très couteuses et certains fabricants n’hésitent pas à les contourner, aussi bien dans les pays émergents comme l’Inde, qu’au Canada ».

13À l’appui de ces travaux, les différences admises entre le produit original et le générique sont nombreuses dès lors que le principe actif est véritablement le même. Ces différences donnent des marges de manœuvre aux industriels qui sont autant de possibilités « d’adultération », dans le sens d’une simplification orientée vers le moindre coût.

  • 5 Décret n° 99-486 du 11 juin 1999 relatif aux spécialités génériques et au droit de substitution du (…)
  • 6 Plan national d’action de promotion des médicaments génériques, Ministère des Affaires sociales, d (…)

14Mais contrairement à d’autres formes de low cost, comme le hard discount issu d’une redéfinition des besoins estimés du client, le générique est – une fois borné juridiquement – promu activement par les pouvoirs publics grâce à des mesures incitatives telles que le « tiers payant contre générique » en 19995permettant la vente de ces médicaments et leur remboursement par la Sécurité sociale. Dans ce cadre, le refus des génériques a pour conséquence de ne plus permettre à l’assuré de bénéficier du tiers payant (Nouguez, 2009). Les autorités agissent parallèlement sur la réduction des prix de vente, et à partir de février 2006, le prix du générique doit être inférieur de 40 % à celui du princeps. D’autres mesures interviennent régulièrement dans cette perspective. Après une période de stagnation de la substitution, le ministère de la Santé décide en 2012-2013 d’inciter à la substitution dans les grands secteurs de prescription, les EPHAD (établissements pour personnes âgées dépendantes) et le secteur hospitalier. Pour ce faire, les fabricants sont tenus de produire des médicaments en unité de prise6.

15Ces mesures permettent le développement rapide des parts de marché du générique en France. Au début des années 1990, il ne constitue que 2 % du marché total des médicaments en volume. Entre 2002 et 2014, le nombre de boîtes de médicaments génériques vendus est passé de 225 millions (une boîte sur dix), à 787 (près d’une boîte remboursable sur trois). Mais cette croissance est moindre que dans d’autres grands pays producteurs-consommateurs, tels que l’Allemagne, le Royaume-Uni où les génériques représentent trois boîtes vendues sur quatre (Dahan, 2016). Parce qu’elle est fondée sur le bas prix, la promotion des génériques par les gouvernements successifs met directement en jeu les coûts de production qui deviennent une véritable préoccupation pour l’industrie.

1.2. La diffusion de la logique low cost et l’externalisation des coûts

  • 7 « Le façonnage pharmaceutique en France : la consolidation en point de mire », Precepta, Groupe Xe (…)

16Les années 1990 sont marquées par une harmonisation des règles et des normes internationales qui accompagnent la concentration et la financiarisation du secteur. Les nombreuses fusions-acquisitions donnent rapidement lieu à la création d’un paysage oligopolistique réduit à quelques firmes internationales. Dès 2004, les dix plus grosses firmes se partagent près de 50 % du marché mondial (Montalban, 2010). Les fusions, parce qu’elles nécessitent de lourds endettements, conduisent à un recentrage sur les « cœurs de métier » et, comme dans le transport aérien, à des formes d’externalisation des coûts fixes. Parmi les stratégies déployées par les firmes à l’égard des génériques, un mouvement consiste à externaliser une partie de la fabrication des médicaments et à en confier la production à des entités filialisées ou à des sous-traitants (dits façonniers dans le milieu) qui rachètent des usines aux grands groupes afin d’optimiser les modes de production. En France, alors que la sous-traitance de production compte 35 usines en 1996, elle détient 75 sites en 2014 sur les 224 usines en France, soit 33 % des sites de production, pour la plupart acquis auprès de grands groupes7.

  • 8 D’autres associations effectuent ce même travail à l’échelle européenne et mondiale : « Medecines (…)

17Ce mouvement participe à l’apparition de nouveaux acteurs spécialisés dans la fabrication de génériques, qui restent minoritaires mais font valoir leurs intérêts auprès des autorités. Ainsi en France, le GEMME (GEnérique Même MEdicament), créé en 2002, est l’association des industriels du médicament générique œuvrant à sa promotion et sa commercialisation8. En 2017, il regroupe les 21 principaux génériqueurs du marché français. Il intervient par exemple pour contester la baisse par trois du prix de vente de médicaments génériques, décidée sans concertation par les pouvoirs publics (Garnier, 2016).

18La montée en puissance de ces « nouveaux » acteurs industriels ne remet pas en cause la domination des grandes firmes, mais, comme dans le low costaérien, elle « vient remettre en cause les positions établies des opérateurs installés, les forçant à s’adapter à cette nouvelle donne » (Combe, 2011, p. 7). Tandis que les grandes firmes se concurrencent principalement sur quelques produits phares (les blockbusters, au chiffre d’affaires annuel excédant le milliard d’euros), les génériqueurs, qui n’occupent qu’un segment du marché, se concurrencent sur les prix. Leurs résultats sont davantage dépendants des coûts de fabrication et des gains de productivité, et ils sont tenus de trouver des leviers de réduction des coûts. Parmi les leviers identifiés par Emmanuel Combe (idem, p. 20-21), plusieurs s’appliquent à l’industrie pharmaceutique : la standardisation des équipements qui permet de réduire les coûts d’entretien et de maintenance ; l’optimisation des lignes de production et leur usage intensif ; la réduction des temps non productifs ; l’externalisation des coûts fixes tels que l’entretien, la formation, le recrutement ; l’ajustement des effectifs aux besoins de production ; l’augmentation des heures travaillées et des formes de polyvalence ; une augmentation de la part variable des rémunérations ; une simplification des procédés de fabrication par une simplification du produit.

19Comme c’est le cas du site étudié dans cet article, dans les usines passées aux mains des génériqueurs, le changement de statut s’accompagne d’une pression productive toujours délicate à mettre en œuvre, car l’activité pharmaceutique est fortement contrainte sur le plan réglementaire.

2. Le cas d’une usine de fabrication soumise à la logique low cost

  • 9 Il est l’un des premiers groupes de façonnage et génériqueur en France. Il possède six sites de fa (…)

20On peut saisir ce que sous-tend la logique low cost à partir de la situation d’une usine de fabrication de médicaments princeps et génériques, à la suite de son rachat à une firme internationale par un façonnier9. Les transformations de l’organisation du travail, du management, de la gestion des personnels avec un recours accru aux contrats précaires, vers une optimisation continue, nous permet de comprendre de quelle manière s’incarne le processus de « low costisation » dans les entreprises.

2.1. Passer en régime de sous-traitance et réduire les coûts

21La firme internationale étudiée ici s’est lancée durant les années 2000 dans un mouvement d’externalisation de sa production qui se traduit par la vente de 6 usines sur les 12 qu’elle possède en Europe. En 2006, lors de l’annonce du rachat de l’usine de fabrication par un façonnier, les salariés apprennent que le personnel administratif et les visiteurs médicaux restent dans le giron de la firme. Seule l’usine de production est revendue au façonnier. L’accord de reprise est assorti d’un plan de reclassement concernant 45 salariés et le maintien sur site de 345 autres (ils ne sont plus que 300 en 2015). Le site devenu fournisseur de son ancienne société reste pour elle stratégique, car dédié à la fabrication de formes sèches (en comprimés, dragées ou gélules) qui font l’objet d’une demande régulière. Dès la reprise du site, la gestion des personnels et les conditions d’emplois sont réexaminées en vue d’optimiser les performances en réduisant les coûts.

22À l’automne 2006, le changement de convention collective entre en vigueur et les nouveaux accords, négociés avec les syndicats, sont connus du personnel : maintien des niveaux de rémunération pour les titulaires. Par contre, le reste de l’accord prévoit la modulation du temps de travail qui se conclut par 212 jours travaillés au lieu de 192 et une réorganisation des équipes en 3 × 8 et non plus en 2 × 8 comme précédemment. En outre, la grille salariale est individualisée, avec une augmentation de la part variable et des primes sur résultats. Le changement de cap s’exprime plus clairement à l’issue du discours du nouveau PDG en décembre 2006 :

À mon avis, il voulait nous faire un petit électrochoc pour nous faire comprendre qu’on changeait de culture. Et c’est vrai que dans les mots, ça a été très violent. Cette personne a dit : « Je vais vous apprendre à travailler. Vous allez voir maintenant ce que c’est de travailler ». Alors quand vous dites ça à quelqu’un qui a vingt ans [d’ancienneté] sur une ligne de conditionnement ou en fabrication, il se dit : « Hou la la ! » (Le directeur de production)

23Le nouveau cadre productif se définit par une réorganisation des équipes et des objectifs qui leur sont assignés. La direction justifie le travail en 3 × 8 par le besoin de diversifier la production, d’utiliser au mieux les lignes, selon un fonctionnement reposant davantage sur du flux tendu dans des délais raccourcis. Les salariés des lignes de productions sont formés pour devenir davantage polyvalents :

C’est bien différent du temps suspendu de [la firme]. On fonctionnait avec des stocks importants, avec un niveau d’activité assez faible et très régulier. Là, on répond par à-coups, toujours dans l’urgence avec des clients qui mettent la pression sur les délais. Et [la firme] n’est pas le dernier. (Un ouvrier du conditionnement)

24Pour mettre en œuvre ces transformations, les cadres dirigeants, la plupart pharmaciens, formés à l’encadrement réglementaire et au contrôle qualité, sont également formés au management de proximité pour motiver les équipes et améliorer leur productivité. À l’instar des compagnies aériennes low cost qui recrutent les effectifs de personnel naviguant au plus près de la réglementation, les effectifs des pharmaciens industriels, réglementés par le Code de la santé publique, sont ajustés au nouveau cadre. Du temps de la firme, plus de vingt pharmaciens étaient salariés, au-delà de ce que demande la réglementation. Ils ne sont plus qu’une dizaine et sont, comme les autres catégories de salariés, engagés dans la polyvalence (contrôle qualité et management direct).

2.2. « Avant, on calait notre production en fonction des effectifs. Maintenant, c’est l’inverse10 »

  • 10 Un agent de maîtrise en atelier de conditionnement.
  • 11 Les clés d’une réussite ou comment revaloriser la fonction « production » en Europe, Pharmanetwork (…)

25Dans un article rédigé par lui-même11, le PDG présente clairement sa conception de la production de façonnage :

Sous-traiter n’est pas maltraiter. C’est au contraire fabriquer avec les mêmes soucis de qualité en y ajoutant la souplesse de réactivité, les flux tendus, la diminution des stocks, l’optimisation des coûts de main-d’œuvre, voire l’optimisation des achats de matières […]. Pour arriver à mener de front les plannings de fabrication et de conditionnement de tant de produits [princeps, génériques], tout en respectant l’ensemble des règles pharmaceutiques, il faut un management d’une très grande rigueur […]. Charger l’outil avec des plannings complets, sans saturer, pour garder toujours une souplesse en cas de commandes imprévisibles ; utiliser la modulation du temps de travail comme un moyen d’absorption des périodes de pointe et de creux ; ne pas faire servir la machine par 4 personnes quand 3 suffisent ; lutter contre les temps morts inutiles ; inciter les salariés au « présentéisme », chasser le gaspi, trouver des solutions pragmatiques pour limiter la durée des changements de formats ou des vides de lignes : telles sont les principales recettes de la gestion industrielle [de l’usine]. Le façonnier vend du temps de production. Il convient de remplir au mieux ce temps.

26Le discours dessine bien les contours d’un mode d’organisation en lean ou par amélioration continue, qui se met en place, comme ailleurs. Son application modifie l’organisation du travail vers son amélioration continue à travers des outils tels que le progiciel interne « d’optimisation du temps opérationnel ». Il s’agit, à travers son application, d’augmenter les temps productifs et de réduire les temps inutiles sur les lignes de production et de conditionnement (entretien, nettoyage, vide sanitaire entre deux lots de médicaments) qui peuvent atteindre les deux tiers des temps d’ouverture des lignes.

  • 12 Bilan social Fabpharm 2007, 25 novembre 2008.
  • 13 Voir Lardé (1983, p. 10-12) : L’auteur décrit les difficultés usuelles rencontrées dans la fabrica (…)
  • 14 Quadrat-études sur données INSEE, enquête emploi, 2013. Cité dans le rapport sur la situation de l (…)

27Les salariés prennent la mesure des changements, comme le précise un ouvrier : « On était dans la maison mère avec les avantages sociaux qui vont avec. Là on devient la dernière roue du carrosse, un peu comme les équipementiers auto dans le coin. On voit bien comment ça se passe. On se sent plus fragilisés, on nous met plus la pression ». La dégradation de leur situation est associée aux traits caractéristiques de la sous-traitance (Gorgeu et Mathieu, 2011), d’autant que la direction a décidé de renforcer le contingent de travailleurs temporaires. Avant, seuls quatre à cinq intérimaires étaient employés en conformité avec une réglementation qui limite leur recours dans le cadre des « bonnes pratiques de fabrication » (BPF) stipulant la nécessité d’avoir des personnels suffisamment formés aux procédures. Dans une perspective de production plus incertaine et intensive, le nombre annuel de travailleurs temporaires croît sensiblement, passant de 12 en 2006 à 114 en 2007 (avec une durée moyenne des contrats de 101 heures au lieu de 168 heures en 2006)12. Dans ce cadre, vingt-cinq intérimaires sont recrutés par l’agence Manpower locale qui dispose d’un « auto-kit de formation » jugé suffisant pour les opérations manuelles basiques, mais qui se substitue aux trois semaines de formations usuelles. Le recours à l’intérim ici, même s’il ne représente pas une nouveauté dans l’industrie pharmaceutique13, est un point de focalisation des titulaires. Ils perçoivent leur venue comme une dégradation de la valeur accordée à la qualité du travail. Les témoignages s’appuient sur des cas exemplaires et notoirement connus en interne, d’autres usines de génériqueurs comme un écho de ce qui se passe en interne. Le site d’Evron est opportunément cité car il a récemment fait l’objet d’une fermeture administrative suite à des incidents sanitaires à répétition. Si Evron est « épinglé » par l’autorité sanitaire de tutelle, c’est d’abord : « parce qu’ils manquent de personnel, ils se retrouvent à deux [titulaires] par ligne avec trop d’intérimaires. On ne peut pas faire n’importe quoi » (un conducteur régleur). Lors des discussions, on en profite pour faire un parallèle avec la situation du site de Fleurus : « Plus il y a d’intérimaires, moins tu connais les équipes. C’est ce qui s’est passé à Evron, ils ont tiré sur la corde » (agent de maîtrise). De fait, le recours à l’intérim dans l’industrie pharmaceutique ne cesse de progresser. Alors qu’il ne représente encore que 3,6 % des effectifs en 2008, il atteint 6,2 % en 2013 (et 8 % en production), contre une moyenne de 5,6 % pour l’ensemble de l’industrie et davantage que l’automobile ou la construction, à 4,9 %14.

3. Les différences entre médicaments originaux et génériques sous l’angle de la fabrication

28L’organisation du travail et la gestion des personnels sont une part de la logique low cost incarnée, corrélative des transformations sur le produit. On considère habituellement qu’un service ou un produit est low cost dans la mesure où il est réduit à ses fonctions essentielles (Fay et Reynaud, 2009). Le produit est ainsi redéfini « dans le sens d’une simplification extrême des besoins » (Combe, p. 20) : comme la compagnie low cost transporte des passagers à destination, un médicament générique délivre ses effets thérapeutiques au même titre que son équivalent breveté. Il n’est pas question ici de nous prononcer sur l’efficacité thérapeutique du générique comparée à celle du princeps. Par contre, si l’on tient compte des différents attributs du princeps et du générique sous l’angle de la fabrication, ce dernier se définit bien par sa fonction essentielle, et qu’importent finalement sa forme, sa couleur, son odeur et son goût, le confort de son ingestion, sa finition et son packaging. C’est ce qui permet de définir ce qu’est un produit low cost ou non.

3.1. Principes de variations à différents stades de la fabrication

29Pour saisir quelques principes de variation de la production des princeps et des génériques, il est utile de donner une vue sur ses procédés de fabrication qui sont aussi variés que les formes à atteindre et dont certains peuvent changer ou disparaître pour les génériques. Ces formes peuvent être solides (en cachets, gélules, comprimés effervescents, dragées, granules, poudres, etc.), semi-solides (en cataplasmes, crèmes, gels, pommades), ou encore liquides (en collyres, émulsions, sirops, solutions injectables, etc.). Déjà à ce stade, l’ordonnance du 24 avril 1996 (définissant les génériques) souligne que : « les différentes formes pharmaceutiques orales à libération immédiate sont considérées comme une même forme pharmaceutique ». Cette précision permet à un génériqueur de choisir la forme pharmaceutique la moins coûteuse, souvent la plus simple comme le comprimé « nu ». Cette relative standardisation de la présentation du médicament permet de dédier des lignes de production et des machines à leur fabrication, tout en réduisant les stocks de matières.

30Pour rester sur l’exemple de la fabrication des formes solides, les plus répandues, les opérations commencent par la réception et le contrôle des principes actifs et des excipients. Les excipients les plus couramment employés sont l’eau, les sucres, l’éthanol, le glycérol, les cires, les hydrocarbures, les silicones, et d’autres agents conservateurs, adjuvants, diluants, agglutinants, lubrifiants, colorants et enrobants. Cette diversité de composants aux prix diversifiés, associée aux matériaux de conditionnement (feuilles d’aluminium, papiers, cartons, plastiques), donne une idée des besoins de stockage dans des « hangars cathédrales » où circulent magasiniers et caristes sur plusieurs niveaux. Dans un site de fabrication de formes sèches, le stock principal de matière est composé de sucre en poudre (pour l’enrobage et le goût), ce qui fait dire à un responsable de production durant une visite que : « le médicament, c’est d’abord de la confiserie ». Dans la fabrication de comprimés nus, le sucre disparaît des stocks.

  • 15 C’est le cas du générique du Temesta, le Lorazepam de Biogaran, qui contrairement au princeps, n’e (…)

31Les ingrédients qui entrent dans la composition des médicaments sont pesés et broyés avant l’étape sensible du mélange des principes actifs et des excipients. Dans des ateliers confinés, un à deux techniciens (souvent un seul chez les génériqueurs) contrôlent l’homogénéité et la stabilité du mélange qui est ensuite séché par des procédés à air chaud ou infrarouge selon les tolérances du principe actif. Une fois les composants mélangés, les poudres, plus ou moins poreuses et résistantes, sont soit employées comme produit fini (pour les gélules), soit transformées en différentes formes de cachets par compression. Lors de cette opération, la poudre est introduite dans une presse à comprimer qui agrège le produit avec des formes plus ou moins sophistiquées et avec le marquage d’un éventuel poinçon ou d’une section selon la demande des clients (tel le Préviscan, un anticoagulant quadrisécable en forme de trèfle à quatre feuilles). Certains génériques ne sont pas sécables, contrairement aux originaux, avec des incidences sur les modes d’administration15. Des échantillons sont encore prélevés pour contrôler la masse, la dureté et l’épaisseur des comprimés, pour analyser la répartition de matière active par « unité de prise ». Il arrive en effet que certains comprimés contiennent trop ou trop peu de principe actif du fait d’une mauvaise homogénéité des mélanges. Le temps consacré à ce mélange et à son contrôle influe sur le coût final et cette étape peut être négligée pour les produits génériques, ou ramenée au strict minimum réglementaire.

32À ce stade, les comprimés « nus » peuvent être conditionnés en l’état (c’est souvent le cas pour les génériques) ou connaître des étapes supplémentaires de polissage et d’enrobage par dragéification dans des turbines. L’enrobage détermine l’aspect final du comprimé et peut améliorer la durée de conservation, voire le confort au moment de l’ingestion. Son absence pour certains médicaments est un des motifs d’intolérance constatés chez des patients. La dernière opération, qui consiste à contrôler la présentation de chaque comprimé, est généralement automatisée. Là encore, une part du coût final du médicament dépend de l’enrobage et de la rigueur du tri, qui peut être réalisé par des machines sophistiquées pour les produits chers, ou pas, comme le souligne un directeur de fabrication :

Pour le Japon, ils sont très sensibles à la qualité. Donc, pour eux, on a une machine spéciale avec plein de caméras qui font du tri tridimensionnel avec vingt-quatre critères. On rejette les comprimés avec des aspérités, des non-conformités, des poussières. Pour les génériques, on va te dire que la qualité de la présentation est moins importante : on fait beaucoup de comprimés nus, c’est pas la même finition. Forcément, tout a un coût, mais ça change rien à la qualité pharmaceutique.

33Comme le souligne un technicien de dragéification, le médicament peut être un produit dont la qualité de finition est la marque tangible de la maîtrise d’un savoir : « Il y a des comprimés qui sont vraiment jolis. Et la dragéification en soi, c’est valorisant, parce qu’on voit le produit évoluer, on fait des prélèvements, on voit le résultat tout de suite, avec une belle forme. Alors c’est vrai que pour les génériques, la finition est plus grossière ».

34Le conditionnement est également spécifique à la forme donnée au médicament. Il s’effectue en deux temps : le conditionnement primaire dans des ateliers où les comprimés sont mis sous « blisters », c’est-à-dire dans des enveloppes d’aluminium et de plastique ; et le conditionnement secondaire, réalisé sur des lignes où les blisters sont encartonnés avec les notices et les mentions réglementaires. Les types de conditionnement peuvent changer selon le packaging, souvent sophistiqué pour les produits de marques (médicaments de différentes formes et couleurs dans un même blister selon le jour du cycle ou les moments de la journée), ou plus basiques pour les génériques. On comprend ainsi de quelle manière le produit est ramené à ses fonctions essentielles, débarrassé de ses « options », au risque peut-être d’une moindre assimilation dans l’organisme ou d’un moindre confort d’ingestion.

3.2. Une qualité « équivalente »

35Puisque le générique est un produit essentialisé, il y a un enjeu réel à en redéfinir la qualité, entendue ici comme procès industriel réglementé, intégré à tout dossier d’AMM, et objet de contrôles internes multiples. Parce que les génériqueurs sont tenus d’optimiser leurs outils de production, ils peuvent être à la recherche de nouveaux débouchés (parapharmacie, cosmétique, voire produits d’entretien). Moins les usines sont dédiées à des productions de même catégorie et plus les procédures, changeantes, sont complexes à mettre en œuvre. Lors de leurs réunions hebdomadaires, les pharmaciens évaluent les demandes de production des clients, en établissant un niveau de qualité qu’ils estiment admissible. Plusieurs cas ont été présentés qui exposent les motifs de refus et définissent les limites acceptables. C’est le cas d’une demande de la direction et d’un client consistant à « faire passer » des produits hormonaux sur une ligne de fabrication non hormonale, ce à quoi les pharmaciens s’opposent, car le risque de contamination croisée serait préjudiciable à la santé. Il s’agit alors d’utiliser au plus juste l’outil de production et les personnels (occuper un atelier ou une ligne qui ne fonctionne pas à plein régime) mais aussi de réduire les coûts de fabrication. Si ce cas nous informe sur les possibilités de production, il traduit également les contraintes qui pèsent sur les organisations réglementées soumises au lean, avec les mêmes effets qu’ailleurs.

36Les contraintes réglementaires sont telles dans l’industrie pharmaceutique qu’elles incitent les génériqueurs à trouver des solutions afin de fabriquer dans les registres de « l’équivalence ». Pour redéfinir des standards, les compétences internes des juristes en affaires réglementaires sont mobilisées pour constituer les dossiers d’AMM de chaque produit, dossiers qui intègrent les propriétés thérapeutiques et toutes les phases de productions. C’est un moyen de rédiger de manière plus efficace des documents conformes à la réglementation, en fonction de l’outil de production. La démarche vise à trouver des marges de manœuvre pour employer les mêmes machines, les mêmes lignes et les mêmes procédés pour une gamme étendue de produits, en intégrant un certain nombre d’aléas, de variations, afin de ne pas être obligé d’arrêter la production dans l’attente d’un avis de l’autorité sanitaire.

Les clients, on leur propose de rédiger leurs demandes de variations. Alors, un dossier qui demanderait une révision de l’AMM, c’est typiquement un changement de taille de lot. Et alors pour un changement d’équipement, tout dépend si le dossier est bien fait. On a des infos du genre : « à comprimer sur machine Blat 2100 ». Nous, on ajoute : « ou équivalent », et là on est tranquille. Si il n’y a pas le équivalent, alors là, on est embêté (elle rit). Voilà, c’est des subtilités comme ça. (Pharmacienne, responsable de l’assurance qualité)

37Cette habileté rédactionnelle qui s’appuie sur les connaissances pointues du service des affaires réglementaires offre ainsi quelques marges de manœuvre supplémentaires en identifiant des équivalences juridiquement acceptables entre fabrication de génériques et princeps. À ce titre, le générique contribue à la standardisation des modes de production pour lesquels la réduction des coûts devient centrale.

Conclusion

38L’industrie pharmaceutique s’est tardivement préoccupée de rentabiliser ses outils de production. La promotion du générique est un moyen parmi d’autres pour les grandes firmes de changer partiellement de modèle productif en conservant la mainmise sur l’ensemble du marché (princeps, médicaments matures, génériques), en filialisant et en sous-traitant la fabrication des produits basiques à faible valeur ajoutée à des sociétés spécialisées (génériqueurs) qui se livrent une concurrence directe sur les prix, les coûts de fabrication et les marges. Dans cette perspective, il est difficile de penser l’économie du générique comme un moyen de contester le rôle des multinationales, qui trouvent leur compte dans cette « low costisation » fondée sur la concurrence et la baisse des prix. Ce sont bien les vertus de la concurrence et de l’ouverture du marché à de nouveaux acteurs qui sont mises en avant dans le rapport de Charles Beigbeder réalisé avec Emmanuel Combe (2007) afin d’améliorer le « pouvoir d’achat » de la population. Selon le point de vue qu’on adopte, le rôle du low cost reste ambivalent car la diffusion du générique renvoie à notre responsabilité économique et sociale en tant que patients et citoyens, qui nous incite à le privilégier pour réduire les déficits de la Sécurité sociale et faire de nous des consommateurs soucieux de l’intérêt collectif.

39En termes d’ambivalence, les grandes firmes ne sont pas en reste lorsqu’elles cherchent à limiter la progression du générique (Ricard, 2014). C’est ce que rappelle un communiqué de presse de la Commission européenne (Bruxelles, 9 juillet 2014) suite à la condamnation de Servier pour s’être entendu avec cinq fabricants de génériques afin de « freiner l’entrée sur le marché de versions moins chères d’un médicament cardiovasculaire ». Et le communiqué de conclure : « L’expérience montre qu’une concurrence effective dans le domaine des génériques tire fortement les prix à la baisse. L’entrée sur le marché de médicaments génériques réduit considérablement les prix des médicaments concernés et fait économiser des sommes importantes aux patients et aux budgets publics ».

40À l’instar des travaux de Bruno Fay et Stéphane Reynaud (2009), cet article montre que réduire les dépenses publiques en stimulant de la sorte la concurrence et la baisse des prix n’est évidemment pas un jeu à somme nulle. Cela se traduit par une réorganisation du secteur, par des réorganisations productives orientées vers le flux tendu, le lean (ou l’amélioration continue), mais aussi comme ailleurs en dégradant les conditions d’emploi et de travail, avec une proportion de précaires plus importante, dont les formations pratiques sont plus aléatoires.

41Ce qui apparaît clairement dans l’industrie pharmaceutique, c’est que le processus en cours s’accompagne d’une redéfinition des standards qualité fondée sur la construction d’équivalences qui ne sont pas directement liées à la fonction essentielle du produit, à savoir son efficacité thérapeutique. Or, une partie de l’économie low cost, qu’il s’agisse du transport aérien ou ferroviaire, de l’industrie automobile ou pharmaceutique, a la particularité de se développer dans un environnement historique de contraintes réglementaires internationalisées qui ont contribué à fermer des marchés devenus oligopolistiques, voire monopolistiques. Ces marchés, quasiment inaccessibles aux nouveaux entrants le deviennent par des politiques de prix agressives, telles que celles menées par Ryanair pour réussir à s’imposer rapidement dans le paysage. Ainsi, en termes de processus sectoriel, le low cost correspond à la définition d’un niveau de « moindre » qualité qui concerne des services et des productions qui ont la particularité d’avoir atteint un haut niveau de qualité, de coûts, de performance et de sophistication, soit à force de montées en gammes successives (l’automobile ou le médicament), soit à force de montées en réglementation, comme c’est le cas du transport aérien et de l’industrie pharmaceutique, parmi d’autres.

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Notes

1 Voir http://www.ugict.cgt.fr/articles/actus/cgt-sanofi-denonce-precarite. Publié le 9 janvier 2017.

2 L’enquête a été réalisée dans le cadre d’une recherche collective coordonnée avec Pierre Fournier et Cédric Lomba (2014), et à laquelle ont participé Anne-Marie Arborio, Isabelle Feroni, Jérôme greffion, Agnès Labrousse, Quentin Ravelli, Dilip Subramanian et Laure de Verdalle. Le terrain principal évoqué dans cet article porte sur une usine intégrée à un groupe génériqueur. Il s’appuie sur une vingtaine d’entretiens avec différentes catégories de personnels, des observations du travail et des visites dans les ateliers et les bureaux, des documents d’entreprises.

3 Ordonnance n° 96-345 du 24 avril 1996 relative à la maîtrise médicalisée des dépenses de soins (JORF n° 98, 25 avril 1996).

4 ANSM, Rapport : les médicaments génériques, des médicaments à part entière, décembre 2012, 68 p.

5 Décret n° 99-486 du 11 juin 1999 relatif aux spécialités génériques et au droit de substitution du pharmacien et modifiant le code de la santé publique et le code de la sécurité sociale (JORF n° 134, 12 juin 1999).

6 Plan national d’action de promotion des médicaments génériques, Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, mars 2015, 32 p.

7 « Le façonnage pharmaceutique en France : la consolidation en point de mire », Precepta, Groupe Xerfi, communiqué du 12 septembre 2007, p. 3 ; Chloé Hecketsweiler (2015) ; Les Entreprises du médicament (LEEM) (2016).

8 D’autres associations effectuent ce même travail à l’échelle européenne et mondiale : « Medecines for Europe » et « International Generic and Biosimilar Medecines Association ».

9 Il est l’un des premiers groupes de façonnage et génériqueur en France. Il possède six sites de fabrication en 2008, dix en 2016, tous rachetés à de grandes firmes.

10 Un agent de maîtrise en atelier de conditionnement.

11 Les clés d’une réussite ou comment revaloriser la fonction « production » en Europe, Pharmanetworkmagazine, n° 6, 2007, p. 36-40.

12 Bilan social Fabpharm 2007, 25 novembre 2008.

13 Voir Lardé (1983, p. 10-12) : L’auteur décrit les difficultés usuelles rencontrées dans la fabrication de produits pharmaceutiques à l’usine Byla de Gentilly. Il mentionne à l’occasion le recours à un volet d’intérimaires de 60 000 heures annuelles, notamment pour les productions saisonnières.

14 Quadrat-études sur données INSEE, enquête emploi, 2013. Cité dans le rapport sur la situation de l’emploi dans les entreprises du médicament, LEEM, 2014, p. 26.

15 C’est le cas du générique du Temesta, le Lorazepam de Biogaran, qui contrairement au princeps, n’est pas sécable (le procédé demande plusieurs opérations supplémentaires).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Séverin Muller, « Modes de production du médicament générique et conditions d’emplois », La nouvelle revue du travail [En ligne], 12 | 2018, mis en ligne le 01 mai 2018, consulté le 24 juin 2018. URL : http://journals.openedition.org/nrt/3501 ; DOI : 10.4000/nrt.3501

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Auteur

Séverin Muller

Université Lille 1, Clersé-CNRS

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