Son rôle a été déterminant dans la reconnaissance des victimes du Distilbène, prescrit pendant des années aux futures mères et responsable de cancers et de stérilité chez leurs filles. La gynécologue Anne Cabau, qui avait contribué à faire éclater le scandale autour de ce médicament en 1983, est morte dimanche à Paris à 81 ans, a annoncé ce lundi le Réseau DES France, l’association des victimes de cette hormone de synthèse (le diéthylstilbestrol, ou DES).

Présenté comme un médicament efficace pour prévenir les fausses couches, le Distilbène a été prescrit entre les années 50 et 70 à environ 200 000 femmes enceintes. La molécule est à l’origine de malformations génitales ou de cancers du vagin, de l’utérus et du sein chez les enfants des mères traitées, ainsi que de difficultés à concevoir (infertilité, fausses couches, accouchements prématurés…).

«Une monumentale erreur médicale»

Intriguée par des malformations de l’utérus chez des patientes au début des années 80, Anne Cabau – par ailleurs arrière-petite-nièce du capitaine Alfred Dreyfus – avait enquêté sur les enfants de femmes traitées au Distilbène. En 1981 et 1982, la spécialiste de l’infertilité rassemble des données sur des cas de malformations notamment génitales. Ses travaux sont repris en février 1983 dans le Monde. L’article, titré «Une monumentale erreur médicale : les enfants du Distilbène», «fait l’effet d’une bombe», se souvient auprès de l’AFP Nathalie Lafaye du Réseau DES France.

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«Il a fallu 20 ans pour s’apercevoir des conséquences [du Distilbène], car c’est le premier exemple de médicament qui a des conséquences non pas sur la personne à qui on l’administre mais sur ses enfants», expliquait Anne Cabau à Antenne 2 en 1983. Le médicament, interdit pendant la grossesse dès 1971 outre-Atlantique, a été prescrit aux femmes enceintes en France jusqu’en 1977, puis utilisé comme pilule du lendemain.

Lanceuse d’alerte avant l’heure

«Elle a été une lanceuse d’alerte à une époque où ce terme n’existait pas. Sans ses travaux, l’affaire du Distilbène n’aurait jamais éclaté, a ajouté Nathalie Lafaye. Si des scandales comme celui du Mediator [également révélé par une médecin, Irène Frachon] et de la Dépakine ont ensuite autant secoué le pays, c’est qu’il y avait eu avant l’histoire du Distilbène».

Le retentissement de ses travaux lui a cependant valu d’être «ostracisée» par le corps médical, selon l’association. «Il y a même eu une plainte devant le conseil de l’Ordre des médecins, finalement retirée». «Elle se battait pour faire connaître la vérité. C’est un grand combat qu’elle a mené», a salué la présidente et cofondatrice du Réseau DES France, Anne Levadou.

160 000 enfants exposés in utero

Selon Réseau DES France, dont Anne Cabau faisait partie du conseil scientifique, environ 160 000 enfants nés pour la plupart dans les années 1970 ont pu être exposés au produit in utero. De nombreuses demandes d’indemnisation ont été ou doivent être examinées par la justice. Une partie a déjà donné lieu à réparation depuis le début des années 2000.

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En 2011, la Cour d’appel de Versailles a même reconnu un lien entre la prise de Distilbène et un handicap à la troisième génération, en accordant des dommages et intérêts au petit-fils d’une femme traitée avec ce médicament, une décision qui a fait jurisprudence.

Juliette Deborde avec AFP