Hypothyroïdie: certaines personnes pourraient être diagnostiquées à tort

Hypothyroïdie: certaines personnes pourraient être diagnostiquées à tort

La polémique qui a éclaté suite au changement de formulation du Levothyrox est l’occasion de revenir sur la question du diagnostic de ce dysfonctionnement hormonal.

«À la suite du changement de formulation de leur médicament (Levothyrox), au moins 300.000 personnes ont présenté des troubles (fatigue, céphalées, insomnies, vertiges, douleurs, chute des cheveux, etc.) avec ou sans bilan anormal», rappelle le Pr Frédéric Sebag, chef du service de chirurgie endocrinienne de l’hôpital La Conception à Marseille. Mais la vraie surprise est venue du nombre de Français prenant des hormones thyroïdiennes de synthèse: trois millions contre deux millions seulement en 2006! «C’est bien plus que ce qui est attendu, pour le Pr Françoise Borson Chazot, chef du service d’endocrinologie et diabétologie A (CHU de Lyon). Un certain nombre de Français est sans doute traité par excès.» En cause? Des traitements parfois commencés sans dosage préalable de la thyréostimuline (TSH) ou avec une TSH trop élevée pour d’autres raisons.

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Une norme qui ne convient pas à tous

Normalement, l’hypophyse (dans le cerveau) augmente la sécrétion de TSH pour commander à la thyroïde de produire plus d’hormones thyroïdiennes, lorsque sa production faiblit. «Comme les laboratoires donnent pour valeurs habituelles, des taux compris entre 0,4 et 4 mUI/l (millième d’unité internationale par litre de sang, NDLR), un traitement est volontiers instauré lorsque ce taux dépasse 5 mUI/l. Ces valeurs représentent effectivement la norme, mais pour 95 % des Français seulement.

Les personnes en excès de poids peuvent avoir une TSH à 5-6 mUI/l, sans que cela soit anormal, car il s’agit d’un mécanisme de défense mis en place par leur thyroïde. De même, la TSH augmente physiologiquement avec l’âge, et, autour de 80 ans, il n’est pas anormal d’avoir une TSH à 6 ou 7 mUI/l: cela pourrait même être un facteur de longévité!

Les porteurs d’un goitre ou d’un nodule sans dysfonctionnement thyroïdien associé n’ont pas non plus besoin d’hormones thyroïdiennes de substitution. Prises de façon injustifiée, ces dernières exposent au risque d’hyperthyroïdie et donc à des troubles du rythme cardiaque, insiste le Pr Borson Chazot. Étant donné que les inconvénients de l’hypothyroïdie n’apparaissent que lorsque la TSH est supérieure à 10 mUI/l, il n’est pas indispensable d’être traité entre 5 et 10 mUI/l en l’absence de symptômes.»

La présence d’anticorps antithyroïdiens ne justifie pas non plus que l’on prenne à coup sûr des hormones de synthèse

Enfin, même si la cause principale de l’hypothyroïdie est auto-immune, la présence d’anticorps antithyroïdiens ne justifie pas non plus que l’on prenne à coup sûr des hormones de synthèse. «Ces anticorps, lorsqu’ils sont recherchés, sont présents chez 10 à 15 % des femmes. Mais le rythme de passage en hypothyroïdie chez ces porteurs d’anticorps est seulement de 1 à 2 % par an. Tant qu’il n’y a que des anticorps positifs, mais une TSH normale et pas de symptôme, la surveillance suffit», insiste le Pr Borson Chazot.

Attendre et refaire un contrôle

Pour le Dr Pierre Nys, endocrinologue, nutritionniste et auteur de «Mes petites recettes magiques spécial thyroïdecent recettes pour protéger votre thyroïde et rééquilibrer son fonctionnement» (Éd. Leduc.s, avril 2018), «ces personnes à risque qui n’ont pas forcément besoin d’un traitement dans l’immédiat peuvent tirer profit des aliments riches en iode indispensable à la production des hormones thyroïdiennes (poissons, crustacés et algues). Sont aussi intéressants, ceux riches en sélénium (noix du Brésil, poissons, crustacés). En revanche, même si les choux et le tapioca sont réputés mauvais pour la thyroïde, il faudrait en consommer beaucoup pour observer un impact délétère».

Après une fausse couche ou la réalisation d’un scanner, les dosages de TSH peuvent être modifiés. Avant de vite débuter un traitement, la sagesse veut d’attendre et de refaire un contrôle

Après une fausse couche ou une surcharge iodée liée à la réalisation d’un scanner, les dosages de TSH peuvent être modifiés. Avant de vite débuter un traitement, la sagesse veut d’attendre et de refaire un contrôle. Certaines personnes peuvent aussi se retrouver en hypothyroïdie parce qu’elles prennent un médicament qui a un retentissement sur leur thyroïde: c’est le cas des pansements bétadinés (du fait de la présence d’iode en excès), ou de l’amiodarone prescrit dans les troubles du rythme, ou du lithium dans les troubles bipolaires, ou encore de certaines thérapies ciblées et immunothérapies qui détruisent les micro-vaisseaux de la thyroïde ou attaquent la glande. Lorsque ces traitements sont responsables d’une insuffisance thyroïdienne, il faut bien sûr compenser par des hormones de synthèse, mais seulement tant que l’hypothyroïdie persiste.

Qu’elles soient prises transitoirement ou à vie, les hormones thyroïdiennes de synthèse sont bien supportées, à condition de parvenir à l’équilibre et de le maintenir. Des dosages réguliers de la TSH sont donc utiles. «Il faut le faire en cas de changement de formulation du traitement ou de modification de la prescription du médicament qui a une influence sur la thyroïde. C’est enfin nécessaire en cas de prise concomitante d’un traitement susceptible d’interférer avec l’absorption des hormones thyroïdiennes de substitution», insiste le Pr Borson Chazot.


Moins d’hypothyroïdies consécutives à la chirurgie

Dans certains cas, des troubles de la production d’hormones de la thyroïde peuvent nécessiter une intervention chirurgicale. L’inconvénient est qu’une hypothyroïdie peut apparaître à la suite d’une thyroïdectomie. La bonne nouvelle, c’est que de gros progrès ont été réalisés de ce côté.

«Les indications de la chirurgie sont bien plus sélectives qu’autrefois, confirme le Pr Frédéric Sebag (hôpital La Conception, à Marseille). La suspicion ou la certitude d’être en présence d’un cancer de la thyroïde en est une. Or, grâce aux bilans préopératoires et notamment aux ponctions échoguidées, les nodules cancéreux sont aujourd’hui plus faciles à différencier des nodules bénins. L’élastographie, qui analyse la dureté des nodules, permet aussi de mieux les repérer (les cancéreux sont les plus durs). Dans notre consultation de chirurgie de la thyroïde, nous recevons environ trois mille malades par an: mais après bilan, un tiers va être opéré, alors que les deux autres tiers sont surveillés.» Et quand la chirurgie est décidée, elle conduit à l’hypothyroïdie uniquement en cas d’ablation de la totalité de la thyroïde (dans les deux tiers des cas). «Le reste du temps, l’ablation d’une moitié de thyroïde est possible, ce qui permet à la fonction thyroïdienne de rester normale, sept fois sur dix», précise le Pr Sebag.

«Dans notre consultation de chirurgie de la thyroïde, nous recevons environ trois mille malades par an: mais après bilan, un tiers va être opéré, alors que les deux autres tiers sont surveillés»

Pr Frédéric Sebag (hôpital La Conception, à Marseille)

À côté des cancers de la thyroïde, quelques hyperthyroïdies nécessitent aussi une intervention chirurgicale. C’est le cas des nodules hypersécrétants ou de l’hyperthyroïdie diffuse de Basedow, mais seulement quand les traitements médicaux sont inefficaces ou mal tolérés. Enfin, les gros goitres ou les goitres plongeants avec un retentissement mécanique, peuvent nécessiter l’ablation totale de la thyroïde, mais ce n’est pas la majorité. «Pour toutes ces raisons, la chirurgie thyroïdienne est en net recul, se réjouit le Pr Sebag. Aujourd’hui, elle tourne encore autour de 45.000 interventions par an, mais, en sélectionnant mieux les petites tumeurs de moins d’un centimètre, sans gravité et dont l’ablation n’apporte pas de bénéfice, ce chiffre pourrait encore diminuer au cours des prochaines années.»

Radiofréquence

Outre la sélection des malades, les techniques se sont affinées. Pour les nodules non cancéreux mais responsables d’un dysfonctionnement de la glande ou encore pour les gros nodules gênants, il existe désormais une alternative à la chirurgie: «c’est la radiofréquence qui consiste à chauffer le nodule autour de 60-70 °C afin de provoquer une coagulation de ses microvaisseaux et, donc, la réduction de son volume pouvant aller jusqu’à 80 % en six à douze mois. Comme le parenchyme sain autour du nodule est préservé, il n’y a quasi plus d’hypothyroïdie derrière. Même si les indications de la radiofréquence restent limitées, cela fait autant de personnes qui n’auront pas à prendre d’hormones en compensation», conclut le Pr Sebag.


TEMOIGNAGE: «Mon traitement pour l’estomac a tout déréglé…»

Pour Simone Perrin, 79 ans, la survenue d’une hypothyroïdie n’a pas été une surprise. «J’étais suivie depuis plusieurs années pour un nodule d’environ 3 centimètres au niveau de la thyroïde. À l’occasion d’un nouvel examen, on m’a découvert un nouveau nodule, plus petit (13 millimètres), mais cancéreux celui-là! Une thyroïdectomie a donc été décidée: autant j’appréhendais, autant j’ai été surprise que tout se passe aussi bien. Si je ne le dis pas, mes proches ne devinent pas que je n’ai plus de thyroïde! Bien évidemment, l’endocrinologue m’a mise sous hormones thyroïdiennes de substitution. Je n’ai pas ressenti le moindre symptôme: pour moi, tout était normal. Mais lors d’un examen de contrôle, l’endocrinologue a eu la surprise de voir que mon taux de TSH était beaucoup trop élevé!

Le magnésium coupable

Après un interrogatoire poussé, le spécialiste a fini par trouver le coupable: ayant des problèmes de reflux acides de l’estomac, je prends un médicament inhibiteur de la pompe à protons et c’est ce dernier qui aurait empêché l’absorption des hormones thyroïdiennes. Mon traitement a donc été modifié pour éviter cette interaction et je dois refaire une prise de sang dans quelques semaines pour m’assurer que tout va bien.

«L’endocrinologue m’a rappelé de ne prendre aucun nouveau traitement, pas même des minéraux, sans en parler au médecin»

Nathalie Perrin

L’endocrinologue m’a rappelé de ne prendre aucun nouveau traitement, pas même des minéraux, sans en parler au médecin.» Pour le Dr Pierre Nys, endocrinologue, «on n’y pense pas forcément, mais les fibres en excès peuvent aussi gêner l’absorption des hormones. Il faut prendre ses hormones avant de débuter son petit déjeuner et reporter la prise des aliments riches en fibres de quelques heures.» Pour Nathalie Perrin, 55 ans, le problème est plutôt venu du magnésium. «En hypothyroïdie depuis plusieurs années, je prends des hormones de substitution. Très fatiguée au sortir de l’hiver 2016-2017, j’ai décidé de faire une cure de magnésium. Au lieu d’aller mieux, j’étais de plus en plus mal. Au printemps, est sortie l’affaire du Lévothyrox et pour moi, le coupable était tout trouvé: le changement de formulation. En fait, mon endocrinologue a trouvé que la prise de magnésium en même temps que mon Lévothyrox impactait fortement l’absorption du médicament: c’est un peu comme si je m’étais retrouvée en hypothyroïdie.»

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