Plainte d’Anticor contre des experts du cholestérol

Par François Koch,publié le , mis à jour à 

Selon la présidente de la Haute Autorité de Santé, "les liens d'intérêts des membres du groupe de travail ont (...) été analysés et gérés conformément aux règles et procédures en vigueur".

Selon la présidente de la Haute Autorité de Santé, « les liens d’intérêts des membres du groupe de travail ont (…) été analysés et gérés conformément aux règles et procédures en vigueur ».

afp.com/PHILIPPE HUGUEN

L’association anticorruption saisit la justice sur les liens entre des médecins et des laboratoires pharmaceutiques.

Le 3 octobre 2018, l’association Anticor a déposé plainte au tribunal de grande instance de Bobigny pour prise illégale d’intérêt contre une série d’experts de la Haute autorité de santé (HAS). L’association spécialiste de la lutte anticorruption accuse ces derniers, qui ont rédigé une recommandation publiée en 2017 sur les dyslipidémies (cholestérol, triglycérides…), d’accroître l’incitation à la prescription de médicaments, alors qu’une majorité de ces spécialistes ont des liens financiers avec les laboratoires pharmaceutiques qui les fabriquent. De quoi s’interroger sur la valeur scientifique de leurs conclusions.

La Haute autorité de santé, une autorité publique indépendante, doit pourtant veiller à ce que l’on ne puisse pas mettre en doute ni l’intégrité ni l’impartialité de ses experts. Autrement dit vérifier que ces derniers n’acceptent pas de missions rémunérées, qu’il s’agisse de recherches cliniques, de rédaction d’articles ou de participation à des colloques tous frais payés, de la part de l’industrie du médicament. La loi aurait été violée puisque six des neuf experts du « groupe dyslipidémies » de la Haute autorité avaient « des liens d’intérêt directs ou indirects majeurs avec les laboratoires intéressés par la recommandation », peut-on lire dans la plainte d’Anticor que L’Express a pu consulter.

Le double refus de la HAS

Sont particulièrement visés deux des six experts mis en cause, qui illustrent les doutes que l’on peut avoir sur l’impartialité d’une recommandation. Le professeur Bruno Vergès, chef de service au CHU de Dijon, a ainsi perçu 65.088 euros d’avantages et 36.940 euros de rémunérations, de 2013 à 2017. Les payeurs étant notamment les laboratoires pharmaceutiques MSD, Pfizer, Astrazeneca, Novartis, Sanofi Aventis et Amgen. Le docteur Jean-Michel Lecerf, chef de service à l’Institut Pasteur de Lille, a lui reçu 25.268 euros de rémunérations en particulier des laboratoires MSD et Sanofi-Aventis/Regeneron.

La plainte d’Anticor ne vient pas de nulle part, même si cette organisation spécialisée dans les infractions politicofinancières porte le fer pour la première fois dans le monde de la santé. Elle s’est appuyée sur l’expertise et l’action de l’association pour une formation et une information médicale indépendante, dite Formindep. Cette dernière a écrit le 1er juin 2018 au professeur Dominique Le Guludec, la présidente de la HAS, pour dénoncer les conflits d’intérêts d’experts ayant rédigé la fiche mémo « Principales dyslipidémies: stratégie de prise en charge », en visant nommément les docteurs Bruno Vergès et Jean-Michel Lecerf. Dans son courrier, le Formindep demande à la fois le retrait de la « fiche mémo » mais aussi que les infractions soient signalées à la justice. Dans sa réponse du 29 juin, la présidente de la HAS oppose un double refus au Formindep : « Les liens d’intérêts des membres du groupe de travail ont, avant le démarrage des travaux de celui-ci, été analysés et gérés conformément aux règles et procédures en vigueur ».

Lecerf: « Je ne suis à la solde de personne »

Du coup, le 28 août, le Formindep dépose une requête en annulation de la décision de la HAS auprès de la section du contentieux du Conseil d’Etat. Pourquoi ? « La HAS prétend que les règles sur les conflits d’intérêts ont été respectées alors qu’elle se base sur des déclarations mensongères de certains experts« , affirme Jean-Sébastien Borde, vice-président du Formindep. Cette accusation est fondée sur la comparaison entre, d’une part, les déclarations publiques d’intérêts déposées à la HAS et, d’autre part, les informations publiées par les laboratoires sur la base transparence.sante.gouv.fr, les divulgations de dons diffusées par la HAS, les déclarations d’intérêts des experts mentionnées à la fin de leurs publications scientifiques et le registre européen des essais cliniques. Un travail de fourmis que ne ferait pas l’autorité publique indépendante, selon Formindep, qui a pourtant déjà tiré la sonnette d’alarme dans le passé en obtenant de la justice administrative l’annulation de plusieurs recommandations de la HAS. Notamment, en 2011, celle sur la maladie d’Alzheimer.

Contactés par L’Express, le docteur Jean-Michel Lecerf reconnaît que ses « déclarations d’intérêts à la HAS ne sont pas toujours à jour » alors que le professeur Bruno Vergès assure que « la HAS a donné son accord à sa participation après avoir analysé les conflits d’intérêts ». La présidente de la Haute autorité de Santé nous a fait savoir de son côté qu’elle ne souhaite pas s’exprimer en raison du contentieux en cours devant le Conseil d’État. « Je ne suis à la solde de personne, ajoute le docteur Lecerf. Si l’on se prive de l’avis des experts qui font des recherches cliniques avec les laboratoires, on se limitera à celui de ceux qui ne connaissent rien à rien. »

C’est bien la question qui fait débat et polémique depuis des décennies. La plainte d’Anticor pour prise illégale d’intérêts avec le soutien du Formindep a au moins le mérite de le relancer, et le conduira peut-être à terme devant un tribunal correctionnel. L’alliance de ces deux associations pourrait provoquer une nouvelle prise de conscience sur la prévention des conflits d’intérêts qui découlent des relations malsaines entre certains experts et l’industrie pharmaceutique.

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