Les urgences payées pour renvoyer les patients chez le médecin ?

>Économie|Daniel Rosenweg|18 octobre 2018, 18h31|MAJ : 18 octobre 2018, 18h38|30
Chaque année, six millions de passages aux urgences sont considérés comme non justifiés. Soit près d’un patient sur quatre. LP/Olivier Arandel

Un amendement déposé par Olivier Véran, député LREM, veut créer un « forfait réorientation » de 60 euros pour inciter les urgences à refuser les patients dont l’état peut attendre un rendez-vous en ville.

Comment désengorger les urgences hospitalières, qui reçoivent 23 millions de patients par an ? En créant une prime qui incite à renvoyer vers les médecins de ville les patients dont l’état ne justifie pas des soins en urgence. C’est l’esprit d’un amendement au Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) présenté mercredi 17 octobre par Olivier Véran, député LREM, à la Commission des affaires sociales qu’il préside. Amendement adopté, qui sera donc débattu en séance plénière, mais qui déjà fait des vagues.

Dans ses grandes lignes, ce texte crée un « forfait réorientation » de 60 euros versé à l’hôpital pour financer le coût de la recherche d’un rendez-vous chez un médecin généraliste, pédiatre ou psychiatre de ville par le service des urgences, et de 20 euros pour un rendez-vous dans un autre hôpital ou chez un spécialiste. A côté, pour indemniser l’examen préliminaire du patient, l’amendement crée aussi un « forfait consultation d’urgence » de 40 euros (15 euros pour les urgences privées, qui percevront en plus le prix d’une consultation normale).

« On va donner de l’argent pour ne pas soigner ! »

Ce dispositif cible les six millions de passages par an aux urgences, considérés comme non justifiés. Soit près d’un patient sur quatre. Mais l’amendement évalue à deux millions le nombre annuel de forfaits de réorientation, soit un coût d’environ 120 millions d’euros, à la charge de l’Assurance maladie. S’y ajoutera logiquement le forfait consultation d’urgence, soit environ 80 millions d’euros. Au total, cette mesure coûterait donc autour de 200 millions d’euros.

La Fédération de l’hospitalisation privée, la FHP, s’insurge par la voix de son président, Lamine Gharbi : « On va donner de l’argent pour ne pas soigner ! C’est la négation de l’engagement médical », insiste-t-il, assurant que les 124 services d’urgences des cliniques privées pourraient doubler leur capacité d’accueil, actuellement de 2,6 millions de patients par an.

 

 

Même tonalité à la CSMF, premier syndicat de médecins libéraux, qui juge l’idée « bien curieuse, digne du pays d’Ubu » au terme de laquelle, résume son président, Jean-Paul Ortiz, « le médecin traitant va recevoir le montant d’une consultation habituelle (NDLR : 25 euros) pour prendre en charge complètement le patient, pendant que l’hôpital perçoit un forfait nettement supérieur pour simplement l’orienter. Quelle logique ? ».

Certains détracteurs posent par ailleurs la question de la responsabilité, au cas où l’état du patient viendrait à se dégrader entre sa sortie d’hôpital et sa consultation en ville. C’est le cas de la Fédération hospitalière de France, qui représente les 1000 hôpitaux publics.

L’hôpital a un intérêt financier à ne pas refouler les patients

Si la FHF et son président, Frédéric Valletoux, jugent « l’idée bonne », ils estiment cependant que « cette mesure revient à donner à l’hôpital un rôle de régulation qui n’est pas le sien ».

Avec cet amendement, Olivier Véran, lui, veut « enrayer la hausse de 2 à 3 % par an, interrompue depuis 15 ans » de recours aux urgences qui « crée tensions et désorganisation » dans ces services. Il souhaite donc « inciter et faciliter » la réorientation des patients par l’hôpital. Un hôpital qui n’a jusque-là pas intérêt à refouler les patients, puisque à chacun de leur passage il perçoit 250 euros de la Sécu.

En les réorientant vers la ville, grâce aux deux forfaits (60 euros + 40 euros), les hôpitaux ne perdraient donc pas 250 euros mais 150 euros par réorientation. Une compensation sur laquelle la FHF restera vigilante afin que « la situation financière des urgences ne soit pas fragilisée ».

Un amendement à 260 millions d’euros d’économies

Mais pour l’Assurance maladie, ce serait une économie que l’on peut évaluer à 300 millions d’euros par an. Non négligeable si la même Assurance maladie devra également rembourser les consultations de ville. Soit 70 % des 25 euros (17,50 euros) réclamés par le généraliste ou des 28 euros (19,60 euros) dus au spécialiste. Au total, ce remboursement des consultations de ville peut être évalué à une petite quarantaine de millions d’euros.

A l’arrivée, cet amendement permettrait, s’il est voté, de fluidifier les urgences tout en faisant économiser à la Sécu quelque 260 millions d’euros par an…

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