Sciences. « Les vrais cas de fraude sont exceptionnels, mais… »

Antoine Petit, président du Centre national de la recherche scientifique CNRS.
Antoine Petit, président du Centre national de la recherche scientifique CNRS. | PHILIPPE CHEREL / OUEST-FRANCE
Plusieurs écarts de conduite scientifiques récents ont terni l’image de la recherche française, notamment dans le domaine de la biologie. Le Centre national de la recherche scientifique, ou CNRS, a missionné un groupe de travail sur l’intégrité des chercheurs afin de mettre en place un plan pour renforcer les garde-fous. Les résultats doivent être présentés ce mardi, lors d’une conférence de presse à Paris. Antoine Petit, le président-directeur général du CNRS et à l’initiative de cette mesure, s’explique.

Pourquoi un plan sur l’intégrité scientifique. Les procédures existantes n’étaient pas efficaces ?

J’ai souhaité que soient clarifiées et uniformisées les façons dont les soupçons de fraudes scientifiques étaient traités. Jusqu’à maintenant, le CNRS traitait ces cas avec rigueur, mais en refaisant une procédure ad hoc à chaque fois (la diversité de ces procédures, plus ou moins approfondies, a été critiquée, N.D.L.R.). Il était important qu’il y ait des procédures connues de tous, avec des critères partagés et des principes. Certains ne sont pas discutables, comme la présomption d’innocence. Sur d’autres, il n’y a pas forcément un consensus. Par exemple, je considère qu’on doit garantir la confidentialité des accusateurs mais qu’on n’accepte pas les dénonciations anonymes. Même moi, je ne serai pas au courant des gens qui ont porté des accusations. Par contre, le référent intégrité scientifique et lanceur d’alerte, pour pouvoir porter un cas, devra connaître le nom de la personne. Il sera le seul à en avoir connaissance.

Ce rapport aux lanceurs d’alerte est une réponse à PubPeer, le site sur lequel sont sorties des affaires ?

Le travail qui est fait sur un site comme PubPeer est intéressant. Mais je considère que le principe des attaques anonymes n’est pas acceptable. Notre histoire est jalonnée de périodes où les dénonciations anonymes ont causé des torts dramatiques. L’institution garantira la confidentialité mais n’accepte pas le principe des dénonciations anonymes. Les gens qui ont été récemment mis sur la sellette occupent des fonctions de responsabilité. On peut se demander si les gens qui les dénoncent ont pour seul objectif l’intégrité scientifique.

Vous vous êtes inspirés de systèmes existants ?

Peu après avoir pris mes fonctions, j’ai demandé à Olivier Le Gall, le président de l’office français d’intégrité scientifiques d’animer un groupe de travail pour nous faire des recommandations, qu’on a suivies dans leur immense majorité. Ce rapport, qui sera rendu public, est basé sur des pratiques existantes en France et à l’étranger. À partir de ce rapport, j’ai demandé au référent intégrité scientifique, Rémy Mosseri, qui a été nommé au 1er août, de réaliser un plan d’action qui sera présenté mardi et sera mis en œuvre. On précisera aussi que l’on va apprendre en marchant. Qu’il n’est pas impossible que nous serons amenés à revoir certaines mesures.

 

Au-delà de l’alerte et des procédures, vous abordez d’autres sujets ?

L’autre dimension importante est l’aspect pédagogie-information. On va renforcer la formation sur ces questions d’intégrité scientifique parce que les choses ne sont pas aussi simples que ce que l’on peut croire. Ce n’est pas juste tricher ou pas tricher. Les cas mis en avant aujourd’hui sont souvent discutables. Il y a des cas où on considère après enquête qu’il y a eu embellissement des figures (images), qui n’est pas pénalisable, et quelques cas où il y a eu trafic des figures, et là c’est normal de les pénaliser. Il y a des gradations, entre manque de déontologie, manque d’intégrité et fraude avérée.

De combien de cas de fraude scientifique êtes vous saisis ?

Les vrais cas de fraude scientifique sont exceptionnels. Mais il n’y a pas de raison que la population des chercheurs ne compte pas de tricheurs. Leur nombre est infime et il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur une communauté de gens passionnés et honnêtes. Mais comme pour les sportifs de haut niveau qui se dopent, il faut être, de mon point de vue, d’une sévérité extrême.

On a l’impression que les cas se concentrent sur la recherche biomédicale. Parce qu’il y a plus de concurrence ? Parce que les résultats sont plus difficilement reproductibles ?

Il y a deux domaines sensibles. Certains domaines de la recherche biomédicale, effectivement. En sciences humaines et sociales, on peut avoir des choses qui relèvent du plagiat, ce n’est pas tout à fait la même chose.

Effectivement, la biologie est un domaine où il y a un peu une dictature du h-index et de l’impact factor (des index qui tiennent compte du nombre d’articles scientifique et du nombre de fois où ils sont cités). Et puis, la reproduction des expériences prend du temps, et certains ont pu vouloir faire des raccourcis et n’ont pas pris le temps nécessaire pour tout tester.

Et si les soupçons sont invalidés ?

Une fois que vous avez été l’objet d’une accusation publique, il est difficile de laver son honneur. Si une commission d’enquête conclut à l’ innocence, le CNRS fera un papier que la personne pourra utiliser pour dire que les accusations sont infondées. Ce n’est pas toujours si simple : vous pouvez être innocenté d’avoir volé une banque le mardi mais vous l’avez volée le lundi ou vous allez la voler le mercredi. Il faudra que nous soyons très précis sur la formulation, mais c’est important. Il est trop facile de jeter le doute sur une personne et de ne pas prendre en compte les conséquences.

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