VIDEOS. « Implant Files » : les huit séquences de « Cash Investigation » qu’il ne fallait pas rater

Le Consortium international des journalistes d’investigation révèle, via l’opération « Implant Files », comment les implants médicaux sont insuffisamment testés avant leur commercialisation. Si vous n’avez pas pu voir l’enquête de Marie Maurice et Edouard Perrin diffusée mardi sur France 2 dans « Cash Investigation », franceinfo a sélectionné des extraits.

Le numéro \"Implants : tous cobayes ?\", de \"Cash Investigation\" a été diffusé mardi 27 novembre 2018 sur France 2.
Le numéro « Implants : tous cobayes ? », de « Cash Investigation » a été diffusé mardi 27 novembre 2018 sur France 2. (CASH INVESTIGATION)

Un laboratoire qui met sur le marché un implant sans en connaître la durée de vie, et sans procéder au moindre essai clinique ? C’est possible. Une enquête collective intitulée « Implant Files », sur les dispositifs médicaux, et menée par le Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ), dont « Cash Investigation » est partenaire, révèle que pour commercialiser en France un dispositif médical (stent, valve, prothèse mammaire, prothèse vaginale, etc.), les études sont superflues. Un simple dossier soumis à un organisme de certification peut suffire. Le magazine de France 2 « Cash Investigation«  a consacré, mardi 27 novembre, un numéro à cette enquête. Voici les séquences qu’il ne fallait pas rater.

Les témoignages de deux porteuses de prothèses vaginales qui vivent un calvaire

Chaque année, près de 50 000 femmes se font implanter une prothèse vaginale pour soigner une descente d’organes ou une incontinence. C’est le cas de Natacha et de Cathy. Ce dispositif médical, qui consiste en un filet synthétique qui soutient la vessie, fonctionne souvent. Mais pas dans leurs cas.

Dès son implantation, cette prothèse fait souffrir Natacha. « Au niveau de la jambe, j’ai tout le temps des coups d’électricité, des douleurs comme une rage de dents, un truc qui s’arrête pas », affirme-t-elle. Une fois en place, il arrive en effet que le filet se rétracte, tirant alors sur les chairs, ce qui peut faire très mal. Les médecins ont bien tenté de lui retirer cette prothèse… mais elle n’a pas été conçue pour être explantée. Natacha est donc aujourd’hui condamnée à vivre avec sa douleur.

Trois ans après la pose d’une prothèse vaginale, en 2010, les premières douleurs apparaissent aussi chez Cathy. « A chaque fois que j’urinais, je pleurais, je gémissais, j’étais au bord de l’évanouissement », témoigne-t-elle aujourd’hui. Une radio conclut que des bouts de sa prothèse se déplacent dans son vagin et sa vessie. Elle est opérée à plusieurs reprises mais le chirurgien ne parvient pas à retirer tous les morceaux.

Quand « Cash Investigation » lance son entreprise d’implants bidon

Pour vérifier la sécurité du processus de mise sur le marché d’implants, « Cash Investigation » a tenté le pari fou de décrocher l’autorisation de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour une prothèse vaginale fictive.

L’équipe de l’émission a suivi le processus et la réponse de l’ANSM est arrivée par e-mail : « Vous recevrez un accusé de réception dès que nous aurons procédé à l’enregistrement de vos dispositifs médicaux. Toutefois, vous n’avez pas besoin d’attendre ce document pour faire la mise sur le marché de vos dispositifs médicaux. » Eh oui : en France, les dispositifs médicaux n’ont pas besoin d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), contrairement aux médicaments. L’ANSM n’est qu’une chambre d’enregistrement des implants. Enregistrer une prothèse bidon est donc possible.

Le principal fabricant de prothèses vaginales connaissait les risques de complications

« Cash Investigation » a mis au jour des documents internes de l’entreprise Ethicon, qui fabrique la prothèse vaginale la plus célèbre, Prolift. Au moment où l’entreprise est en phase de conception du produit, durant les années 2000, ces documents indiquent que « des données cliniques à long terme ne seront pas nécessaires pour lancer le produit ».

Lors de l’étude d’un an qui est menée, les complications de la future prothèse apparaissent déjà. Mais pour un haut dirigeant d’Ethicon, ces effets sont « le prix à payer » pour certaines des femmes qui seront opérées. « Ils n’ont pas prévenu les médecins, ils n’ont pas prévenu les patientes » de ces possibles complications, s’insurge l’avocat Adam Slater, qui a déjà réussi à obtenir des dommages et intérêts de la part de l’entreprise pour trois femmes souffrant de leur prothèse vaginale.

« Les premières patientes, (…) ce sont des cobayes », selon l’inventeur de la principale prothèse vaginale

Le professeur Bernard Jacquetin est l’inventeur de la future prothèse Prolift pour le compte d’Ethicon. En 2005, dans un courrier envoyé à l’entreprise, il met en garde le fabricant contre les risques de douleurs rencontrées avec sa prothèse : « Je ne souhaiterais pas que ma femme subisse cette intervention ».

Désormais, il estime que le problème est « derrière nous ». Les complications rencontrées par certaines patientes « nous [ont] permis de beaucoup progresser dans la connaissance de la douleur du périnée », se défend le scientifique auprès de « Cash investigation ». Qu’en est-il des premières patientes, qui ont toujours mal ? Sont-elles des cobayes ? « Malheureusement, oui », reconnaît Bernard Jacquetin. « Est-ce que vous pouvez comprendre qu’un jour, à un moment vous avez une innovation… Effectivement, les premières patientes, on peut dire que ce sont des cobayes, des gens qui essuient les plâtres des innovations, oui. (…) Mais comment l’éviter ? »

Le témoignage d’une victime du lymphome des implants mammaires

Clara travaillait comme aide-soignante dans un hôpital de la banlieue de Washington, aux Etats-Unis. En mai 2018, les médecins lui ont diagnostiqué un lymphome de stade 4, soit le plus élevé, lié à ses implants mammaires texturés. Ce dispositif médical a déjà causé la mort de 16 femmes dans le monde.

Clara est désormais sous chimiothérapie. C’est à la salle de sport qu’elle se mesure à la maladie : « J’ai très envie de courir mais je ne peux pas respirer, donc je trotte. En fait, j’ai des caillots dans les poumons et si je force trop, j’ai du mal à respirer. La dernière fois que j’ai fait ça, j’ai fini aux urgences, donc… », témoigne-t-elle.

La longévité de cette valve cardiaque est inconnue

C’est un étrange objet, mi-bague, mi-couronne : une valve qui est déposée dans le cœur, sans chirurgie. Cette valve s’appelle le Tavi (Transcatheter Aortic Valve Implantation). Cette innovation était, à l’origine, destinée aux patients les plus âgés, inopérables. Aujourd’hui, les fabricants veulent l’étendre à des patients plus jeunes. A la clé : un marché de 5 milliards d’euros. Mais elle présente un problème : la durée de vie de cette valve est peu connue, alors qu’il n’est pas possible de la retirer.

Il existe bien une étude du fabricant de la valve, l’entreprise Edwards. Mais celle-ci ne suit la valve que durant un an, une fois posée. Un temps beaucoup trop court pour étudier véritablement sa longévité, dénonce Rachid Zegdi, un chirurgien cardiaque en région parisienne qui mène des recherches sur le Tavi depuis dix ans. Mais pas de panique, rapporte son fabricant : si le Tavi vieillit mal, les fabricants peuvent en réimplanter un, à l’intérieur de la première prothèse.

L’interview de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn

En Angleterre, l’utilisation des prothèses vaginales est suspendue depuis juillet 2018. Idem en Australie, où la plupart des implants vaginaux ont été suspendus, et où le ministre de la Santé a présenté ses excuses aux femmes ayant souffert de ces dispositifs. Interrogée sur l’urgence sanitaire de ces dispositifs médicaux, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, assure qu’elle « découvre le sujet » parce que les « dispositifs d’alerte » médicaux ne sont pas les mêmes partout. Mais elle promet de « regarde[r] quelles sont les alertes » de l’ANSM. Et assure « que les dispositifs médicaux sont insuffisamment régulés et que c’est une inquiétude pour la ministre que je suis ».

Concernant le lymphome lié aux implants mammaires, la ministre tient à rassurer les patientes. « Je dis aujourd’hui aux femmes que le risque d’avoir un lymphome lié à un implant mammaire est très faible. On est autour de 50 cas pour 500 000 femmes, ça reste une maladie très rare. (…) Par contre, au moindre risque d’alerte sur un sein, bien sûr il faut consulter immédiatement. »

« Dans les 48 heures avant notre interview », il y a eu deux nouvelles annonces sur le sujet, note aussi Elise Lucet : le lancement d’une audition publique de l’ANSM sur l’utilisation des implants mammaires – qui recommande désormais l’utilisation d’implants mammaires à enveloppe lisse – et une déclaration des sociétés savantes françaises qui se prononcent pour l’arrêt d’implantation de certaines prothèses mammaires.

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