Fuites à la centrale nucléaire de Cruas : une association d’experts démissionne

14 décembre 2018

Fuites à la centrale nucléaire de Cruas : une association d'experts démissionne

La Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) a démissionné de la commission locale d’information (Cli) [1] de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse (Ardèche), lundi 10 décembre, par une lettre adressée au président de la Cli, Pascal Terrasse. La Criirad avait annoncé son intention de partir lors du dernier conseil d’administration de la Cli, le 26 octobre, et refusé de participer à la plénière de novembre.« Nous souhaitons pouvoir intervenir auprès de la Cli en tant qu’expert mais nous ne voulons plus participer à cette mascarade. Nous avons constaté des dysfonctionnements lourds, qui pourraient engendrer des expositions injustifiées à la radioactivité, menaçant les travailleurs, les riverains et l’environnement », a déclaré à Reporterre Sylviane Poulenard, administratrice de la Criirad et ex-membre de la Cli.

Le laboratoire indépendant de mesure de radioactivité dans l’environnement, créé en mai 1986 par Michèle Rivasi à la suite de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, estime « anormal » que les membres de la Cli ne soient pas informés de certains incidents qui se produisent dans l’enceinte de la centrale. En mai 2018, EDF, exploitant de la centrale, a découvert une concentration de tritium près de vingt fois supérieure à la normale –- 190 becquerels par litre au lieu de 10 –- au niveau des captages d’eau potable de la centrale -– lesquels alimentaient notamment la cantine. « L’ASN [Autorité de sûreté nucléaire] n’a été informée de cette anomalie que très tardivement, et les membres de la Cli l’ont appris dans la presse », s’insurge Mme Poulenard. En août 2018, ce sont des hydrocarbures qui sont détectées dans la nappe d’eau souterraine sous la centrale. « Là aussi, l’information n’est pas venue tout de suite. Nous l’avons également appris dans la presse. »

Les plénières de Cli, « grand-messe où l’exploitant déroule son diaporama »

La Criirad critique aussi le format des plénières de la Cli, « sortes de grand-messe où l’exploitant déroule son diaporama, suivi de quelques remarques de l’ASN, puis de quelques questions auxquelles il est souvent répondu que la réponse sera donnée la prochaine fois ou qu’il faut envoyer un courrier », déplore l’administratrice de la Criirad. « En outre, les documents de préparation de la plénière ne sont envoyés que trois ou quatre jours avant, ce qui fait que notre laboratoire n’a pas le temps de travailler dessus. » Enfin, la Criirad regrette que la Cli de Cruas ne se saisisse pas de sa possibilité de commander des études indépendantes. « Nous étions très satisfaits de présenter nos études sur les transports de matières radioactives et sur les rejets dans le Rhône. Nous y soulevions des problèmes qui auraient justifié des études complémentaires. Mais c’était comme donner un coup d’épée dans l’eau : il n’y a eu aucune réaction de la part de la Cli. »

La réunion publique prévue le 17 décembre, dans le cadre de la concertation sur le prolongement des réacteurs de la centrale au-delà de quarante ans, a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. « Elle a été présentée comme une réunion de concertation, alors qu’il ne s’agit que d’une histoire de communication, dénonce Mme Poulenard. Notre avis ne sera pas pris en compte, surtout que le processus de prolongation est déjà lancé. Nous avons calculé qu’au terme du processus de réexamen en vue de la prolongation, les réacteurs auront déjà entre 44,5 et 50 ans ! »

Didier Boulle, chargé de mission de la Cli de Cruas pour le conseil départemental de l’Ardèche, « regrette » le départ de la Criirad. « Elle est compétente, reconnue et avait toute sa place dans la Cli. » Selon lui, le laboratoire s’est retirée entre autres raisons pour pouvoir assurer des prestations payantes pour le compte de la Cli. « Ce qu’en tant que membre de la Cli, elle n’aurait pas pu faire. Maintenant qu’elle n’est plus dans la commission, on pourra éventuellement la consulter et lui confier une prestation de service, dans le cadre d’un appel d’offres. » Mais pour l’heure, aucune commande d’étude n’est prévue. « C’est sûr qu’on ne pouvait pas être juge et partie, admet l’administratrice de la Criirad. Même si EDF fonctionne beaucoup en autoproduisant les études qui le concernent, il n’était pas question pour nous de rentrer dans ce jeu-là. Cela dit, depuis que nous sommes dans la Cli, la question ne s’est jamais posée. Et si une étude avait été commandée, d’autres laboratoires que le nôtre auraient pu intervenir. »

  • Source : Reporterre

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