CRISE DU LEVOTHYROX. La science comme juge de paix? Autorités et AFMT. Prémices.

  • Publié le 10 février 2019

Jacques Guillet

SuiviPédiatre, biologiste des hôpitaux, médecinnucléaire, biophysicien7 articles

Depuis les années 1980, un médicament d’excellente réputation et en situation de quasi-monopole, le Levothyrox est consommé par des millions de malades, avec extrêmement peu d’effets indésirables. Jusqu’à ce que l’administration française impose une amélioration. Le laboratoire pharmaceutique qui le fabrique lui substitue une autre formule avec le même principe actif.

Présenté comme plus stable, identique en efficacité et amélioré en tolérance, il déclenche pourtant une flambée d’effets indésirables, dès son introduction en avril 2017. Il n’y a pas de précédent d’une telle ampleur. Inexplicable dit le Comité de pharmacovigilance.

Des alternatives à ce traitement sont donc annoncées en septembre, en urgence, initialement rationnées par les autorités.

Simple « Crise de l’information » avec un effet amplificateur des médias et réseaux sociaux affirment les autorités. Effet nocebo lancent des notoriétés des sociétés savantes. Occultation ou minoration des expériences malheureuses des autorités avec les génériques de ce médicament, sous-estimation du nombre et de la gravité des effets indésirables, biais du recueil des symptômes présents, dit l’Association Française des Malades de la Thyroïde (AFMT). Elle est guidée par son expérience de 20 ans de vécus individuels et collectifs de souffrance des malades.

Deux stratégies. Celle des autorités publiques, rassurante, essentiellement statistique, descriptive et normative en attendant que les alternatives au traitement fassent disparaître les problèmes rencontrés et oublier la crise. C’est sans doute un espoir, mais sûrement pas une explication. 

Celle de l’Association Française de la Thyroïde incite à une démarche scientifique. Elle s’ouvre sur la caractérisation des causes objectives. s’interroge sur les critères d’autorisation fondés sur des analyses statistiques qu’elle juge trop fragiles, sur des insuffisances en amont (études de composition fine et de stabilité chimiques) et en aval (études biologiques et cliniques). Elle s’efforce de démontrer ces limites, en mobilisant des leviers scientifiques afin d’enclencher un mouvement de Recherche des autorités et des organismes publics spécialisés.

Cette crise est trop profonde et trop lourde de conséquences pour qu’elle soit dominée par des habiletés de « communicants ». Non comprise, elle projettera une ombre durable sur le système de protection des malades sous traitement. Elle se renouvelera avec d’autres médicaments. Sa résolution est donc indispensable au retour de la confiance dans le système de santé. Au stade de méfiance ou de doute auxquels sont arrivés trop de malades, l’objectivité scientifique de laboratoires de renommée internationale sera-t-elle le juge de paix que tous attendent ?

VERS UNE REPONSE SCIENTIFIQUE A LA CRISE DU LEVOTHYROX, se présente donc comme une succession de six articles factuels destinés à faire le point et à mener une réflexion profitable à une mobilisation pour des travaux de Recherche. 

 (1) Autorités et Association française des malades de la thyroïde (AFMT). Prémices

(2) Montée des signalements et interrogations scientifiques

(3) Relativisme contre démarche scientifique

(4) Limites des arguments des autorités

(5) La logique de l’AFMT : pourquoi faire des travaux de recherche, et lesquels ?

(6) Stratégie de l’AFMT. Synthèse et conclusion.

Le plan pourra être modifié selon l’actualité scientifique. .Les principales sources bibliographiques sont indiquées dans le texte.

Les sources autour du Levothyrox sont accessibles sur

-Site de l’ANSM https://ansm.sante.fr/Mediatheque/Publications/Rapports-Syntheses-Medicaments#folder_110079

-Site de l’AFMT https://www.afmthyroide.fr/index.php/author/asso-thyroidegmail-com/

-Articles J. Guillet  » crise du Levothyrox » 13, 15, 18, 27 septembre et 3 novembre 2017 sur LinkedIn

(I) CRISE DU LEVOTHYROX ? La science comme juge de paix ?

(1) Autorités et Association française des Malades de la Thyroïde (AFMT). Prémices.

À l’origine, une demande de l’Agence nationale de sécurité du médicament (#ANSM), à la fois autorité, « garante de la sécurité et de la qualité du médicament », contrôleur, gendarme, et chargée de l’information dans son domaine. Elle s’adresse à l’industrie pharmaceutique. Dans les comprimés de #lévothyroxine, la teneur en principe actif ne doit pas varier de plus de 5% autour de la valeur cible. Trois millions de français sont directement concerné.

Modification majeure de type II en situation de monopole

La solution retenue par le laboratoire Merck-Serono est une nouvelle formule. Elle entre dans le champ du règlement européen CE/1234/200. Il s’agit d’une « modification majeure de type II » du fait de « Changements qualitatifs ou quantitatifs concernant un ou plusieurs excipients, susceptibles d’avoir des répercussions significatives sur la sécurité, la qualité ou l’efficacité du médicament ». Autrement dit, à chacun de ces niveaux, il est impossible d’écarter un risque dû à la « variation », terme technique pour désigner ce changement. In fine, à l’ANSM d’en juger sur les éléments qui lui paraissent pertinents. En effet, « ces modifications doivent être approuvées par l’autorité compétente avant leur mises en œuvre. »

La nouvelle formule ne s’adresse pas au reste de l’Europe. En particulier l’Allemagne, siège du laboratoire et lieu de fabrication du médicament continue avec l’ancienne formule. La France est donc dans une situation de pionnier…ou de territoire-test. Car le Lévothyrox y jouit d’un monopole de fait exceptionnel. Un tel changement est sans doute sans équivalent dans le monde par son ampleur et sa rapiditéLes données serviront de base à l’extension de l’autorisation dans le reste de l’Europe via l’Agence européenne des médicaments  « worksharing procedure, European Medicines Agency ».

 Il est donc facile d’imaginer que le dispositif de Recherche et toute la chaîne de surveillance des autorités soient aux aguets. D’autant que l’avis de la Haute autorité de santé (#HAS)qui survient quelques jours plus tôt tempère le bénéfice attendu par rapport au risque : « pas d’amélioration du service médical rendu (ASMR V) par rapport aux spécialités déjà inscrites »

Information banalisée.

Le fait technologique n’a pas la même tonalité quand il devient public auprès des malades, des médecins et des pharmaciens en mars 2017.

« Lévothyrox : changement de formule et de couleur des boîtes et des blisters ». Tel est le titre de la fiche question/réponse de l’ANSM, destinée aux malades. Plus loin, « la nouvelle formule a été démontrée bio équivalente à l’ancienne (…) par des études de biodisponibilité. Cette bio équivalence est la garantie d’une efficacité et d’une sécurité identiques à celle de l’ancienne formule. » Dans la fiche pour les médecins, « Aucun changement lié à la modification de formule n’est attendu pour les patients. ». Seuls quelques groupes fragiles sont à surveiller. La phrase « Par mesure de précaution, l’ANSM recommande aux patients qui pensent observer des symptômes traduisant un déséquilibre thyroîdien de consulter leur médecin » ne fait que rappeler ce que dit tout médecin à tout malade hypothyroîdien. 

Avec cette présentation, l’amélioration de la qualité fait disparaître l’idée d’un risque lié à une « modification majeure » d’un médicament « à marge thérapeutique étroite »..

L’innocuité discutable d’un changement brutal.

Du jour au lendemain, avec une apparence d’innocuité banale, l’ANSM impose donc sa décision à 3 millions de Français malades. La nouvelle formule prend le relais de l’ancienne, désormais interdite à la vente. Pas d’alternative possible. 3 400 000 boîtes de l’ancienne formule étaient vendues en mars 2017, 1 600 000 en avril, 600 000 en mai, 50 000 en juin. L’opération de substitution est alors complète. [ Tableau I : Evaluation du nombre de boîtes de Levothyrox ancienne formule (AF) et nouvelle formule (NF)]

Mais, dès le mois d’avril, de nombreux malades constatent une dégradation de leur état de santé. Ils s’en ouvrent à leurs médecins qui ne font pas souvent le lien avec le changement de formule. Alors les malades vivent errances diagnostiques, successions de consultations, d’examens, voire d’hospitalisations. Quand leurs analyses hormonales (TSH) sont contrôlées, elles sont dans les limites normales pour deux tiers d’entre euxPour les autres, les modifications de posologie ne règlent pas toujours tout. Ils font parallèlement remonter l’information à leurs associations. Le nombre de signalements augmente très fortement sur le portail de pharmacovigilance sans réaction notable de l’ANSM pendant 5 mois.

Deux perceptions vont s’affronter. Celle des autorités, de ses experts et du laboratoire pharmaceutique, et celle de l’association française des malades de la thyroïde (AFMT). Dans les relais médiatiques, une communication optimiste s’efforce de relativiser la crise, de la réduire à une question de communication et de réseaux sociaux.  Pour l’AFMT, les faits ont des caractéristiques telles qu’ils ne peuvent faire l’économie d’une réflexion scientifique.

(A suivre. Prochain article : montée des interrogations scientifiques)

Vous aimerez aussi...