Levothyrox : une étude donne raison aux patients

Selon ces travaux franco-britanniques, les deux versions du traitement commercialisé par Merck auprès des malades de la thyroïde ne sont pas substituables pour chaque individu.

Par Pascale Santi et Stéphane Foucart Publié aujourd’hui à 11h09, mis à jour à 11h17

Des patients réunis à Villeurbanne, près de Lyon, en décembre 2018, lors d’un procès intenté au laboratoire Merck.
Des patients réunis à Villeurbanne, près de Lyon, en décembre 2018, lors d’un procès intenté au laboratoire Merck. JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

Ni hystérie collective, ni complotisme des patients, ni « effet nocebo » géant. Deux ans après les premiers signalements d’effets indésirables attribués à la nouvelle formule du Levothyrox, des travaux franco-britanniques, publiés jeudi 4 avril dans la revue Clinical Pharmacokinetics, objectivent pour la première fois les plaintes déclarées par plusieurs dizaines de milliers de malades de la thyroïde. Ils indiquent que les deux formulations du médicament commercialisé par Merck ne sont pas substituables pour chaque individu : près de 60 % des patients pourraient ne pas réagir de la même manière aux deux versions du médicament. Ces travaux sont susceptibles de remettre en cause le plan de développement prévu par la firme pour sa nouvelle version du Levothyrox, qui doit être déployée dans 21 pays européens au cours des prochains mois.

Ces résultats seront difficilement réfutables par le laboratoire et les autorités de santé, puisqu’ils sont fondés sur une réanalyse des données fournies par le laboratoire lui-même à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Au passage, la crédibilité de l’agence en sort écornée : en creux, les travaux conduits par le biostatisticien Didier Concordet (université de Toulouse, INRA, Ecole nationale vétérinaire de Toulouse) et ses coauteurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de l’Université de Londres, montrent que l’ANSM n’a pas procédé à une analyse indépendante des données fournies par Merck à l’appui du changement de formule : elle s’est entièrement reposée sur l’interprétation qu’en a faite la firme. Sollicitée, l’agence n’était pas en mesure de réagir jeudi matin.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Levothyrox : les effets indésirables minimisés par les autorités et les experts

Aucun problème en apparence : Merck a procédé à un essai dit de « bioéquivalence moyenne » visant à s’assurer que les deux formules avaient un effet identique. Plus de 200 individus sains ont été enrôlés dans le test et ont reçu l’ancienne, puis la nouvelle formule du Levothyrox. A chaque fois, des contrôles sanguins réguliers ont permis de suivre, dans les deux cas, l’évolution de la concentration d’hormone thyroïdienne ciblée (dite L-T4). L’intervalle de confiance de la réponse moyenne des sujets traités par la nouvelle formule se situe bel et bien dans la « bande de bioéquivalence » : le changement de concentration de L-T4 est similaire, en moyenne, à plus ou moins 10 %, à ce qui est obtenu avec l’ancienne formulation

Selon des travaux franco-britanniques, les deux versions du traitement commercialisé auprès des malades de la thyroïde ne sont pas substituables pour chaque individu.

Par Pascale Santi et Stéphane Foucart

Publié aujourd’hui, mis à jour à 12h27

Des patients réunis à Villeurbanne, près de
                Lyon, en décembre 2018, lors d’un procès intenté au
                laboratoire Merck.

 Des patients réunis à Villeurbanne, près de Lyon, en décembre 2018, lors d’un procès intenté au laboratoire Merck. JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

Ni hystérie collective, ni complotisme des patients, ni « effet nocebo » géant. Deux ans après les premiers signalements d’effets indésirables attribués à la nouvelle formule du Levothyrox, des travaux franco-britanniques, publiés jeudi 4 avril dans la revue Clinical Pharmacokinetics, objectivent pour la première fois les plaintes déclarées par plusieurs dizaines de milliers de malades de la thyroïde.

Ils indiquent que les deux formulations du médicament commercialisé par Merck ne sont pas substituables pour chaque individu : près de 60 % des patients pourraient ne pas réagir de la même manière aux deux versions du médicament. Ces travaux sont susceptibles de remettre en cause le plan de développement prévu par la firme pour sa nouvelle version du Levothyrox, qui doit être déployée dans 21 pays européens au cours des prochains mois.

Ces résultats seront difficilement réfutables par le laboratoire et les autorités de santé, puisqu’ils sont fondés sur une réanalyse des données fournies par le laboratoire lui-même à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Au passage, la crédibilité de l’agence en sort écornée : en creux, les travaux conduits par le biostatisticien Didier Concordet (université de Toulouse, INRA, Ecole nationale vétérinaire de Toulouse) et ses coauteurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de l’Université de Londres, montrent que l’ANSM n’a pas procédé à une analyse indépendante des données fournies par Merck à l’appui du changement de formule : elle s’est entièrement reposée sur l’interprétation qu’en a faite la firme. Sollicitée, l’agence n’était pas en mesure de réagir jeudi matin.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Levothyrox : les effets indésirables minimisés par les autorités et les experts

Aucun problème en apparence : Merck a procédé à un essai dit de « bioéquivalence moyenne » visant à s’assurer que les deux formules avaient un effet identique. Plus de 200 individus sains ont été enrôlés dans le test et ont reçu l’ancienne, puis la nouvelle formule du Levothyrox. A chaque fois, des contrôles sanguins réguliers ont permis de suivre, dans les deux cas, l’évolution de la concentration d’hormone thyroïdienne ciblée (dite L-T4). L’intervalle de confiance de la réponse moyenne des sujets traités par la nouvelle formule se situe bel et bien dans la « bande de bioéquivalence » : le changement de concentration de L-T4 est similaire, en moyenne, à plus ou moins 10 %, à ce qui est obtenu avec l’ancienne formulation.

« Certains ont recopié les milliers de lignes de chiffres »

Alors ? L’histoire est un peu celle de La Lettre volée d’Edgar Poe. La solution du problème était sous les yeux, apparemment trop évidente pour être découverte. En septembre 2017, pour répondre à l’inquiétude, l’ANSM a mis sur son site Web l’ensemble des données de bioéquivalence produites par Merck. Mais ces données ont été fournies par la firme au format image, et non dans un format numérique susceptible d’être utilisable à des fins de réanalyse statistique. Sous cette forme, ces informations étaient inexploitables.

C’est un peu comme si deux classes étaient jugées équivalentes parce que la moyenne des notes obtenues par les élèves dans chacune est identique

Les chercheurs ont donc téléchargé cet épais dossier et ont procédé à un travail de fourmi. Ils ont ressaisi, à la main, des centaines de pages. « Nous y avons passé plusieurs jours, raconte le pharmacologue Pierre-Louis Toutain (université de Londres), coauteur de ces travaux. Certains ont recopié les milliers de lignes de chiffres et d’autres sont repassés pour vérifier, case par case, qu’aucune erreur n’avait été introduite lors de la saisie. » Ainsi rendue possible, la réanalyse statistique des données leur réservait une surprise de taille : la moyenne effectuée masquait une grande dispersion des réactions individuelles. Un peu comme si deux classes étaient jugées équivalentes parce que la moyenne des notes obtenues par les élèves dans chacune est identique, alors que les écarts de notes sont plus importants dans une classe que dans l’autre.Lire aussi Levothyrox : le CNRS met en cause les affirmations d’un de ses chercheurs

Selon les chercheurs, la réponse à la nouvelle formule se situe hors de la bande de bioéquivalence pour près de 60 % des individus enrôlés dans l’essai. A peu près autant se situent au-dessus et au-dessous : le simple fait d’avoir effectué la moyenne a donc fait disparaître cette dispersion, traduisant des réponses individuelles différentes. L’analyse des chercheurs est cohérente avec la diversité des signalements enregistrés au cours des derniers mois : certains patients se plaignaient de signes d’hyperthyroïdie, tandis que d’autres, au contraire, signalaient l’inverse. Ces disparités des effets indésirables rapportés a été un argument fort des autorités de santé et de nombreux médecins, pour ne pas attribuer à la nouvelle formule du médicament les maux signalés par les patients.

« Les lancements dans les autres pays de la nouvelle formule de Lévothyrox se sont très bien déroulés, répond-on chez Merck, où l’on souligne que la nouvelle formule satisfait plus de 2,5 millions de patients en France.

Des associations de malades avaient cependant, très tôt, exprimé des doutes sur la pertinence des tests conduits par Merck. Dans une tribune au Monde, la présidente de l’association Vivre sans thyroïde, Beate Bartès, soulignait dès l’automne 2017, les lacunes potentielles des études de bioéquivalence fournies aux autorités.

Comment expliquer de telles divergences de réaction selon les malades traités ? Les chercheurs forment l’hypothèse que le changement d’excipient, dans la nouvelle formule du Lévothyrox, puisse expliquer la situation. Le lactose de l’ancienne formule a en effet été remplacé par du mannitol et de l’acide citrique. Or, notent les auteurs, la biodisponibilité (la fraction d’une substance à atteindre la circulation sanguine) des substances à faible perméabilité, comme la lévothyroxine, « dépend de la durée du transit dans le système gastro-intestinal, qui peut être influencée par le mannitol ». En outre, la marge thérapeutique de la lévothyroxine est très étroite : de petites variations peuvent avoir des effets importants sur le patient.

« Bioéquivalence moyenne »

« Nous tenons à rappeler que l’approche retenue par cette étude est basée sur l’analyse de la variabilité individuelle, ce qui n’est pas conforme aux méthodes de référence demandées par les autorités de santé, et validées par 23 autorités sanitaires », répond-on chez Merck. Ce dont les chercheurs ne disconviennent pas. « Il faut préciser qu’il ne s’agit pas d’un manquement de la part du laboratoire qui a respecté la réglementation européenne, car celle-ci ne propose qu’un test de bioéquivalence moyenne, dit ainsi Pierre-Louis Toutain. En fait, ce test a été conçu pour permettre la mise sur le marché de nouveaux médicaments génériques, et non pour garantir, pour chaque individu, le caractère substituable d’une formule par une autre. »

Cette subtilité avait été anticipée de longue date. Ainsi, en 2010, lors de l’adoption de la « ligne directrice » réglementaire en matière de bioéquivalence, l’Agence européenne du médicament (EMA) – gardienne des « bonnes pratiques » imposées à l’industrie pharmaceutique en Europe – avait reçu un commentaire de protestation de l’une des parties engagées dans le processus réglementaire. « La version actuelle de la “ligne directrice” ne traite que de bioéquivalence moyenne, notait ce dernier, cité par les chercheurs dans leur étude. Le caractère acceptable de cette situation n’est pas évident. » L’EMA avait rejeté le commentaire sans argumenter et maintenu en l’état la « ligne directrice ». Le ver était dans le fruit.

Pascale Santi et Stéphane Foucart

ns ont recopié les milliers de lignes de chiffres »

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