Levothyrox: l’étude de bioéquivalence mise en cause

  • Par  Soline Roy 
  • Mis à jour le 05/04/2019 à 13:22 
  • Publié le 04/04/2019 à 21:04

Des chercheurs toulousains considèrent que l’étude qui a permis de valider la nouvelle formule du laboratoire Merck n’aurait pas dû suffire à autoriser la substitution de l’ancienne version du médicament.

Une page de plus dans le dossier Levothyrox? Une équipe menée par l’Université de Toulouse a réexaminé les données fournies par le laboratoire Merck à l’Agence de sécurité du médicament (Ansm) lors de la validation de sa nouvelle formule à base de levothyroxine, largement prescrite contre l’hypothyroïdie. Et dans une «lettre d’opinion» publiée par la revue Clinical Pharmacokinetics , les auteurs estiment que les essais réalisés par Merck n’étaient pas suffisants pour valider la substitution d’une formule par l’autre. Quelque 31.000 signalements d’effets secondaires ont été faits entre mars 2017, date du changement de formule, et avril 2018.

Selon les auteurs toulousains, les données fournies par le laboratoire pharmaceutique n’auraient pas dû permettre de faire «l’hypothèse que les deux produits, étant bioéquivalents, seraient également interchangeables» sans prendre de précautions particulières. On dit de deux médicaments qu’ils sont bioéquivalents lorsque, administrés à la même concentration, ils se comportent de la même façon par l’organisme.

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Pourquoi l’étude du laboratoire est-elle critiquée?

Les données du laboratoire que pointe l’équipe toulousaine sont les résultats d’une étude dite de «bioéquivalence moyenne», réalisée auprès d’un peu plus de 200 volontaires sains par Merck en 2014. Pour comparer le devenir des deux formulations dans l’organisme, les participants ont pris l’un, puis l’autre, et ont subi des analyses de sang à plusieurs reprises pendant 72 heures. Pour rappel, les deux formulations se distinguent par leur excipient (l’enrobage du principe actif): l’ancienne contenait du lactose, la nouvelle du mannitol et de l’acide citrique. En revanche le principe actif (la lévothyroxine) est identique.

Les études de bioéquivalence ne sont pas conçues pour juger de l’efficacité du médicament testé, ni de sa toxicité. «La bioéquivalence est définie selon trois paramètres», explique le Pr François Chast, pharmacien des hôpitaux et président honoraire de l’Académie nationale de pharmacie: «biodisponibilité (la fraction du médicament véritablement absorbée par l’organisme), temps pour obtenir une concentration maximale dans le sang, et niveau de cette concentration maximale». Lorsque ces trois paramètres sont très semblables entre deux spécialités pharmaceutiques, on considère que celles-ci sont «bioéquivalentes».

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Disparités individuelles

«Une étude de bioéquivalence moyenne, c’est très bien pour mettre un générique sur le marché», concède auprès du Figaro le Pr Pierre-Louis Toutain, de l’École nationale vétérinaire de Toulouse (Université de Toulouse) et auteur de l’étude toulousaine. «Mais quand on impose une substitution à près de 3 millions de personnes, cela ne suffit pas». Car cette moyenne risque de masquer d’importantes disparités individuelles, surtout concernant un médicament comme le Levothyrox, dont la «marge thérapeutique» (la différence entre la dose efficace et la dose toxique) est étroite.

Dans l’étude de Merck, plus de 50% des participants à l’étude se situaient «en dehors de la plage de bioéquivalence», estiment les chercheurs toulousains. Ce qui ne signifie pas que la moitié des patients prenant du Levothyrox devraient souffrir du changement de formule: seuls 1,43% de l’ensemble des patients traités avec la nouvelle formule du Levothyrox ont déclaré des effets indésirables entre mars 2017 et mi-avril 2018.» Et «rien n’indique», ajoute le Pr Chast, que ceux qui sortent de la plage de bioéquivalence «soient ceux qui ressentent des effets indésriables».

Merck précise par ailleurs que «l’interprétation» faite par les auteurs toulousains des travaux réalisés par le laboratoire en 2014 «est par nature biaisée puisqu’elle constitue une analyse rétrospective de données sur une dimension, la variabilité intra-individuelle, pour laquelle l’étude n’avait pas été conçue». «C’est bien le problème, répond le Pr Toutain: Merck ne démontre pas la substituabilité car son essai n’a pas été conçu pour ça.»

Ajuster les doses prescrites

«Pour tout produit, il existe des variations non seulement entre les individus, mais selon les jours pour un même individu», explique le Pr Chast. «Si vous prenez un médicament le 4 avril, vous ne l’absorberez pas forcément de la même manière que le 6 avril, ou le 25. Cela dépend de ce que vous avez mangé, des autres médicaments que vous avez pris, d’une éventuelle fièvre… Et deux personnes de même corpulence absorberont le médicament différemment selon leur patrimoine génétique, la taille de leur estomac, leur physiologie, leur âge…» Pas de quoi pour autant remettre en cause les travaux présentés par le laboratoire pharmaceutique, estime le Pr Chast. «D’autant qu’à supposer que la nouvelle présentation ne soit pas strictement équivalente à l’ancienne, des examens biologiques permettent au médecin d’ajuster les doses prescrites.»

Merck précise que son étude est «conforme aux méthodes de référence demandées par les Autorités de Santé, et validées par 23 Autorités sanitaires». Ce que les auteurs toulousains ne contestent pas… pour la mise sur le marché d’un médicament générique, mis sur le marché en plus du médicament princeps; pas pour un changement de formulation imposée aux patients. «Mais l’Agence européenne du médicament dit expressément que ces lignes directrices ne concernent pas la substitution», déclare le Pr Toutain, qui note que les autorités sanitaires américaines étudient l’opportunité d’utiliser des études de bioéquivalence individuelle pour certains produits. «L’Agence américaine du médicament (FDA) estime que quand 10% des participants à une étude ne sont pas dans les clous, il faut étudier la bioéquivalence individuelle.»

Le Pr Toutain considère donc que les résultats obtenus par Merck auraient à tout le moins dû servir de «signal d’alarme» et pousser à réaliser une étude de bioéquivalence individuelle, dans laquelle chaque sujet reçoit le produit analysé à plusieurs reprises, pour étudier les variabilités d’une prise à l’autre. Un type d’étude «autrement plus contraignant, difficile, chère et sans garantie de succès», note le Pr Toutain.

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