Fukushima, (en attendant la prochaine catastrophe nucléaire) tout doit disparaître ! Voyage dans une zone interdite qui ne l’est plus

CÉCILE ASANUMA-BRICE 8 AVRIL 2019 

(MISE À JOUR : 8 AVRIL 2019)

Fukushima, (en attendant la prochaine catastrophe nucléaire) tout doit disparaître !  Voyage dans une zone interdite qui ne l’est plus

Dans la gare de Fukushima, on décompte les jours. Deux écrans noirs dans un cube blanc sur lesquels sont affichés les jours restants avant le commencement des jeux olympiques sont comme deux orbites béants d’un crâne vide. L’enthousiasme sportif laisse place à la colère ravivée des habitants à la face desquels on impose l’oubli. Pourtant, l’une des plus grandes catastrophes nucléaires mondiales est toujours bien présente. (Crédits photos : ©Cécile Asanuma-Brice)

La volonté des autorités d’un retour à la normal s’affronte à la réalité omnipotente

Les chiffres du temps tentent de remplacer ceux de la mesure de la radioactivité. Le taux de radioactivité ambiant ne s’affiche plus sur les compteurs installés en ville, d’autres ont été retirés. Toutes les traces visibles du désastre, pourtant présent, sont anéanties une à une. Les villes de l’ancienne zone d’évacuation autour de la centrale sont successivement rouvertes à l’habitat. L’école primaire d’Ukedô, sur la côte du village de Namie, à quelques kilomètres de la centrale, sera bientôt l’ultime symbole d’un désastre que l’on tente d’enfouir dans les mémoires du passé.

©Cécile Brice

Les demeures, souvent en ruine après huit années inhabitées, ont été pour la plupart démolies pour laisser place à de vastes terrains vacants. Ici, le vide est parfois plus lourd que le plein.

©Cécile Brice

©Cécile Brice

De Namie, notre voiture traverse la route 114 en direction de la ville de Fukushima. A quelques kilomètres de la côte, après être rentrés dans la zone montagneuse, nous ressentons des fourmillements dans les jambes, une sensation que je ne connais que trop pour avoir parcouru ces zones de nombreuses fois après le désastre. Alors que je conduisais, je demande à mes acolytes d’allumer mon compteur Geiger Radex. Nous mesurons 5 microsievert/h sur cette route réouverte au cœur de l’ancienne zone d’évacuation excédant plus de 38 fois la dose admise internationalement pour la population[1]. Si un tel taux se mesure alors que nous nous déplaçons en voiture à vive allure, combien pouvait-il y avoir dans les montagnes environnantes ?

©Cécile Brice

A droite et à gauche de la route, les entrées des demeures sont fermées par une grille blanche. Nous tentons de ralentir pour voir dans quel état se trouvent les bâtiments. Un garde surgit de suite de derrière la palissade de fer. Il nous fait signe de partir : « vous n’avez pas le droit de vous arrêter sur cette route. Il faut circuler ». Mais lui ? Avait–il conscience du taux de radioactivité auquel il était exposé toute la journée ? A quelques kilomètres de là, une nouvelle tentative reçoit le même accueil. Des gardes sont postés à chaque entrée.

« Je suis revenu parce que je veux mourir chez moi, mais j’ai demandé à mes enfants et mes petits enfants de ne jamais revenir ici»

C’est par ces mots que M. Hasegawa, 70 ans, fermier du village (irrégulièrement contaminé) d’Iitate rouvert à l’habitat depuis deux ans, entame sa présentation. Ces confidences encore courroucées après tant d’années, il les fait devant un parterre composé de ses anciens voisins, de quelques chercheurs et journalistes qui se réunissent chaque année depuis 2011[2].

M . Hasegawa tente désormais de relancer sa culture de Sarrazin sur des terres dont la couche arable n’est plus suite aux politiques de décontamination[3] : « La première année, j’ai ressemé et quelques mois après la fleuraison, les plantes se sont mises à s’assécher sans que je comprenne pourquoi ».

80% des déchets issus de la décontamination de nouveau répandus sur les terres

A l’entrée du village d’Iitate, les vrombissements des moteurs de camions de chantier emplissent l’air dans un tourbillon incessant. Les pelleteuses éventrent les sacs de terre contaminée de leurs dents acérées pour répandre leur contenu sur des sols désormais stériles. En 2016, le gouvernement déclarait que toute la terre issue de la décontamination en deçà de 8000 Bq/kg serait réutilisée[4]. En mars 2019, les autorités annoncent que 80% des déchets stockés dans des millions de sacs plastiques entreposés un peu partout dans le département sont estimés à moins de 8000Bq/kg et seront donc de nouveau éparpillés sur le territoire[5].

©Cécile Brice

Huit ans après le désastre, alors que l’AIEA ordonne au gouvernement japonais de déverser les bidons d’eau contaminée stockés autour de la centrale dans l’océan, le gouvernement japonais annonce la réouverture de la quasi totalité de la zone d’évacuation[6].

La rentrée du mois d’avril

Symbole fort, en avril 2017 le gouvernement a réouvert le tunnel des cerisiers dans la ville de Tomioka à 2 km de la centrale endommagée. Voici deux années que la ville affrète des bus pour que les anciens habitants puissent venir admirés les cerisiers centenaires en famille. Ce traditionnel Hanami (voir les fleurs) se fait par la vitre du bus au milieu d’un paysage de maisons abandonnées ou de parcelles vidées de leur bâtisse.

©Cécile Brice

©Cécile Brice

Bientôt, la foule en liesse des étrangers viendra applaudir les jeux olympiques qui s’ouvriront à Fukushima pour fêter les prouesses d’institutions internationales et nationales qui auront osé construire l’oubli. Faire comme si de rien n’était à Fukushima et proclamer, de nouveau, le nucléaire comme l’énergie propre de demain alors que la contamination est encore détectée jusqu’en Alaska[7], alors que du plutonium a été prélevé dans les rivières d’Iitate[8] (village rouvert à l’habitat) à 60km de la centrale. Le vent de positivisme écrase la mémoire pour rendre l’être résilient au pire. Le terrain est désormais préparé pour la prochaine catastrophe nucléaire



[1] La norme internationale fixe l’acceptabilité à 0,13microsievert/h (1msv/an) pour les citoyens

[2] Symposium Iisora, Fukushima, le 23 mars 2019.

[3] La politique de décontamination consiste à enlever 5 cm de couche de terre. Or cette terre en surface est celle qui contient les sédiments nécessaires à la culture.

[4] https://mainichi.jp/articles/20160701/k00/00m/040/…

[5] https://mainichi.jp/articles/20190319/k00/00m/040/…

[6] https://mainichi.jp/english/articles/20181114/p2g/…

[7] https://www.reuters.com/article/us-alaska-fukushim…

[8] Jaegler, H., Pointurier, F., Onda, Y., Hubert, A., Laceby, J.P., Cirella, M., Evrard,O. (2018). Plutonium isotopic signatures in soils and their variation (2011–2014) in sediment transiting a coastal river in the Fukushima Prefecture, Japan. Environmental Pollution 240C, 167-176.

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L’être en son milieu, du rapport humain-objet-milieu au Japon comme ailleurs sur la planèteUN BLOG ÉCRIT PAR :

Cécile Asanuma-Brice, est chercheuse en sociologie Urbaine. Docteur de l’EHESS (école des hautes études en Sciences Sociales), résidente permanente au Japon, ses recherches sont axées sur la nature de la production urbaine dans la société de sur- consommation japonaise. En 2000, Cécile Asanuma-Brice intègre l’école d’ingénierie de l’université de Chiba au Japon, ses recherches sont alors financées par le Ministère de la recherche Japonais.

En 2005, elle participe à la création d’un bureau mêlant architecture et sociologie urbaine autour de l’architecte Maruyama Kinya, avec pour but la sensibilisation à un autre urbain possible, via des constructions participatives dans diverses régions du Japon et d’Indonésie.

Ses analyses pluri-disciplinaires ont permis la mise en évidence des logiques sous-jacentes à la production des villes dans les pays « capitalisés ». Cela l’amène en 2011, à déchiffrer la protection de la population à Fukushima via les politiques de logement dans de nombreux articles, documentaires et interviews sur le sujet.

Une sélection de ses écrits sont disponibles ici:

https://cnrs.academia.edu/C%C3%A9cileAsanumaBriceRECHERCHERARTICLES RÉCENTS

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