Maladie de Lyme : la situation devient ubuesque

Par Olivier Hertel le 08.04.2019 à 13h00

La France pourrait bientôt disposer de deux recommandations différentes pour le diagnostic et le traitement d’une même maladie, la borréliose de Lyme. Une situation ubuesque et inédite !

La tique, vecteur de la maladie de Lyme

La tique, vecteur de la maladie de Lyme.AFP/ARCHIVES – BERTRAND GUAY

DIAGNOSTIC. Avec le retour du printemps, l’imbroglio autour de la maladie de Lyme (ou borréliose de Lyme) reprend de plus belle. L’existence d’une lettre explosive signée par le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, vient d’être révélée lors d’auditions sur la borréliose de Lyme par la commission des affaires sociales au Sénat (voir ci-dessous). Dans ce courrier datant de septembre 2018, Jérôme Salomon demande à Pierre Tattevin, président de la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf) “d’élaborer de nouvelles recommandations pratiques pour la prévention, le diagnostic et le traitement de la borréliose de Lyme et autres maladies vectorielles à tiques…”. Ce, trois mois seulement après la publication de recommandations sur ce même sujet par la Haute autorité de santé (HAS). Un désaveu cinglant pour cette autorité publique indépendante, qui surtout plonge médecins et malades  dans la confusion. Une situation ubuesque, car la France pourrait bien se retrouver avec deux recommandations différentes, voire opposées, pour le diagnostic et le traitement d’une même maladie !

Pour comprendre l’affaire il faut revenir à septembre 2016. Face à de nombreuses polémiques autour des tests de dépistage et des traitements à base d’antibiotiques de la maladie de Lyme, la direction générale de la santé et la ministre des Affaires sociales et de la Santé de l’époque, Marisol Touraine, lancent un “Plan national de lutte contre la maladie de Lyme et les autres maladies transmissibles par les tiques”. Il vise notamment à améliorer et uniformiser la prise en charge des malades. Le ministère saisit la HAS, qui avec la Spilf, est missionnée pour élaborer les recommandations de bonnes pratiques qui serviront de référence pour tout ce qui concerne notamment le diagnostic et le traitement.

TRAITEMENT. En juin 2018, après 18 mois de travail, la HAS publie enfin ces fameuses recommandations. Ce document officiel est très attendu par les malades car ils contestent depuis des années la validité des tests de dépistage (Elisa et Western blot)  et l’efficacité des traitements prescrits jusque-là. Problème, la Spilf, qui a donc participé à l’élaboration de ces nouvelles recommandations, refuse de les valider en raison de désaccords, entre autres sur deux points des plus sensibles : le diagnostic et le traitement de la maladie !

En septembre 2018, soit trois mois seulement après la publication des recommandations de la HAS, Jérôme Salomon, alors directeur général de la santé, envoie le fameux courrier qui demande à la Spilf de rédiger de nouvelles recommandations. Un camouflet terrible pour la HAS. Ce courrier est d’autant plus étonnant que Jérôme Salomon, a lui-même piloté en partie la rédaction de ces recommandations de la HAS. Il était effectivement  président du groupe de travail sur la maladie de Lyme, avant d’être nommé directeur général de la santé en janvier 2018. Alors, pourquoi commander de nouvelles recommandations à la Spilf, trois mois après la sortie de celles de la HAS ? « Les recommandations de la HAS ne fédérant malheureusement pas tous les professionnels autour d’un consensus, il laissait les médecins cliniciens dans l’ambiguïté et les patients dans le statu quo. Il était important de poursuivre les travaux d’actualisation en gardant l’esprit collectif et la recherche d’un consensus »,explique Jérôme Salomon.

Du côté de la HAS, c’est la consternation. Même si Dominique Le Guludec, présidente de l’institution se veut rassurante : « Avant la sortie de nos recommandations, nous avons tenté pendant des mois de trouver un consensus avec la Spilf. Nous regrettons de ne pas y être arrivé. Nous avons finalement décidé de sortir ces recommandations sans leur signature car nous sommes convaincus qu’elles représentent l’état de l’art. Nous avons aussi prévu de nous réunir tous les six mois pour réactualiser ces recommandations en fonction des données nouvelles parues dans la littérature scientifique. Nous étions au courant depuis janvier de l’existence de cette lettre. Nous avons discuté avec Jérôme Salomon et Pierre Tattevin et nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il est nécessaire de sortir des recommandations communes. »

Des positions difficilement conciliables

Malheureusement, les positions de la HAS et de la Spilf semblent difficilement conciliables. Par exemple, lors de son audition au Sénat, Pierre Tattevin indique que ces nouvelles recommandations élaborées avec 25 sociétés savantes, ne seront reconnues par la HAS. Par ailleurs, la Spilf considère toujours que les tests de dépistage sont efficaces quand la HAS, par la voix de sa présidente, insiste sur le fait qu’ils sont imparfaits. Enfin, Pierre Tattevin expliquait encore au Sénat, que leurs recommandations sont très proches de celles que viennent d’adopter le Royaume-Uni et celles que s’apprêtent à publier les États-Unis. Des propos que conteste Dominique Le Guludec : « Nous avons suivi de très près ces travaux et ils sont très proches de nos recommandations. Les États-Unis vont même plus loin en reconnaissant l’existence d’une forme chronique de la maladie de Lyme. » Une forme chronique que rejettent vertement les infectiologues de la Spilf. Et pour ne rien arranger, Pierre Tattevin déclare au Sénat : « On assume le fait que c’est dommage de ne pas avoir la haute autorité de santé à nos côtés pour ces recommandations. Mais on a les données, on a la science, on a les études cliniques qui montrent quels traitements bénéficieront aux patients. » 

Si la HAS et la Spilf ne trouvent pas rapidement un terrain d’entente pour publier des recommandations communes, patients et médecins vont se retrouver devant la situation ubuesque de devoir choisir entre deux recommandations différentes pour le diagnostic et le traitement d’une même maladie. Comment choisir ? Selon Pierre Tattevin cette question n’a pas beaucoup de sens : « Si ces 25 sociétés savantes ont pris la peine d’élaborer des recommandations, après avoir refusé de valider celles de la HAS, c’est parce qu’elles ressentent le besoin d’apporter aux médecins de leurs disciplines des points de repère. » Malheureusement, l’Assurance Maladie se base sur les recommandations de la HAS pour le remboursement des soins. Donc sans la HAS, pas de remboursement.

La Spilf espère publier ses recommandations avant l’été. De belles empoignades sont donc à prévoir dans les semaines et mois à venir. Selon nos informations, plusieurs associations de malades prévoient déjà des actions pour protester contre la publication de nouvelles recommandations. Le 10 avril, Jérôme Salomon, directeur général de la santé et de Dominique Le Guludec, présidente de la HAS seront auditionnés par la commission des affaires sociales au Sénat. L’occasion pour les deux représentants de ces institutions de s’expliquer publiquement sur ce cafouillage inédit.

Pour rappel

  • La maladie de Lyme ou borréliose de Lyme est une maladie vectorielle à tique (MVT), c’est-à-dire une maladie transmise par piqûre de tique du genre Ixodes.
  • L’agent pathogène transmis par la tique est la bactérie Borrelia burgdorferi sensu lato (plusieurs espèces de cette bactérie peuvent être impliquées).
  • La tique peut transmettre d’autres agents infectieux (bactéries, virus, parasites).
  • Entre 2009 et 2015, l’incidence de la borréliose de Lyme variait entre 26 000 et 35 000 nouveaux cas par an. En 2016, elle a fait un bon spectaculaire, passant à environ 55 000 nouveaux cas par an.

Pour limiter au maximum le risque de contracter la maladie de Lyme et autres maladies vectorielles à tiques, la HAS a publié une fiche pratique, consultable ici et en partie reproduite ci-dessous :

Mesures de prévention contre la maladie de Lyme et les autres maladies vectorielles à tiques :

  • Porter des vêtements longs et clairs afin de mieux repérer les tiques
  • Glisser les bas de pantalon dans les chaussettes, voire utiliser des guêtres
  • Porter des vêtements couvrants (protection de la tête et du cou, en particulier chez les enfants) et des chaussures fermées
  • Se munir d’un tire-tique
  • Utilisation de répulsifs : les produits utilisables sont le DEET, l’IR 3535, la picaridine et le citriodiol. En complément, des répulsifs vestimentaires comme la perméthrine peuvent être utilisés.

Mesures à recommander au retour d’une promenade en forêt, d’un séjour en zone boisée ou végétalisée (jardinage) ou d’une randonnée :

Il faut inspecter tout le corps en examinant tout particulièrement les localisations habituelles, c’est-à-dire les sites où la peau est la plus fine, tels que les aisselles, les plis du genou, les zones génitales, le nombril, les conduits auditifs et le cuir chevelu. Il est préférable que l’examen soit réalisé le plus rapidement possible. Cet examen doit être attentif car le stade du vecteur le plus souvent en cause est la nymphe qui ne mesure que 1 à 3 mm. Il est recommandé de refaire cet examen le lendemain car la tique, gorgée de sang, sera mieux visible.

Mesures à recommander après piqûre d’une tique

  • Retrait de la tique

Le retrait d’une tique doit être réalisé le plus rapidement possible. Il est recommandé de retirer la tique mécaniquement avec un tire-tique, par rotation-traction de façon perpendiculaire à la peau, en évitant d’arracher la tête de la tique. Ce tire-tique, commercialisé en particulier en pharmacie, existe en petite taille pour les nymphes et en grande taille pour les adultes. Il faut désinfecter le site de piqûre après le retrait (et non pas avant car il existe un risque théorique de régurgitation de la tique).

  • Surveillance

Les signes à surveiller après piqûre.

En plus d’une évolution du point de piqûre (érythème migrant dans la borréliose de Lyme, tache noire dans d’autres MVT, etc.), les signes cliniques à surveiller dans les semaines qui suivent une piqûre de tique sont notamment :

  • signes généraux : douleurs, fièvre, fatigue inexpliquée ;
  • signes focaux : atteinte dermatologique (érythème migrant ailleurs qu’au site de piqûre), articulaire, neurologique, etc.

Le patient peut signaler la piqûre via l’application Signalement Tique !

Il n’est pas recommandé d’utiliser les autotests sur la maladie de Lyme disponibles en vente libre.

  • Conduite à tenir en cas de piqûre

Consulter son médecin.

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