Les portraits de l’été – Le combat du Dr Sopena aux côtés des malades de la thyroïde

Stéphane Lancelot| 09.08.2019

  • Le combat du Dr Sopena aux côtés des malades de la thyroïde By Stéphane Lancelot

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De mai 68 à la campagne présidentielle de François Hollande, en passant par la création de MG France, la carrière du Dr Philippe Sopena a été marqué par ses engagements politiques et syndicaux. Désormais à la retraite, le généraliste parisien mène un dernier combat : trouver la cause du mal qui touche de nombreuses patientes depuis le changement de formule du Levothyrox.

« Nous voulons comprendre ». Après une longue carrière médicale et politique, Philippe Sopena est devenu en décembre 2017 conseiller scientifique de l’Association française des malades de la thyroïde (AFMT). Ce généraliste retraité s’attelle depuis à percer le mystère du changement de formule du Levothyrox.

« Si sur les 3 millions de patients qui en prenaient quotidiennement depuis des années, un million ont arrêté le Levothyrox pour chercher une « alternative », ce n’est pas par goût de la complication », note le Dr Sopena.

Ce combat n’est que le dernier d’une longue liste pour ce pur parisien, né en 1946 en face des abattoirs de Vaugirard. En mai 1968, alors en deuxième année de médecine, Philippe Sopena est l’un des animateurs du « Comité d’action des étudiants en médecine » qui contribuera à faire évoluer les études de médecine. « On a compris qu’il fallait profondément modifier les rapports avec les malades et le mode d’exercice. Cette expérience a été déterminante pour moi c’est grâce à elle que j’ai construit ma conception de mon métier », raconte-t-il.

Lors de cette mobilisation, le futur Dr Sopena croise pour la première fois le chemin de Claude Pigement. « Philippe est charismatique, indéniablement. En 68, il enflammait les salles », se souvient le Dr Pigement. Vice-président de l’ANSM jusqu’en décembre 2018, délégué national santé du Parti socialiste pendant plus de vingt ans, Claude Pigement a côtoyé Philippe Sopena tout au long de sa carrière. Si les deux hommes ne se sont jamais fréquentés dans le privé, ils sont « liés par une forme d’amitié », explique l’ex Monsieur santé du PS. « Nous avons vécu tellement de moments forts ensemble. »

Le goût de la politique

Le goût prononcé — et assumé — de Philippe Sopena pour la politique le mène quelques années plus tard sur les bancs de Sciences Po, et ce alors qu’il effectue son internat à la prison de Fleury-Mérogis. « Je trouvais la formation à la fac trop scolaire et ne supportais pas les mandarins à l’Hopital. J’avais envie d’autre chose », explique celui qui se décrit comme « socialiste de toujours » (souvent déçu) contrairement à « la plupart des animateurs de 68, qui étaient souvent gauchistes à l’époque et sont aujourd’hui souvent beaucoup plus « à droite » que moi ».

À Fleury, il découvre la médecine générale. « J’ai vu des méningites tuberculeuses, des détenus dans des états de santé tragiquement catastrophiques, qu’on ne pouvait pas imaginer ».

Quelques années plus tard, en 1976, Philippe Sopena crée un cabinet de groupe dans le 18e arrondissement de Paris. Un quartier populaire dans lequel le généraliste est fier d’avoir eu affaire à une « patientèle extraordinairement variée », mêlant toutes les classes sociales. En parallèle, le Dr Sopena anime l’association « Santé et socialisme », liée au PS, qu’il a fondée avec d’autres en 1975. C’est à cette époque que lui et Claude Pigement se rencontrent vraiment. Les membres de « Santé et socialisme » réfléchissent à l’avenir du système de santé et préparent l’alternance. En mars 1981, François Mitterrand présente son programme santé à l’occasion d’un colloque de l’association.

« Un intellectuel de la santé et un vrai généraliste de terrain »

Le Dr Sopena s’engage par la suite dans le syndicalisme médical. D’abord au sein de l’Union syndicale de la médecine en 1982, l’ancêtre du Syndicat de la médecine générale. Mais la ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale d’alors, Georgina Dufoix, ne tient pas sa promesse d’accorder à l’Union la représentativité. En 1986, avec Richard Bouton et d’autres, Philippe Sopena participe à la création de MG France, dont il devient le premier vice-président.

« Pour créer MG France, il a fallu se retrousser les manches. D’autant qu’on n’avait pas de moyens, et qu’en face de nous, l’industrie pharmaceutique ne voyait pas d’un très bon œil notre volonté d’avoir accès à une formation continue indépendante, l’une des choses que MG a apportée à la profession », se remémore le Dr Sopena. L’ex-vice-président de MG France s’enorgueillit d’avoir, avec ses camarades, « été l’un des fers de lance de la transformation du rôle de la médecine générale, de sa reconnaissance » à une époque « où les médecins de famille étaient voués à disparaître ou à être de gentils officiers de santé ». Pendant ses années à MG France, Philippe Sopena s’implique toujours dans la commission santé du PS mais ne brigue aucun mandat.

Après son départ du syndicat, l’actuel conseiller médical de l’AFMT continue de participer à la commission santé du Parti socialiste. En 2012, il participe à la campagne présidentielle de François Hollande. Il retrouve, une fois de plus, Claude Pigement, alors membre du pôle social de Marisol Touraine. « Philippe s’est beaucoup investi dans la commission santé. Quand j’ai proposé la mise en place du tiers payant généralisé, il s’est énormément impliqué et a travaillé sur les modalités pratiques », souligne le Dr Pigement.

Malgré son amour de la politique et l’énergie déployée dans ses différentes fonctions, Philippe Sopena « n’aurait pas fait un bon ministre », estime Claude Pigement. « Philippe est trop spontané, sort des cadres imposés. Il aurait été très malheureux comme ministre ». Surtout, il est « désintéressé » et n’est pas « un vrai homme politique », poursuit-il. « Philippe est à la fois un intellectuel de la santé et un vrai généraliste de terrain ».

Et si la passion de Philippe Sopena lui permet de « rester jeune », elle peut aussi être source de désillusions et l’amener à se montrer « clivant et agaçant », analyse Claude Pigement.

Levothyrox : expliquer l’inexpliqué

Après avoir pris sa retraite en 2011 — l’occasion d’organiser une grande fête avec ses patients à la mairie du 18e arrondissement de Paris — et s’être occupé de la fin vie de ses parents et beaux-parents avec sa femme, Philippe Sopena consacre désormais son énergie à aider les patients atteints de maladies de la thyroïde. « Là où il y a une cohérence dans sa vie, c’est qu’il a été au service de la médecine générale, et que maintenant il est au service des patients », soulève Claude Pigement.

Le généraliste est devenu conseiller scientifique de l’AFMT fin 2017 après que plusieurs anciens patients lui ont confié avoir les mêmes soucis après le changement de formule du Levothyrox. « Quand plusieurs de mes anciennes patientes, des femmes que vous savez intelligentes et raisonnables, qui allaient très bien et qui, sans autre raison se mettent à aller mal et vous racontent un peu « la même histoire », la démarche scientifique c’est de se dire il y a quelque chose et d’avoir envie de comprendre », explique-t-il. Le Dr Sopena est donc bien déterminé à trouver la « cause objectif à la crise qui a touché autant de gens ».

« L’AFMT est une asso rationaliste. Quand une crise touche autant de gens, ce n’est pas un phénomène médiatique, il y a une cause objective et ce n’est pas parce que ce n’est pas encore expliqué que c’est inexplicable ! C’est parce que c’est inexpliqué qu’il faut chercher à comprendre », affirme le généraliste. Qui reste optimiste. « Nous saurons bientôt, j’espère, ce qu’il s’est passé pour éviter que cela ne se reproduise demain dans d’autres domaines. »

Le désormais retraité garde également un œil sur l’actualité de son métier et fait partie d’un groupe de médecins, dirigé par le Dr Yves Gervais, qui ont entrepris d’écrire un ouvrage sur l’histoire de la médecine générale.

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