Le grand casse-tête des ruptures

Parmi les sujets brûlants abordés au congrès, celui sur « les polémiques de la pharmacie » a mis en avant l’épineux problème des ruptures.

© HOI ANH COMMUNICATION

En 2018, l’Agence na­tio­nale de sé­cu­rité du mé­di­ca­ment et des pro­duits de santé (ANSM) a re­censé 871 si­gna­le­ments de ten­sions ou de rup­tures, soit 20 fois plus qu’il y a dix ans, et ils pour­raient at­teindre 1 200 cette an­née. « Les phar­ma­ciens en ont plus qu’as­sez », a pré­venu Fa­brice Ca­maioni, pré­sident de la com­mis­sion Mé­tier phar­ma­cien de la FSPF. « C’est un pro­blème chro­no­phage, qui dure, s’am­pli­fie, et dont le phar­ma­cien ne voit pas l’is­sue. Nous avons face à nous des pa­tients qui ne sont pas des nu­mé­ros et ont be­soin d’in­for­ma­tions. On ap­pelle les gros­sistes, qui n’en savent pas plus que nous ; les la­bos, qui ont par­fois un peu plus d’in­for­ma­tions mais pas tou­jours. Or nous, nous de­vons trou­ver une so­lu­tion. On ap­pelle le mé­de­cin pres­crip­teur pour pro­po­ser une al­ter­na­tive après s’être as­suré qu’elle est bien dis­po­nible car il y a aussi des ef­fets do­mi­nos sur les rup­tures… On est en 2019 et les gens ont l’im­pres­sion d’être après-guerre avec des ti­ckets de ra­tion­ne­ment ! », a tem­pêté l’élu syn­di­cal. « Ces rup­tures sont in­sup­por­tables », a confirmé Gé­rard Ray­mond, pré­sident de France As­sos Santé, ajou­tant avoir pré­venu la mi­nistre de la Santé que « des me­sures sans sanc­tions ne sont pas des me­sures et [qu’]il faut d’abord al­ler s’at­ta­cher à dé­ter­mi­ner les causes ».

Un pro­blème mon­dial

Quelles sont donc en ef­fet les causes de ce pro­blème ? « Elles sont mul­ti­fac­to­rielles : dé­fauts et in­ci­dents de pro­duc­tion, hors de nos fron­tières mais aussi en France, comme pour les cor­ti­coïdes. Tout cela em­poi­sonne la vie de tout le monde, du phar­ma­cien, du mé­de­cin, du pa­tient, des au­to­ri­tés sa­ni­taires… », a ana­lysé Chris­telle Ra­ti­gnier-Car­bon­neil, di­rec­trice gé­né­rale ad­jointe de l’ANSM.  Et de quelles armes dis­po­sons-nous pour lut­ter contre ces rup­tures ? « Comme ar­se­nal, nous avons un cer­tain nombre d’obli­ga­tions des in­dus­triels de mettre à dis­po­si­tion les pro­duits pour les­quels ils ont une au­to­ri­sa­tion, et un cer­tain nombre d’élé­ments obli­geant à une dé­cla­ra­tion le plus tôt pos­sible. Mais à 48 heures de la rup­ture, même avec la meilleure vo­lonté, c’est très com­pli­qué de faire quelque chose. Il y a aussi la me­sure an­non­cée par le Pre­mier mi­nistre sur la consti­tu­tion de stocks de 2 à 4 mois pour les mé­di­ca­ments d’in­té­rêt thé­ra­peu­tique ma­jeur », a-t-elle ex­pli­qué. Du côté des re­pré­sen­tants des in­dus­triels, le pré­sident du Leem (Les En­tre­prises du mé­di­ca­ment), Fré­dé­ric Col­let, a avancé d’autres pistes de com­pré­hen­sion du pro­blème : « Nous pre­nons notre part de res­pon­sa­bi­lité sur ce qui nous in­combe mais c’est un vaste pro­blème qui n’est pas franco-fran­çais. La ques­tion des rup­tures est la même dans tous les pays eu­ro­péens, avec les mêmes causes. No­tam­ment sur l’in­ca­pa­cité de pro­duc­tion en vo­lume : toutes nos en­tre­prises sont des en­tre­prises mon­diales, à quasi 95 % ou 99 %. Et au­jour­d’hui, vous avez des pays comme l’Inde ou la Chine qui aug­mentent leurs normes en ma­tière de santé pu­blique : cela crée un ap­pel d’air ex­trê­me­ment ra­pide et vo­lu­mi­neux. »

Re­lis­tages

Autre su­jet d’exas­pé­ra­tion, les re­lis­tages. « Je trouve ça as­sez scan­da­leux », s’est in­di­gné Fa­brice Ca­maioni, qui a pré­cisé que « d’un côté, on nous per­met de rem­pla­cer un mé­di­ca­ment d’in­té­rêt thé­ra­peu­tique ma­jeur dans le cadre pro­to­co­lisé, et ça, c’est très bien. Mais de l’autre, nous sommes des pro­fes­sion­nels de santé de pre­mier re­cours et qu’avons-nous à dis­po­si­tion pour nos pa­tients ? Plus rien, on re­liste ! On ne peut pas conti­nuer à souf­fler le chaud et le froid ». La pré­si­dente de l’Ordre des phar­ma­ciens, Ca­rine Wolf-Thal, a quant à elle avancé une sug­ges­tion in­té­res­sante faite à la mi­nistre de la Santé en 2017 : « Concer­nant la co­déine, plu­tôt que de re­lis­ter, je lui avais de­mandé d’im­po­ser l’usage de la carte Vi­tale et le tra­çage du dos­sier phar­ma­ceu­tique. Ainsi, si un ado­les­cent a en­vie de faire du més­usage avec du pro­duit co­déiné, je lui de­mande im­pé­ra­ti­ve­ment sa carte Vi­tale. Pas de carte Vi­tale, pas de co­déine. » En­fin, concer­nant le reste à charge pour le pa­tient re­fu­sant la sub­sti­tu­tion en l’ab­sence de men­tion « Non sub­sti­tuable » jus­ti­fiée sur l’or­don­nance, Gé­rard Ray­mond a conclu avec vé­hé­mence par un: « Il faut dé­chi­rer l’ar­ticle 66 ! »

Par Hélène Bry

21 Octobre 2019

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