Levothyrox : le combat des associations pour obtenir la vérité

Claude Pigement publie Levothyrox : une scandaleuse négligence aux éditions de L’Archipel. Claude Pigement a vécu l’affaire Levothyrox au coeur des autorités de santé, de son déclenchement en août 2017 à son départ de l’agence fin novembre 2018. Durant ces seize mois, il a été un témoin privilégié des multiples dysfonctionnements. Extrait 2/2.AJOUTER AU CLASSEURLECTURE ZEN112Avec Claude Pigement

Nous ne sommes pas dans une bulle. Le vide laissé par l’immobilisme au sommet devait forcément être comblé par d’autres. Il n’est pas étonnant que, face à l’attente déçue auprès des pouvoirs publics, les associations de patients se lancent elles-mêmes dans la recherche des réponses qu’on ne leur apporte pas. D’autant plus quand, à cette carence, s’ajoute le sentiment d’une opacité organisée et, donc, qu’il y a quelque chose à cacher. 

La première de toutes ces obscurités est en même temps la principale : pourquoi le Levothyrox a-t-il été modifié ? La version officielle avancée par l’ANSM paraît, au premier abord, tout à fait claire. Le Levothyrox, dont la première autorisation de mise sur le marché (AMM) remonte à 1980, était dispensé depuis trois décennies lorsque deux génériques sont arrivés sur le marché en 2009 – l’un d’entre eux était fabriqué par Ratiopharm, une branche du génériqueur israélien Teva, et l’autre par Biogaran, la filiale génériques du laboratoire Servier. Comme les règles le permettent, les pharmaciens étaient habilités à donner au patient l’un de ces deux génériques en lieu et place du Levothyrox de Merck KGaA (que l’on appelle dans ce cas le « médicament princeps »), sauf si l’ordonnance mentionnait expressément « non substituable ». Cette mention signifie que le médecin souhaite que le patient prenne uniquement le princeps ; le pharmacien ne peut donc, dans ce cas, lui donner le générique. 

À peine un an plus tard, en 2010, l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, ancêtre de l’ANSM) enregistre plusieurs dizaines de signalements de malades : ceux-ci ont subi un déséquilibre de leur thyroïde lorsqu’ils sont passés du Levothyrox à son générique. Autrement dit, la prise d’un médicament identique avec la même molécule (la lévothyroxine) et le même dosage entraînait chez des patients les problèmes de thyroïde que le Levothyrox résolvait. La raison tient au fait que le produit est à « marge thérapeutique étroite » (ou à « dose critique »), c’est-à-dire qu’une variation même microscopique de son principe actif peut perturber le malade. 

Quelques mois seulement après le lancement de ces génériques, l’ANSM décide donc de réagir. Elle diffuse d’abord une lettre aux professionnels de santé pour les inviter à une « surveillance » particulière lors d’une substitution du Levothyrox par son générique chez des patients à risque, comme ceux atteints d’un cancer thyroïdien, les femmes enceintes et les enfants. Peu après, durant l’été 2010, l’ANSM décide d’ajouter une mise en garde sur les génériques pour alerter sur les complications que peut entraîner la substitution. Cette alerte sonnera le glas des génériques, qui représentaient pourtant 20 à 25 % des parts du marché, selon mes informations. Les prescripteurs finiront par écrire « non substituable » sur toutes les ordonnances, afin d’éviter les problèmes. Teva met fin à la commercialisation de son générique en 2013 et son AMM a même été abrogée en 2015. Quant à Biogaran, il a fini par retirer les différents dosages du marché entre 2016 et le… 4 août 2017, une dizaine de jours avant que la crise éclate ! Dans les faits, la direction de Biogaran a par la suite expliqué à APMnews que les patients se sont détournés de sa copie dès 2014, moment où le laboratoire a souhaité le retirer du marché – mais a finalement accepté d’attendre à la demande de l’ANSM qui souhaitait conserver une alternative à cause de problèmes d’approvisionnement rencontrés par le Levothyrox en 2013. 

Extrait du livre de Claude Pigement, « Levothyrox : une scandaleuse négligence », publié aux éditions de L’Archipel

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