Insensibilités hormonales

Mis en ligne le 31/12/2019

Auteurs : Pr Yves Reznik

Pr Yves REZNIK

Hormonal insensitivities

Le dossier traitant des insensibilités hormonales regroupe des affections passionnantes à plusieurs égards. Premièrement, il s’agit de maladies rares ou très rares, difficiles de ce fait à diagnostiquer pour l’endocrinologue. Une analyse sémiologique et un examen clinique rigoureux permettent de réunir un faisceau d’éléments convergents orientant vers un état de résistance hormonale. Le choix ciblé des explorations biologiques hormonales est nécessaire pour étayer la suspicion clinique et engager une étude moléculaire qui confirmera la présence du syndrome de résistance hormonale et qui caractérisera la mutation du gène codant pour un récepteur hormonal, transmise ou apparue de novo selon les cas. Cette démarche diagnostique devrait pouvoir être tout au moins initiée par un endocrinologue non spécialisé qui, dès lors qu’il aura évoqué le diagnostic, confiera le(la) patient(e) à une équipe pluridisciplinaire compétente. Deuxièmement, la compréhension des mécanismes moléculaires inhérents aux états d’insensibilité hormonale et de leurs conséquences phénotypiques chez les individus atteints a permis de mieux comprendre la physiologie des hormones stéroïdiennes et, en particulier, de découvrir certains rôles insoupçonnés des hormones concernées par l’état de résistance. Un des plus beaux exemples consiste en la description en 1994 de la mutation du récepteur des estrogènes survenue chez un homme ; elle a permis la découverte du rôle majeur des estrogènes sur la constitution et le maintien de la masse osseuse et sur la fusion des cartilages de conjugaison de l’os (1). Troisièmement, les affections perturbant l’identité de genre concernent une problématique sociétale, comme cela a été illustré par les débats passionnés autour de la prise en charge chirurgicale des troubles de la différenciation sexuelle ou ceux relatifs à la transidentité avec toutes les questions psychologiques, légales et éthiques qu’ils soulèvent. Dans ce dossier, Claire Bouvattier décrit avec clarté le spectre des manifestations cliniques qui caractérisent le syndrome d’insensibilité aux androgènes et nous permet d’approcher la complexité des décisions relatives à l’orientation du sexe et du genre des personnes présentant un état intersexué. Elle met en évidence plusieurs questions importantes, comme celles du risque tumoral gonadique, du tempo optimal de la chirurgie de réorientation sexuelle, ou encore de l’implication de la personne atteinte, selon l’âge auquel la maladie a été découverte, dans la décision d’orientation sexuelle. Valérie Bernard et Sophie Christin-Maitre reviennent quant à elles sur la physiologie et les mécanismes moléculaires de l’action des estrogènes, avant de décrire l’apport déterminant des modèles murins d’insensibilité aux estrogènes par knock-out des gènes codant pour leurs récepteurs, et de revenir sur les exceptionnels cas de mutations des récepteurs aux estrogènes ERα et ERβ retrouvés chez l’être humain – moins de 10 en 2019 – qui nous ont beaucoup appris sur leurs rôles physiologiques respectifs. Enfin, Brigitte Delemer a mené avec Géraldine Vittelius et Marc Lombès un important travail de phénotypage et de génotypage de patients atteints du mystérieux “syndrome de Chrousos” relatif à un état de résistance généralisée aux glucocorticoïdes. Le syndrome est causé par une mutation inactivatrice du gène NR3C1 codant pour le récepteur glucocorticoïde, dont elle rappelle le tableau clinicobiologique digne de “l’énigme du sphinx”, constitué par la découverte d’une hyperplasie bilatérale des surrénales, d’une hypertension artérielle hypokaliémique et d’un hypercortisolisme biologique franc mais asymptomatique, auxquels peut s’ajouter une hyperandrogénie ! C’est finalement l’observation “Claude-bernardienne” du clinicien frappé par l’antinomie opposant un profil biologique d’hypercortisolisme ACTHdépendant et une absence de tout stigmate clinique du syndrome de Cushing, ou celle d’un syndrome de Conn sans hyperaldostéronisme biologique, qui mettra sur la piste de la résistance généralisée aux glucocorticoïdes. Pour conclure cet éditorial, je vous souhaite curiosité et plaisir dans ce voyage au pays des hormones orphelines de leurs récepteurs! Pr Yves Reznik Service d’endocrinologie, diabète et maladies métaboliques, CHU de la Côte-de-Nacre, Caen.

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