Coronavirus : pourquoi les Agences Régionales de Santé sont-elles sous le feu des critiques ?

Par SudOuest.fr avec AFP
Publié le 28/04/2020
Mis à jour à 11h01

Coronavirus : pourquoi les Agences Régionales de Santé sont-elles sous le feu des critiques ?
Le siège de l’ARS de Nouvelle-Aquitaine, à Bordeaux. © Crédit photo : capture d’écran google street view

La gestion de la crise par les toutes-puissantes agences régionales de santé (ARS) est vivement remise en question. Décryptage sur le fonctionnement de ces institutions. 

Décriées depuis leur naissance, les toutes-puissantes agences régionales de santé (ARS) concentrent les critiques sur leur gestion de l’épidémie de coronavirus, mais le gouvernement les soutient envers et contre tout car c’est son action qui est visée à travers elles.

À quoi servent les ARS ?

S’ils n’en ont pas le titre, leurs directeurs sont de véritables préfets sanitaires à l’échelle de leurs régions. Créées par la loi Bachelot, les ARS ont remplacé en avril 2010 les anciennes agences régionales de l’hospitalisation (ARH), mais aussi les directions des affaires sanitaires et sociales (Drass, Ddass) et certaines caisses d’assurances maladie (Urcam, Cram). Leur vaste champ d’action englobe hôpitaux, cliniques, soins de ville, médico-social (personnes âgées et handicapées), prévention et environnement (qualité de l’eau et de l’air).

Les ARS « jouent en quelque sorte un rôle de chef d’orchestre », tout en traduisant « une volonté de reprise en main par l’État du pilotage des politiques de santé », résume Henri Bergeron, directeur de recherches au CNRS. Elles ont notamment le pouvoir d’ouvrir ou de fermer des services (maternité, chirurgie, urgences) et d’autoriser certains équipements (scanner, IRM). Surtout, elles tiennent les cordons de la bourse, distribuant les crédits de fonctionnement des établissements, ainsi que des aides en tous genres à des projets locaux ou des soignants installés dans les déserts médicaux.

Cette omnipotence a nourri une décennie de frustration et de ressentiment du corps médical, supplanté par une administration sans contre-pouvoir. Des griefs renforcés par les restrictions budgétaires de l’époque : nées en temps de crise financière, les ARS ont dès l’origine été accusées de mettre en œuvre une politique d’austérité.

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 © Crédit photo : Guillaume Bonnaud

Que leur reproche-t-on aujourd’hui ?

La même chose que ce que l’on reproche à l’État, dont elles sont le bras armé : lourdeur bureaucratique, manque de réactivité, communication fluctuante. « On a probablement pris du retard dans la gestion de crise parce que nous avions affaire plutôt à des acteurs budgétaires qu’à des logisticiens de crise », affirmait ainsi début avril le président de la région Grand Est, Jean Rottner. Fin mars, au plus fort de l’épidémie, un observateur en première ligne se désespérait de voir l’armée évacuer des malades de Mulhouse, alors que des hôpitaux et cliniques pouvaient les accueillir à proximité.

« Les discussions au niveau des ARS sont une catastrophe », affirmait-il, dénonçant « des grosses guerres d’ego », avec des directeurs d’agences qui « règnent en maître sur leur territoire », à tel point que même « le directeur de cabinet du ministre de la Santé n’est pas au courant des décisions prises régionalement ». Revanchards, les médecins s’en donnent à cœur joie, comme François Honorat, président du Syndicat des anesthésistes libéraux : « Les ARS n’ont pas été à la hauteur. Elles empêchent les gens de fonctionner, il va falloir réformer tout ça ».

Sur la sellette, les directeurs d’agences se savent désormais sur un siège éjectable, depuis le limogeage de Christophe Lannelongue dans le Grand Est. En pleine crise sanitaire, ce haut fonctionnaire avait défendu le plan de restructuration du CHU de Nancy et ses 600 suppressions de postes, déclenchant l’ire des élus locaux et des partis d’opposition.

Olivier Véran.
Olivier Véran.  © Crédit photo : LUDOVIC MARIN / AFP

Qui les défend ?

Le gouvernement, bien conscient qu’à travers les ARS, c’est son action qui est visée. Edouard Philippe a ainsi salué leur « travail remarquable pour permettre la montée en puissance des capacités de réanimation », passées en peu de temps de 5 000 à plus de 10 000 lits. Et Olivier Véran ne perd jamais une occasion de rappeler leur « mobilisation » décisive dans la neutralisation du foyer épidémique de Haute-Savoie début février, ou dans les « 644 évacuations sanitaires » réalisées « par train, avion et hélicoptère ».

Quelle que soit l’accusation, le ministre de la Santé protège son administration. Incurie dans les Ehpad ? Les ARS ont reçu « des instructions très claires pour dresser jour après jour l’état des lieux ». Pénurie de médicaments ? Elles « établissent les priorités dans la répartition des stocks indispensables ». Christophe Lannelongue ? « Un serviteur de l’État qui a cru bien faire ».

L’heure des comptes n’est pas encore venue. Mais pour le chercheur Henri Bergeron, un « bilan » de leur action devra bel et bien être mené. « On a pensé un peu naïvement qu’à partir du moment où on créait un organisme de coordination, la coopération entre les acteurs allait s’améliorer ». Or la crise « a révélé des problèmes majeurs de coordination, au niveau national comme au niveau local », observe-t-il.

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