Comment le prix des masques jetables a explosé

  • 06/05/2020
  • Lionel Maugain

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Ils étaient vendus 9 centimes avant la crise. Les grandes surfaces les vendent 60 centimes au moment où les foyers doivent s’équiper. Explications.

homme tenant des masques jetables sur le parking d’un supermarché à Marseille
MaxPPP/PhotoPQR/Gilles Bader

Le 13 mars dernier, veille du confinement, un grand hôpital parisien passe commande de masques jetables. Tarif unitaire : 3 centimes pièce, selon un bon de commande interne de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP) obtenu par 60 Millions.

Côté grand public, sur Amazon, chacun pouvait acheter fin janvier une boîte de 200 masques chirurgicaux à 17 €, soit moins de 9 centimes pièce.

Plus de 500 % d’inflation en quelques mois

Or, depuis lundi 4 mai, les grandes surfaces ont mis en vente le masque chirurgical jetable autour de 60 centimes, avec l’engagement de le vendre à prix coûtant, c’est-à-dire sans aucune marge pour le magasin. Une inflation de 567 % !

Pour limiter l’envolée, le décret du 2 mai 2020 a plafonné le prix du produit à 0,95 € TTC. Dix fois plus que son tarif jusque-là.

« L’État a fait le choix de ne pas les distribuer gratuitement à la population, et de menacer d’amende ceux qui ne le portent pas dans les transports », fulmine un cadre de santé de l’APHP, qui confirme que les tarifs d’achat de l’hôpital étaient restés autour de 3 centimes début mai.

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Pourquoi la diffusion des masques jetables dans notre pays a-t-elle été confiée au secteur privé, pharmacies et supermarchés, en pleine explosion du prix de production ?

Les efforts de l’État ne suffisent pas

D’abord parce que, malgré ses efforts, l’État ne peut pas fournir des masques à tous. Dès le mois de mars, il a réquisitionné les stocks pour les fournir aux soignants. Aujourd’hui encore, le gouvernement dit importer chaque semaine plus de 100 millions de masques par semaine pour le système de santé.

L’État finance également la moitié du prix des masques que les collectivités locales vont distribuer gratuitement aux citoyens. Et le Premier ministre indique que cinq millions de masques lavables par semaine seront distribués directement aux Français les plus modestes.

La grande distribution à la rescousse

Mais cela ne suffit pas. L’État a donc demandé aux grandes enseignes de supermarchés et aux groupements de pharmaciens d’acheter en Chine, d’importer, et de revendre des centaines de millions de masques.

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Ces distributeurs ont des fournisseurs référencés et une capacité puissante de négociation. Le groupement Intermarché, par exemple, a déjà importé des masques pour protéger ses salariés dans les magasins et les entrepôts à raison de 7 millions de pièces distribuées par mois.

« Très vite, et à la demande des autorités publiques, explique Intermarché dans un communiquéces équipes, qui avaient acquis un savoir-faire concernant les achats de masques à l’étranger, ont commencé à élargir leurs recherches pour, à terme, contribuer à équiper la population française et les opérateurs économiques. »

Bagarre pour sécuriser les commandes en Chine

Le résultat ne s’est pas fait attendre. En dix jours, les grands distributeurs avaient passé commande de plusieurs centaines de millions de masques.

Mais les enseignes françaises les ont achetés aux alentours de 50 centimes pièce, par boîte de 50. « Le marché mondial des masques est sous tension et les prix n’ont plus rien à voir avec ce qui se passait avant la crise, malheureusement », explique le patron d’un grand réseau de supermarché.

Les grands fabricants, essentiellement chinois, croulent sous les commandes. « C’est une bagarre terrible pour sécuriser les commandes et les livraisons », confie un acheteur d’une grande enseigne.

« On a essayé de ne pas se faire piquer les avions »

D’ailleurs, les distributeurs français ont failli se faire doubler, comme l’a laissé entendre Michel-Édouard Leclerc à BFM TV à propos des commandes de son groupement. « Ça n’a pas été facile, on nous a piqué des commandes. »

Dans une vidéo publiée sur son blog, le patron des hypermarchés E.Leclerc explique les conditions d’achat : « Il n’y avait pas beaucoup de masques au début de la crise, aujourd’hui c’est plus facile même si ça reste très concurrentiel et un peu “sioux” de les avoir. Oui, les grandes enseignes se sont démenées, on a passé commande, on les a sécurisés, on a essayé de ne pas se faire piquer les avions, et là ils arrivent à Roissy. »

Les distributeurs ont-ils fait grimper les prix d’achat ?

Carrefour et E.Leclerc ont annoncé les plus grosses commandes : environ 175 millions de masques chirurgicaux chacun. Pour être livrés massivement et jusqu’en septembre, n’ont-ils pas été des surenchérisseurs inconséquents dans cette gigantesque vente aux enchères à l’échelle mondiale ? Pas nécessairement.

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« Carrefour et E.Leclerc ont des bureaux en Chine, une armée d’acheteurs travaillent pour eux sur place, explique un cadre de la grande distribution. Ils ont pu s’approvisionner rapidement, non pas forcément en surenchérissant sur les tarifs, mais sur le fait que les Chinois ne peuvent pas contrarier de si importants clients. »

Certaines pharmacies doivent revendre à perte

facture d'achat de masques par une pharmacie fin avril 2020

Quant aux pharmaciens, ils n’ont pas cette puissance. Certains sont même contraints de revendre à perte. C’est le cas de cette pharmacie de taille moyenne, près de Lyon : sa facture montre qu’elle a passé commande de boîtes de 50 masques à 49,50 € HT (soit 1,04 € TTC pièce). Elle sera contrainte de les revendre au prix maximum légal de 0,95 € TTC pièce.

« J’ai acheté ces masques il y a environ deux semaines à une plateforme qui permet de grouper les achats d’une cinquantaine d’officines », nous explique, dépitée, la propriétaire de cette pharmacie. Elle confirme qu’avant le Covid, elle vendait ces masques quelques centimes. « Mais, depuis, il n’y a plus de stock nulle part, donc on dépend de la production en direct. »

De 0,60 à 0,95 €, c’est très cher pour la plupart des consommateurs. Combien pourront-ils suivre dans les mois qui viennent ?

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