L’Etat force la main de Roche sur l’Avastin


Le ministère de la santé a autorisé jeudi le remboursement de ce traitement de la dégénérescence maculaire, qui coûte 80 fois moins cher que celui utilisé actuellement.
Par Sandrine Cabut et Chloé Hecketsweiler Le Monde le 27 août 2015
La partie semble bel et bien perdue pour le laboratoire pharmaceutique Roche. Le ministère français de la santé a autorisé, jeudi 27 août, par un arrêté, le remboursement de l’Avastin dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), une maladie de l’œil qui peut conduire à la cécité. Or le géant suisse conteste cette utilisation, arguant que l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de sa molécule – comme anticancéreux – ne permet pas cet usage et qu’il existe deux
médicaments pour traiter la DMLA.
Le principal est le Lucentis, un autre produit mis au point par Roche, mais commercialisé en Europe depuis 2007 par le laboratoire suisse Novartis. Son principe actif, qui doit être injecté dans l’œil du patient, est proche de celui de l’Avastin, mais son coût est dix à trente fois plus élevé. Un autre produit dispose d’une AMM européenne depuis 2012, l’Eylea (Bayer).
En France, où la DMLA concerne 900 000 personnes, le Lucentis représente le premier poste de dépense de l’Assurance-maladie avec 428 millions d’euros remboursés en 2013. Avec ce passage en
force, les autorités sanitaires espèrent réduire significativement la facture. Selon l’arrêté, l’injection de l’Avastin sera facturée 10 euros, soit presque 80 fois moins que celle du Lucentis.
L’économie est pour l’heure difficile à estimer. « Tout dépendra du niveau de recours à l’Avastin. Il faudra attendre les premiers éléments de suivi de la recommandation temporaire d’utilisation [RTU]
pour faire des projections fiables, souligne le ministère de la santé. Le médecin conserve sa liberté de prescription et le patient doit donner son accord en cas d’utilisation de l’Avastin. »
Paradoxalement, les hôpitaux chargés de reconditionner l’Avastin pour son utilisation ophtalmologique auront du mal à assurer la sous-traitance pour les établissements non équipés pour ce type de manipulation. « Le tarif de 10 euros est financièrement intenable, regrette François Chast, chef du
service de pharmacie clinique des hôpitaux universitaires Paris-Centre. Nous avions prévu de facturer l’injection à 78 euros. »
Recours aux RTU pour motifs économiques
Les médecins pourront prescrire l’Avastin à la place du Lucentis à partir du 1 er  septembre, date de l’entrée en vigueur de la RTU. Ce dispositif permet depuis 2011 d’encadrer des prescriptions non conformes à l’AMM lorsqu’il n’existe pas d’alternative thérapeutique. En décembre 2014, le
gouvernement a modifié la loi afin de permettre le recours aux RTU pour des motifs économiques.
Etablie pour une durée de trois ans, la RTU de l’Avastin sera renouvelée « en fonction des données d’efficacité et de sécurité qui seront issues du suivi des patients », précise l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Dans le cadre d’une RTU classique, cette surveillance incombe au
fabricant, mais, dans ce cas, Roche a indiqué qu’il ne souhaitait pas s’en charger. Le laboratoire craint d’être mis en cause en cas de problème. « Roche ne saurait voir sa responsabilité engagée à quelque titre que ce soit du fait de l’utilisation de l’Avastin en traitement de la DMLA », a-t-il expliqué dans un courrier adressé à l’ANSM en janvier. Il a déposé deux requêtes devant le Conseil d’Etat : l’une de référé pour obtenir la suspension de la RTU au 1er septembre, l’autre au fonds, pour l’annuler.
La situation est inédite. « C’est la première fois qu’une RTU est mise en place sans l’accord de la firme », relève Dominique Martin, le directeur général de l’ANSM, en rappelant que toutes les données analysées lors de l’instruction du dossier confirment que l’efficacité des deux médicaments est comparable et qu’il n’existe aucun sur-risque avec l’Avastin.
Le dispositif sera d’abord déployé dans des hôpitaux pilotes de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris et des Hospices civils de Lyon, avant d’être étendu. « A terme, il est possible que les traitements

soient aussi réalisés dans des cabinets libéraux, mais à ce stade, la préparation du médicament et les injections intra-oculaires seront effectuées uniquement dans des pharmacies hospitalières », précise
encore M. Martin.
Les deux géants suisses qui ont des liens capitalistiques (Novartis détient un tiers du capital de Roche) et commerciaux (Novartis verse des royalties à Roche sur les ventes de Lucentis réalisée en dehors des Etats-Unis) perdront inévitablement au change. En 2014, Roche a réalisé 1,6 milliard de
dollars (1,4 milliard d’euros) de chiffre d’affaires grâce aux Lucentis, et Novartis, 2,4 milliards de dollars de ventes. Cette affaire pourrait leur coûter d’autant plus cher que l’Autorité de la concurrence française les soupçonne « d’avoir mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la commercialisation des traitements de la DMLA ».
En avril 2014, elle a mené des perquisitions aux sièges des deux groupes en France, et le dossier est toujours en instruction.
En mars 2014, son homologue italienne avait infligé aux deux sociétés une amende record de 182,5 millions d’euros, estimant qu’elles avaient « artificiellement distingué » leurs médicaments. De son
côté, Roche campe sur ses positions. « L’Avastin et le Lucentis sont deux molécules différentes qui ont été développées pour des pathologies différentes et ne sont pas du tout interchangeables,L’Etat force la main de Roche sur l’Avastin rappelle Véronique France Tarif, responsable des relations publiques de Roche en France. D’ailleurs, si nous demandions l’AMM pour l’Avastin dans le traitement de la DMLA sur la base des études
cliniques disponibles, nous ne l’obtiendrions pas. »
Sandrine Cabut et Chloé Hecketsweiler

L’Etat force la main de Roche sur l’Avastin
Le ministère de la santé a autorisé jeudi le remboursement de ce traitement de la dégénérescence maculaire, qui coûte 80 fois moins cher que celui utilisé actuellement.
Par Sandrine Cabut et Chloé Hecketsweiler Le Monde le 27 août 2015
La partie semble bel et bien perdue pour le laboratoire pharmaceutique Roche. Le ministère français de la santé a autorisé, jeudi 27 août, par un arrêté, le remboursement de l’Avastin dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), une maladie de l’œil qui peut conduire à la cécité. Or le géant suisse conteste cette utilisation, arguant que l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de sa molécule – comme anticancéreux – ne permet pas cet usage et qu’il existe deux médicaments pour traiter la DMLA.
Le principal est le Lucentis, un autre produit mis au point par Roche, mais commercialisé en Europe depuis 2007 par le laboratoire suisse Novartis. Son principe actif, qui doit être injecté dans l’œil du patient, est proche de celui de l’Avastin, mais son coût est dix à trente fois plus élevé. Un autre produit dispose d’une AMM européenne depuis 2012, l’Eylea (Bayer).
En France, où la DMLA concerne 900 000 personnes, le Lucentis représente le premier poste de dépense de l’Assurance-maladie avec 428 millions d’euros remboursés en 2013. Avec ce passage en force, les autorités sanitaires espèrent réduire significativement la facture. Selon l’arrêté, l’injection de l’Avastin sera facturée 10 euros, soit presque 80 fois moins que celle du Lucentis.
L’économie est pour l’heure difficile à estimer. « Tout dépendra du niveau de recours à l’Avastin. Il faudra attendre les premiers éléments de suivi de la recommandation temporaire d’utilisation [RTU] pour faire des projections fiables, souligne le ministère de la santé. Le médecin conserve sa liberté de prescription et le patient doit donner son accord en cas d’utilisation de l’Avastin. »
Paradoxalement, les hôpitaux chargés de reconditionner l’Avastin pour son utilisation ophtalmologique auront du mal à assurer la sous-traitance pour les établissements non équipés pour ce type de manipulation. « Le tarif de 10 euros est financièrement intenable, regrette François Chast, chef du service de pharmacie clinique des hôpitaux universitaires Paris-Centre. Nous avions prévu de facturer l’injection à 78 euros. »
Recours aux RTU pour motifs économiques
Les médecins pourront prescrire l’Avastin à la place du Lucentis à partir du 1er septembre, date de l’entrée en vigueur de la RTU. Ce dispositif permet depuis 2011 d’encadrer des prescriptions non conformes à l’AMM lorsqu’il n’existe pas d’alternative thérapeutique. En décembre 2014, le gouvernement a modifié la loi afin de permettre le recours aux RTU pour des motifs économiques.
Etablie pour une durée de trois ans, la RTU de l’Avastin sera renouvelée « en fonction des données d’efficacité et de sécurité qui seront issues du suivi des patients », précise l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Dans le cadre d’une RTU classique, cette surveillance incombe au fabricant, mais, dans ce cas, Roche a indiqué qu’il ne souhaitait pas s’en charger. Le laboratoire craint d’être mis en cause en cas de problème. « Roche ne saurait voir sa responsabilité engagée à quelque titre que ce soit du fait de l’utilisation de l’Avastin en traitement de la DMLA », a-t-il expliqué dans un courrier adressé à l’ANSM en janvier. Il a déposé deux requêtes devant le Conseil d’Etat : l’une de référé pour obtenir la suspension de la RTU au 1er septembre, l’autre au fonds, pour l’annuler.
La situation est inédite. « C’est la première fois qu’une RTU est mise en place sans l’accord de la firme », relève Dominique Martin, le directeur général de l’ANSM, en rappelant que toutes les données analysées lors de l’instruction du dossier confirment que l’efficacité des deux médicaments est comparable et qu’il n’existe aucun sur-risque avec l’Avastin.
Le dispositif sera d’abord déployé dans des hôpitaux pilotes de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris et des Hospices civils de Lyon, avant d’être étendu. « A terme, il est possible que les traitements soient aussi réalisés dans des cabinets libéraux, mais à ce stade, la préparation du médicament et les injections intra-oculaires seront effectuées uniquement dans des pharmacies hospitalières », précise encore M. Martin.
Les deux géants suisses qui ont des liens capitalistiques (Novartis détient un tiers du capital de Roche) et commerciaux (Novartis verse des royalties à Roche sur les ventes de Lucentis réalisée en dehors des Etats-Unis) perdront inévitablement au change. En 2014, Roche a réalisé 1,6 milliard de dollars (1,4 milliard d’euros) de chiffre d’affaires grâce aux Lucentis, et Novartis, 2,4 milliards de dollars de ventes. Cette affaire pourrait leur coûter d’autant plus cher que l’Autorité de la concurrence française les soupçonne « d’avoir mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la commercialisation des traitements de la DMLA ».
En avril 2014, elle a mené des perquisitions aux sièges des deux groupes en France, et le dossier est toujours en instruction.
En mars 2014, son homologue italienne avait infligé aux deux sociétés une amende record de 182,5 millions d’euros, estimant qu’elles avaient « artificiellement distingué » leurs médicaments. De son côté, Roche campe sur ses positions. « L’Avastin et le Lucentis sont deux molécules différentes qui ont été développées pour des pathologies différentes et ne sont pas du tout interchangeables, rappelle Véronique France Tarif, responsable des relations publiques de Roche en France. D’ailleurs, si nous demandions l’AMM pour l’Avastin dans le traitement de la DMLA sur la base des études cliniques disponibles, nous ne l’obtiendrions pas. »
Sandrine Cabut et Chloé Hecketsweiler

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