La pneumologue, l’avocat, le député : ceux sans qui le scandale Mediator n’aurait (peut-être) jamais éclaté

Si la pneumologue Irène Frachon est devenue la figure de proue du combat contre les laboratoires Servier et l’inaction des autorités sanitaires, d’autres ont – parfois dans l’ombre – permis à l’affaire d’être révélée au grand public.

La pneumologue Irène Frachon, l'ancien député Gérard Bapt et l'avocat Charles Joseph-Oudin
La pneumologue Irène Frachon, l’ancien député Gérard Bapt et l’avocat Charles Joseph-Oudin © AFP / Thomas Samson, Pascal Pavani, Kenzo Tribouillard

En sera-t-il l’épilogue ? Le procès qui commence ce lundi à Paris dans l’affaire du Mediator est en tous cas l’aboutissement d’un combat qui, avant d’être judiciaire, fut d’abord médical. Celui d’une pneumologue de Brest qui, aidée de quelques collègues, a remué ciel et terre pour faire retirer du marché un médicament utilisé comme coupe-faim et responsable de graves complications cardiaques. Portraits de celles et ceux qui ont permis au scandale d’éclater au grand jour.

La lanceuse d’alerte : Irène Frachon

« Elle est une personne ordinaire à qui il est arrivé quelque chose d’extraordinaire », estime la réalisatrice Emmanuelle Bercot, qui en a fait l’héroïne de son film « La fille de Brest ». Irène Frachon, aujourd’hui âgée de 56 ans, est la première à se lancer dans des recherches approfondies pour trouver le lien entre le Mediator et les problèmes cardiaques rencontrés chez un certain nombre de patients. 

Irène Frachon

À écouter  –  SOCIÉTÉIrène Frachon, invitée d’Ali Baddou dans le 7/910 min

En 2007, au CHU de Brest, la pneumologue prend en charge une malade obèse souffrant d’une maladie rare, l’hypertension pulmonaire, et qui depuis des années prend du Mediator. Irène Frachon se souvient alors d’un article de la revue indépendante Prescrire, qui dénonçait le maintien sur le marché français de l’antidiabétique. Lui reviennent également des conversations avec ses collègues de l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart, qui se sont battus contre un autre coupe-faim de Servier, l’Isoméride.

Son collègue cardiologue brestois Yannick Jobic découvre de son côté un premier cas de valvulopathie chez une autre patiente, elle aussi sous Mediator. C’est le déclic. Et le début d’une longue enquête, ponctuée de nuits blanches. Elle aboutira fin 2009 à la fin de la commercialisation du médicament.

« J’ai fait un boulot de détective. La démarche scientifique s’est doublée d’une enquête quasiment policière, puisque les laboratoires Servier ont cherché à m’égarer. »

Irène Frachon au tribunal de Nanterre lors du premier procès pénal.
Irène Frachon au tribunal de Nanterre lors du premier procès pénal. © Maxppp / Thomas Padilla

L’épidémiologiste : Catherine Hill

La septuagénaire se désigne d’elle-même comme la R2-D2 de l’équipe d’Irène Frachon« Parce que je suis la statisticienne du groupe », confie-t-elle en riant. Comme le malicieux robot de Star Wars a transmis à Obi Wan Kenobi les calculs de trajectoires que lui avait confiés la princesse Leia, Catherine Hill a réalisé pour la pneumologue les premières études de mortalité du Mediator.

En juin 2009, alors que l’épidémiologiste à l’Institut Gustave Roussy de Villejuif (Val-de-Marne) vient d’intégrer le conseil scientifique de l’Agence de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), elle entend Irène Frachon évoquer de façon très convaincue les cas brestois de valvulopathie. Face à l’indifférence teintée de condescendance de ses pairs, Catherine Hill « est la seule à détecter le signal », dira-t-elle ensuite devant le Sénat.

C’est alors que commence sa collaboration aux côtés d’Irène Frachon. En octobre 2009, à la pause café d’un colloque, elle rencontre Alain Weill, qui travaille pour la Caisse nationale d’assurance maladie. Atout précieux : il a accès aux outils informatiques de la Sécu, et va accepter de les utiliser afin de chercher les corrélations entre les cas de malformations cardiaques et la prise de l’antidiabétique des laboratoires Servier. Son étude démontre que le Mediator multiplie le risque d’accident vasculaire par trois, et celui de chirurgie par quatre.

Le médicament est retiré du marché fin 2009 en toute discrétion. Reste à déterminer le nombre de ses victimes. En octobre 2010, sous la plume d’Anne Jouan, le Figaro dévoile le contenu d’une étude confidentielle de l’Assurance maladie : le Mediator serait responsable de 500 à 1000 décès en France. Face à l’ampleur médiatique que prend le scandale, l’Afssaps demande à Catherine Hill une estimation. Pour elle, l’antidiabétique de Servier a fait a minima 500 morts. Les chiffres de la première étude seront ensuite réévalués pour évoquer 1.000 à 2.000 décès.

Le député : Gérard Bapt

« Avec Irène, on est amis pour la vie », aime-t-il souligner, avec son accent du sud-ouest. Médecin cardiologue de formation, rapporteur spécial de la mission santé à la commission santé de l’Assemblée nationale, le député socialiste de Haute-Garonne est le premier responsable politique à soulever l’affaire du Mediator.

Pour Gérard Bapt, l’aventure commence après la lecture d’une interview d’Irène Frachon dans Le Parisien, à l’été 2010. « J’ai trouvé ça tellement énorme que je l’ai contactée », racontera-t-il à l’Express. Leur première rencontre se déroule au restaurant de l’Assemblée :

« C’était une période très dure, Irène était au bord de la rupture, à force de se battre seule dans son coin. »

Gérard Bapt se fend ensuite de plusieurs courriers « pas piqués des vers » à l’Afssaps, ainsi qu’à la ministre de la Santé Roselyne Bachelot. Quelques semaines plus tard, il publie dans Le Monde une tribune intitulée « Mediator : Combien de morts ? », dans laquelle il dénonce les failles de la pharmacovigilance. Le parlementaire deviendra par la suite président de la mission d’information mise en place pour réaliser un diagnostic des causes ayant conduit au drame du Mediator et proposer une réforme du système de contrôle et d’évaluation du médicament. 

L’avocat : Charles Joseph-Oudin

Fils, petit-fils, arrière-petit fils de médecins, Charles Joseph Oudin n’a jamais songé à embrasser une carrière qui aurait pu sembler toute tracée. À la place, il choisit le droit des affaires, « sans trop savoir pourquoi »« J’aurais sans doute fait tout autre chose si je n’avais pas rencontré Irène Frachon ».  

Il a 27 ans quand l’affaire Médiator lui tombe dessus. Le jeune avocat n’a même pas encore prêté serment, quand sa tante Catherine Hill lui parle d’Irène Frachon, et lui suggère de prendre contact avec la médecin brestoise. « Le courant passe », se souvient-il. Et le combat commence. Les victimes potentielles du Mediator se mettent à l’appeler.

« À l’époque je travaillais seul, chez ma mère, dans un bureau qu’elle m’avait prêté. J’ai dû embaucher mon cousin pour faire standardiste et répondre au téléphone. »

Charles Jospeh-Oudin dépose la première plainte contre X dans cette affaire, en 2010. Il est aussi, avec François Honnorat, à l’origine de la citation directe déposée en 2011 contre le groupe pharmaceutique. Un procès s’ouvrira à Nanterre, avant d’être reporté. « On aura eu tout de même la satisfaction d’avoir Jacques Servier pendant 15 jours sur le banc des prévenus », insiste l’avocat. Le fondateur du groupe pharmaceutique est mort en avril 2014. 

L'avocat Charles Joseph-Oudin face à la presse, en 2011.
L’avocat Charles Joseph-Oudin face à la presse, en 2011. © Radio France / PHOTOPQR/LE PARISIEN

Pour mieux comprendre les dommages provoqués par le médicament, Charles Joseph-Oudin assiste à des opérations de chirurgie à cœur ouvert, à des IRM cardiaques. Dans le procès qui s’ouvre ce lundi à Paris, il représente quelque 250 victimes, mais est persuadé que beaucoup ne se sont à ce jour jamais signalées. « Il n’est pas trop tard pour entamer des poursuites », martèle-t-il.Thèmes associés

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